La comptabilité démographique réserve parfois un suspense digne des meilleurs thrillers : qui est le premier responsable de la croissance démographique française ? On observe depuis quelques années une diminution des naissances, une augmentation des décès et un accroissement de l’immigration. Où en est-on ? Notre natalité cède-t-elle devant les mouvements migratoires ? Ou pire encore, les décès l’emportent-ils sur les naissances ? On examine ici la situation sur la période 2014-2019, où les données sont à peu près consolidées. Les premières données de 2020 sont analysées, mais il faudra attendre encore pour dégager des tendances au-delà du choc sanitaire en cours.
Le temps des soldes
Janvier est traditionnellement un temps de publication de « bilans démographiques » [Bilan Insee 2020] et d’autres données, du ministère de l’Intérieur, relatives à l’immigration [ Communiqué Presse MI ]. La période est donc aussi celle où l’on examine les soldes naturels et migratoires. Citons encore la récente publication d’un ouvrage : « Immigration, ces réalités qu’on nous cache », signé d’un haut fonctionnaire[1] ayant œuvré au ministère de l’immigration. Oublions les polémiques et attachons nous aux constats et questions. Le constat est qu’il n’est pas facile de rassembler les données relatives aux migrations, éparpillées mais non cachées. Est-il cohérent de publier un solde migratoire de 50 000 personnes en même temps qu’une délivrance de premiers titres de séjour de l’ordre de 250 000 ? La démographie française est-elle tirée davantage par la migration que par la natalité ?
Des bébés, des décès et … des visiteurs
L’apparente simplicité des concepts démographiques se heurte à de nombreuses difficultés, plutôt techniques, mais loin d’être négligeables. La comptabilité démographique semble simple, sa mise en œuvre est redoutable. Comment la population d’un pays évolue-t-elle ? Il y a des naissances, des décès, de l’immigration et de l’émigration. Disons A = N-D +X, A étant l’accroissement de population entre deux dates, N, le nombre de naissances, D, le nombre de décès, et X, la résultante de l’immigration et de l’émigration. Ce « X » est ainsi « le solde migratoire », mathématiquement égal à : A – (N-D). Cette différence, N-D, est appelée le « solde naturel ».
Solde migratoire vs mesures de l’immigration : c’est compliqué !
Les soldes… se multiplient ! « X», l’apport extérieur, a une grande part d’inconnu. « X » est lui-même un solde, car il y a des personnes qui immigrent (disons « I ») et des personnes qui émigrent), disons « E ». X = I-E. Immigrées et immigrés peuvent être distingués par leur origine, ici leur nationalité, que l’on regroupe en trois catégories. La première rassemble les personnes d’une nationalité d’un pays hors Union européenne[2]. On parle de migration tierce, concernant les « pays tiers à l’UE ». Soit IT et ET, les immigrés ou émigrés de ces premières nationalités. La deuxième rassemble les personnes qui relèvent de la « libre circulation », soit les migrations intra UE : IL (pour immigrées et immigrés communautaires) et leurs homologues émigrants : EL. Enfin, il reste la nationalité du pays concerné (la France par exemple). Soit IN, ce sont les personnes « repatriées », nationaux qui reviennent dans leur pays, et EN, les « expatriées ». Finalement X porte bien son nom, car X= (IT-ET) + (IL-EL) + (IN-EN). La plupart des termes de cette équation … ne sont pas mesurés, mais au mieux estimés.
Et restons raisonnables : connaître à tout moment la population, par catégories, n’est pas possible : résumons alors l’équation de base : A = (N-D) + (IT-ET) + (IL-EL) + (IN-EN) + ε ;
Il y a forcément une erreur (ε), que l’on appellera ici « ajustement technique »). Notons qu’une erreur d’un petit pour cent sur une population d’un pays comme la France, cela représente 700 000 personnes….
Foin de théorie, une preuve par quatre !
