Directrice Générale de la Fédération Bancaire Française (FBF), Maya Atig, dont nous avions publié un portrait dans variances.eu (https://variances.eu/?p=3989) alors qu’elle était Directrice Générale Adjointe de la Fédération Nationale du Crédit Agricole, a récemment animé un petit-déjeuner organisé par ENSAE Alumni, au cours duquel elle a brillamment exposé sa vision de l’action des banques françaises dans un environnement complexe. Maya a accepté de partager ses réflexions avec variances.eu, en se focalisant particulièrement sur les enjeux humains des bouleversements en cours dans son métier.

Variances : Maya, tu as pris tes nouvelles responsabilités à la FBF fin mars 2020 et as tout de suite été confrontée à la crise du Covid. Comment le secteur bancaire l’a-t-il affrontée ?

Maya Atig : Dans le contexte si particulier de crise sanitaire que nous vivons depuis plus de deux ans, avec des impacts économiques et sociaux énormes, les banques françaises ont aidé les entreprises à absorber le choc de l’arrêt brutal de leur activité, assurant la continuité de service nécessaire au fonctionnement du pays et en participant au soutien à l’économie. Un soutien à l’économie rendu possible par la solidité du système bancaire français.

En agence comme en télétravail, la mobilisation des 354 000 collaboratrices et collaborateurs des banques a permis au secteur de faire preuve d’une grande réactivité, sous forme par exemple de moratoires de crédits et de distribution de PGE (Prêts Garantis par l’Etat) : en huit semaines, autant de crédits ont été octroyés qu’en neuf mois en rythme habituel.

Les banques ont ainsi démontré l’utilité profonde de leur mission et prouvé qu’elles font partie de la solution à cette crise inédite. Une crise qui joue sans conteste un rôle d’accélérateur des transformations en cours dans notre secteur, notamment au niveau des métiers : celles liées aux innovations technologiques, à des règles prudentielles de plus en plus contraignantes, au contexte économique global et aux évolutions culturelles et sociétales (nouvelles attentes des clients et des collaborateurs, nouvelles modalités de travail et de coopération…).

V. : Peux-tu nous en dire plus sur les défis, notamment réglementaires et environnementaux, auxquels font face les banques françaises ?

M.A. : Dans un contexte de relance économique marquée, qui nécessite des financements importants pour accompagner la croissance retrouvée des clients, le financement des entreprises est plus que jamais une priorité des banques françaises, comme l’illustre la dynamique du crédit bancaire, notamment à l’investissement : celle-ci contribue à une croissance des crédits plus dynamique en France que dans l’ensemble de la zone euro, avec des taux d’obtention des nouveaux crédits de trésorerie au-dessus des niveaux d’avant crise.

Mais cette reprise et cette dynamique sont menacées par des évolutions règlementaires. Le secteur bancaire vit avec des règles qui se sont multipliées et sont de plus en plus détaillées, en matière notamment d’octroi de crédits et de procédures diverses. La transposition européenne des accords de Bâle n’est pourtant pas uniquement un sujet de supervision bancaire, c’est également un enjeu clé pour la défense de la souveraineté et de la compétitivité de l’économie européenne.

D’autant que vont s’ajouter des besoins considérables pour opérer une nouvelle « révolution industrielle ». En effet, les transformations écologiques et numériques constituent un défi qui nécessitera de consentir des investissements pour des montants considérables : 330 Mds€/an (source BCE) à 350 Mds€/an (source Commission Européenne) pendant au moins 10 ans pour la transition écologique.

Dans ce domaine, les banques françaises ont déjà arrêté de financer le charbon (il leur reste 2 Mds € d’exposition, contre environ 50 Mds € dans les énergies renouvelables). Certaines, peu présentes à l’international, ont pu prendre l’engagement de sortir complètement des hydrocarbures fossiles, mais de manière générale l’approche des banques ne consiste pas à apprendre à leurs clients à faire leur métier, mais plutôt à les aider à trouver des solutions de décarbonation spécifiques à leur situation, et de contribuer à une transition juste, globale et inclusive. L’enjeu de la transition environnementale est également humain dans la mesure où, dès 2016, l’Observatoire des métiers de la banque considérait que celle-ci pourrait impacter les deux tiers des postes dans le secteur[1].