Il se trouve que les quatre pays de l’Union européenne encore à 28 les plus peuplés illustrent très bien ces notions de soldes (voir tableau en annexe). Commençons par le Royaume-Uni. Sa croissance démographique est majoritairement due à une immigration soutenue, mais l’apport naturel est positif. La France est assez semblable, à ceci près que l’apport naturel est plus important que l’apport migratoire et que la croissance démographique est modérée. L’Allemagne connaît une croissance démographique soutenue en dépit d’un solde naturel négatif. C’est donc l’immigration qui soutient cette croissance, la venue de réfugiés n’en étant qu’une composante. Enfin l’Italie se caractérise par un solde naturel négatif que ne compense pas le solde migratoire. (On évoque juste la Roumanie qui connaît une décroissance démographique avec un solde naturel négatif et une émigration importante…). Toujours est-il qu’en dépit du vieillissement de la population qui induit une augmentation des décès, un relatif tassement de la fécondité, donc des diminutions des soldes naturels, la France reste quasiment le seul pays d’Europe dont la croissance démographique reste « tirée » par les naissances. Mais rien n’est jamais simple…
Des soldes en tous sens, c’est nul
Durant les cinq dernières années, la France a « gagné » 850 000 habitants. Comment la comptabilité démographique décompose-t-elle cet accroissement ? On constate près de 4 millions de naissances, mais aussi 3 millions de décès. Il y aurait donc un accroissement « naturel » de près d’un million de personnes. Ces données se comparent aux près de 2 millions d’immigrées et immigrés, mais aussi aux plus d’1,5 million d’émigrées et émigrés. Premier constat, le nombre de naissances surpasse encore largement le nombre d’immigrées et immigrés. Deuxième constat, le solde naturel reste de l’ordre du million (sur cinq ans), assez faible, mais plus important que le solde migratoire. Passons sur les sujets techniques, qui aboutissent à un solde de 250 000 personnes : les fameux + 50 000 / an. Soit + 0,4 % de la population en cinq ans, autant dire très peu. Troisième constat, la migration, cela suppose certes une immigration, des gens qui viennent, mais aussi une émigration, des gens qui partent. Et le solde migratoire sera d’autant plus élevé que… l’émigration est faible. Enfin, on a vu qu’il est pertinent de décomposer les mouvements migratoires suivant la nationalité, soit au moins six « flux ». Actuellement, ces flux se compensent à peu près, d’où un solde très faible. Et l’on observera qu’il suffit que l’une de ces grandeurs varie de quelque milliers ou dizaines de milliers pour que le solde total, variant d’autant, bouge peu en valeur absolue, mais relativement… beaucoup.
Quand les Français essaiment …
Longtemps, y compris ceux qui se lèvent tôt, les Français étaient casaniers. Cela a changé (voir Etude expatriation). On constate que beaucoup de Françaises et Français s’expatrient, n’étant donc pas les derniers à participer à un mouvement mondial de migrations en augmentation. Ils et elles seraient 1,4 million à avoir quitté la France depuis 5 ans. Ces mouvements ne sont pas aussi marqués que dans la plupart des pays de l’OCDE, mais on ne peut les oublier dans notre équation. Il s’agit de mobilité plus que d’installation dans des terres lointaines : le flux de « repatriation » est presque de la moitié. Au final, c’est près de 700 000 nationaux qui, en solde (négatif, il s’agit de « IN-EN »), ont quitté la France en cinq ans. Les personnes ressortissantes de l’UE qui immigrent ou émigrent sont nettement moins nombreuses (surtout en comparaison de l’Allemagne), mais le solde (« IL-EL ») est positif et de l’ordre de 300 000.