V. : Et n’oublions pas l’enjeu de la digitalisation

M.A. : La BCE estime également à 125 mds €/an les besoins d’investissement nécessaires à la poursuite de la transformation digitale. Comme toutes les industries, nous devons en effet nous adapter constamment pour améliorer nos offres et la relation avec nos clients, aidés par les innovations technologiques; la crise sanitaire accélère et pérennise l’utilisation des services et outils numériques. Les banques doivent donc effectuer d’importants investissements pour disposer d’outils financiers et technologiques puissants et pour les utiliser avec agilité et une sécurité maximale.

La digitalisation des métiers bancaires, en cours depuis plusieurs années, s’accroît encore et dans un environnement dématérialisé et fortement contraint, les banques doivent répondre aux attentes multiples de leurs clients. Tous les grands réseaux pensent la complémentarité entre leurs agences bancaires et l’offre digitale. Ceci conduit naturellement les banques françaises à développer des solutions digitales, notamment via les applications ou le site internet, tout en assurant une présence physique. Si 96 % des Français consultent le site internet ou utilisent l’application de leur banque, l’accès à l’agence est toujours utile pour les Français, 74 % ayant d’ailleurs affirmé que l’ouverture des agences bancaires pendant la crise sanitaire a été un facteur rassurant (sondage IFOP, février 2021). Ce modèle est ainsi universel et inclusif, il s’adresse à tous les clients, sur tout le territoire, répondant aux différents besoins de ceux qui sont familiers des usages numériques comme de ceux qui ne le sont pas, aux opérations totalement digitalisables, et à celles qui demandent des interactions directes.

Le numérique permet ainsi de réinventer la proximité entre la banque et ses clients, une proximité qui peut être digitale et/ou physique selon les personnes et les situations. 83 % des Français estiment que la banque idéale doit laisser la possibilité à chacun de recourir à des services sur internet et en agence en fonction des besoins (IFOP février 2021). Il s’agit donc bien de complémentarité de ce modèle, à la fois humain et digital, de banque relationnelle de proximité. Le maillage territorial reste très fort, ce qui est d’autant plus remarquable dans un pays aussi étendu que le nôtre : 350 000 banquiers, quasiment 36 000 agences, 50 000 distributeurs et, surtout, des réseaux qui s’adaptent, se regroupent là où ils sont moins fréquentés, s’ouvrent dans des lieux dynamiques au plan démographique et avec une accessibilité qui est importante car 99 % des Français sont à moins de 10 minutes en voiture d’un point d’accès aux espèces.

A ces enjeux, s’ajoute celui majeur de la cybersécurité. En qualité de tiers de confiance, les banques sont garantes de la sécurité des fonds mais aussi, maintenant, des données des clients. L’investissement est massif dans la sécurité cyber et financière, car elle n’est pas négociable. La crise sanitaire et les confinements ont entraîné une hausse des attaques et piratages (chantage numérique à la webcam, rançongiciels…), et nous devons agir tous azimuts pour faire face aux innovations de l’insécurité, toujours au service de nos trois valeurs clés que sont la solidité, l’utilité et la proximité.

V. : Quel est l’impact de ces évolutions de l’environnement sur les métiers bancaires, en termes de qualification et de spécialisation ?

M.A. : La plupart des métiers se transforment, au travers de la digitalisation, du développement des nouvelles technologies (IA, blockchain…) et du renforcement de la spécialisation, de l’expertise pour répondre aux nouvelles exigences du secteur avec une montée en compétences généralisée. L’élévation du niveau des diplômes à l’embauche, conjuguée à la formation continue diplômante, fait évoluer fortement le niveau général de qualification de l’ensemble des collaborateurs, élevant la part des cadres dans les effectifs à 68 % en 2020.

Certains métiers, comme ceux de la data ou de la gestion de projet, prennent une importance capitale dans les entreprises du secteur. La part des métiers commerciaux représente près de la moitié des effectifs en 2020 et plus de la moitié des 40 000 recrutements que nous effectuons chaque année en CDI, devant l’informatique (14,4 %), le contrôle et les risques (9,4 %) et le back office (4,9 %). Les métiers « support » représentent 21 % des effectifs et des embauches en CDI en 2020, et ils continuent à recruter. Il s’agit des fonctions d’expertise (juriste, fiscaliste, contrôleur périodique, comptable, expert logistique, etc.) souvent pour des postes de niveau cadre.

Si une excellente maîtrise des compétences techniques restera un prérequis nécessaire à l’exercice des professions bancaires, les compétences comportementales, transversales deviennent particulièrement importantes pour renforcer l’employabilité des collaborateurs et fluidifier la mobilité. La banque française la mieux notée par ses clients est celle qui a le plus travaillé sur l’adéquation entre conseillers et clients. Ces derniers ont parfois le sentiment que leur conseiller ne dispose pas de marge de manœuvre, or il est important de faire vivre la dimension relationnelle dans un monde de plus en plus digitalisé.

Le secteur bancaire a également maintenu un effort conséquent de formation malgré la crise, en déployant l’essentiel de ses formations en ligne et en y consacrant en 2020 3,8 % de la masse salariale (vs 4,5 % en moyenne sur la période 2015-2019). Les banques permettent ainsi à leurs collaborateurs de développer leurs compétences et d’évoluer au sein de leur entreprise : en moyenne, 97 % des salariés du secteur ont bénéficié d’au moins une formation en 2020[2]. La promotion interne est très importante : les techniciens représentent 53 % des promotions alors qu’ils pèsent 32 % des effectifs ; 15 % des promus accèdent à l’encadrement. Les promotions concernent 60 % des femmes (versus 57 % des effectifs). L’Ecole Supérieure de la Banque (ESB) et les parcours internes constituent des moyens reconnus d’évolution dans la banque vers des emplois plus qualifiés. L’investissement en faveur de la qualification et de l’évolution professionnelle des collaborateurs au sein des banques est un enjeu majeur pour réussir leur transformation tout en préservant l’emploi.

V. : Le secteur bancaire fait face malgré tout à des difficultés de recrutement.

M.A. : Face à l’accélération des transformations et aux enjeux auxquels il est confronté, le secteur bancaire peut compter sur des fondamentaux solides. Employeur de premier plan, il s’adapte constamment via des dispositifs en faveur de la qualification et de l’évolution professionnelle des collaborateurs. Pour autant, comme de nombreuses entreprises françaises, les banques sont confrontées à des difficultés pour trouver les profils de cadres adaptés aux postes à pourvoir. Une des raisons est que la part des diplômés dans le domaine scientifique est très en deçà des besoins.

L’alternance constitue en ce sens un mode de recrutement efficace pour les entreprises – même si elle ne peut être la réponse unique -, permettant à de nombreux jeunes de bénéficier d’une formation en entreprise parallèlement à leur cursus universitaire, facilitant ensuite leur insertion professionnelle. Fin 2020, ils étaient plus de 15 000 alternants dans les banques.

La profession s’est également engagée dans la mise en œuvre d’un plan d’insertion dans le secteur bancaire des jeunes éloignés de l’emploi. Dans cette démarche, elle privilégie les partenariats avec le tissu associatif. Ainsi, le partenariat avec l’Agence pour l’Education par le Sport (APELS) permet à des jeunes talents issus de clubs sportifs, mais en marge du monde du travail, de devenir banquiers. Autre initiative, en partenariat avec le MEDEF et en lien avec l’association Wero/each One, la profession bancaire participe au parcours d’insertion dans l’emploi de réfugiés hautement qualifiés.