Les titres délivrés par le ministère de l’intérieur ne mesurent au mieux que « IT »
Le ministère de l’intérieur publie chaque année en janvier et juin diverses données qui reflètent d’abord son activité : délivrances de visas, délivrances de titre de séjour, recensement et traitement de la demande d’asile, notamment. Le nombre de « premiers titres » attire particulièrement l’attention. Plus précisément, il s’agit de titres de validité supérieure à un an délivrés pour la première fois à des ressortissants d’un pays tiers à l’Union européenne[3], mais on y ajoute les titres délivrés aux étudiantes et étudiants, les premières un peu plus nombreuses que les seconds. Cette donnée est parfois reprise comme « le flux migratoire vers la France » dans le débat public. C’est inexact. Notons que l’on omet les flux d’immigration communautaire, dont la « repatriation ». Les étudiantes et étudiants ne devraient pas être comptés, ou seulement partiellement (si elles ou ils restent en France après leurs études). Autre difficulté, la délivrance du titre ne correspond pas à l’entrée effective sur le territoire : changements de statuts (demandeurs, plus rarement demandeuses d’asile qui deviennent des réfugiés, personnes munies de visas qui s’installent, étudiantes et étudiants qui obtiennent un titre familial ou économique, …). La durée d’instruction d’une demande est parfois longue (Collection Infos migration, voir numéro 98), de quelques mois à… une dizaine d’années. Typiquement, il s’écoule trois ans entre l’arrivée en France du demandeur d’asile et l’obtention d’un titre de réfugié, par exemple. « Réconcilier » les données démographiques et les données administratives est complexe ( Article Arbel-Costemalle).
Quand les titres ne mesurent pas si mal l’immigration tierce
On estime donc à un peu moins de 800 000 le nombre d’immigrantes (légèrement majoritaires) et immigrants venus d’un pays hors UE (« pays tiers ») tandis que 150 000 ressortissants de ces pays ont quitté la France, depuis 5 ans. Notons qu’il y a cinq fois moins d’immigrés venus de ces pays que de naissances, et que le solde migratoire spécifique est inférieur au solde naturel : la France reste bien un pays dont la démographie est d’abord tirée par l’excès de naissances sur les décès. Le ministère de l’Intérieur publie les « premiers titres délivrés », soit 1 160 000 pour la période étudiée. Les diverses considérations techniques déjà mentionnées dont la principale est que les titres étudiants ne doivent être comptés que partiellement ramèneraient ce total… aux alentours de… 800 000 ! Il ne s’agit pas de prouver que la comptabilité démographique est parfaite, mais au moins, voit-on que les diverses données disponibles sont cohérentes. Du moins si les mouvements démographiques sont exempts de chocs.
Une nouvelle donne à partir de 2020 : un solde migratoire en augmentation (?)
Quels sont alors les premiers éléments dont on dispose depuis peu ? Les tendances se confirment : hausse des décès du fait du vieillissement de la population. Celui-ci induit aussi une baisse de la fécondité (moins de femmes en âge d’avoir des enfants). Au total, donc, moins de naissances. A cela s’ajoute le choc de la crise sanitaire en cours, surmortalité, moindres mises en couple, et probable choc de natalité. L’Insee abaisse le solde naturel de 140 000 (2019) à 82 000. L’analyse des données consolidées relève le solde migratoire à 155 000 en 2017, alors que la prévision était de 46 000. Il est encore trop tôt pour savoir si cet écart est plutôt dû à plus d’immigration, moins d’émigration, … L’Insee publie des données sur l’immigration chaque année (Insee Nombre d’immigrés) jusqu’en 2019. On observe bien un petit choc sur l’évolution du nombre d’immigrés (ce dernier est de l’ordre de 6,5 millions), soit +150 000 en 2017 alors que cette évolution était de l’ordre de + 120 000 par an durant les années précédentes. . Il pourrait s’agir d’un premier élément d’explication. L’Insee ne peut encore confirmer s’il s’agit d’un choc ou d’une tendance. Cela induit encore les prévisions pour 2018-2019-2020 à 87 000[4], puisque ce niveau est extrapolé à partir des données antérieures. On aurait donc un solde migratoire supérieur au solde naturel en 2020.