Il faut également souligner la difficulté à faire venir des collaborateurs sur des territoires isolés, pour pouvoir assurer le maillage fin qui caractérise le secteur bancaire français.

V. : Tu soulignes également la nécessité d’adaptation face aux évolutions culturelles et sociétales.

M.A. : La période de confinement général a été une expérience collective riche d’enseignements en termes d’adaptabilité, de créativité, de maitrise et d’engagement des managers et des équipes. Le sentiment d’utilité auprès de clients en difficulté (soutien, conseil, PGE…) a été source de fierté pour tous. Cette période inédite a accéléré des changements déjà en cours : digitalisation, efficacité opérationnelle, communication plus directe, nouvelle proximité, rôle du management. Elle fait également émerger des attentes et aspirations telles que la quête de sens au travail qui s’est renforcée avec la crise, un questionnement sur les différentes formes de travail avec l’adoption du télétravail à grande échelle, des salariés attirés par plus de flexibilité au travail, une généralisation du management hybride.

Si les organisations ont su montrer leur résilience à court terme, il est nécessaire désormais de réfléchir à des modes de travail qui vont sans doute se pérenniser. Un retour en arrière ne semble pas d’actualité, comme le laissent penser les accords de télétravail en cours de négociation ou les projets de réduction des surfaces immobilières de type flex-office ou néo-nomadisme. Côté client, les habitudes d’interaction à distance prises pendant les confinements grâce à la généralisation de certaines technologies vont perdurer. Le bénéfice client perçu est incontestable en termes de rapidité et de fluidité pour opérer des tâches sans valeur ajoutée particulière. Les évolutions des modes de travail liées à la crise sanitaire auront également des impacts sur les métiers et les compétences à développer pour y répondre.

A cela s’ajoutent, pour les banques, les enjeux liés à leur Responsabilité Sociale et Environnementale. Par leur mobilisation pour le climat et le financement de la transition énergétique, mais aussi leurs engagements pour l’inclusion bancaire, l’éducation financière ou l’insertion professionnelle, les banques occupent une place centrale dans la société.

V. : En conclusion, comment peux-tu résumer les principaux défis à relever pour le secteur bancaire ?

M.A. : La crise a démontré combien la banque est une industrie fondamentale de notre pays, un atout majeur à promouvoir pour continuer d’attirer des talents. Elle a mis en évidence la pertinence et la force de notre modèle de banque universelle, relationnelle de proximité, à la fois humaine et digitale. Ce modèle a permis, face à des situations très contrastées, de répondre de façon adaptée et personnalisée aux attentes des particuliers, professionnels et entreprises.

Notre travail, avec l’ensemble des acteurs de l’économie et les décideurs publics, s’appuie sur les valeurs qui nous animent : solidité, agilité, utilité :

– solidité, tout d’abord, parce que nous étions solides avant la crise, dans nos finances et nos structures, et que cela nous a permis de réagir très vite ; parce que la coopération interbancaire et la coordination avec le secteur public sont des réalités.

– agilité, ensuite, parce que nous sommes une industrie qui sait imaginer et s’adapter très vite, utilisant les retours clients pour s’améliorer.

– utilité, parce qu’il est impératif d’apporter à chacun les services nécessaires, essentiels, vitaux, pour des transactions en toute sécurité.

Les résultats de cette période sont là : une confiance élevée, un tissu économique préservé, et un endettement nécessaire, maitrisé, bien souvent compensé par une trésorerie excédentaire et une proximité au quotidien. Nous nous sommes engagés à les pérenniser.

 


[1] http://www.observatoire-metiers-banque.fr/f/etudes/sf/plus/s/croissance_verte_competences_vertes et Infographie 2 – Impacts du Green Business sur les compétences et les métiers de la Banque : https://www.youtube.com/watch?v=pJUKCgQNZhU

[2] https://www.fbf.fr/fr/lemploi-dans-les-banques/

Maya Atig
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