Moins de bébés, moins de pionniers
Les données du ministère de l’intérieur permettent aussi d’anticiper un choc de la pandémie sur les migrations : chute des visas (- 80 %), de la demande d’asile (-40 %) et de la délivrance de premiers titres (-20 %). La crise a évidemment ralenti l’activité du ministère, rendu plus difficiles les démarches d’étrangers déjà présents, mais aussi ralenti voire arrêté les voyages et franchissements de frontières, comme le laissent supposer les deux premiers indicateurs. On s’attend donc aussi à une baisse de l’immigration en 2020 et… à une baisse de l’émigration. Qu’en sera-t-il du solde ? L’Insee devrait publier la donnée définitive début 2024[5]. Espérons que l’on aura d’ici là déterminé si les événements en cours sont conjoncturels ou plus durables …
Pour une fois les Anglais n’y sont – presque – pour rien
Enfin, il convient de considérer l’effet possible du Brexit sur les évolutions démographiques. L’immigration de ressortissantes ou ressortissants venus du Royaume-Uni est loin d’être négligeable (Etude Insee effet Brexit) : cette étude précise que « selon les sources consulaires : fin 2016, environ 350 000 Françaises et Français vivent au Royaume-Uni et 400 000 Britanniques vivent en France ». Le Royaume-Uni fait partie des principales destinations de l’expatriation française. Toutefois, les mouvements migratoires n’ont guère été affectés par la perspective (qui se concrétise en 2021) du Brexit. Signalons quand même que près de 4 000 Britanniques ont obtenu la nationalité française en 2019, la moyenne 2009-2015 étant d’environ 300… En termes démographiques, le Brexit, c’est nothing ado about nothing.
La démographie est un sport où, à la fin, ce sont toujours les bébés qui gagnent
Les naissances surpasseront encore pendant plusieurs années le nombre de personnes immigrant en France. Le solde naturel est en baisse, en premier lieu du fait du vieillissement de la population. Le solde migratoire pourrait donc le dépasser « structurellement », ce qui serait un changement démographique majeur. Encore faut-il bien comprendre les composantes de ce solde, dans le contexte général de migrations (immigration et émigration) en augmentation… sauf par temps de crise sanitaire.
Annexe : tableau de comptabilité démographique, période 2014-2019
Rappelons l’équation de base : A = (N-D) + (IT-ET) + (IL-EL) + (IN-EN) + ε ;
Cet article a été initialement publié le 8 février 2021.
[1] M. Patrick Stefanini ; Celui-ci présente les idées forces de son ouvrage dans une interview accordée à l’hebdomadaire le Point ici
[2] Soit l’UE 28 incluant le Royaume-Uni, toutes les données mobilisées pour cet article étant antérieures au 31/12/2020.
[3] En fait de pays dont les ressortissants sont dispensés de titres de séjour, soit l’UE et l’espace économique européen (EEE) qui inclut l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse.
[4] Cette valeur est calculée comme la moyenne des trois dernières observations (2015-2016-2017) et constitue donc l’estimation provisoire pour 2018-2019-2020.
[5] La comptabilité démographique fait durer le suspense….
- Une ressource convoitée : l’immigré qualifié - 25 septembre 2023
- Immigration en France, l’approche « administrative », bien différente de l‘approche démographique, enfin détaillée. - 17 septembre 2021
- Des bébés ou des pionniers ? - 12 août 2021
L art et la manière d obscurcir le debat. Il suffit d appliquer des pourcentages (connus) a la constitution progressive de stocks :
1. 95% des immigres illegaux ou deboutes du droit d asile condamnes a quitter le territoire ne le font pas
2. La majorite des etudiants en provenance des pays a plus bas taux de protection sociale ou opportunites (la majorite) restent illegalement
3. Il en va de meme des faux touristes et faux malades
Pour completer, utiliser les statistiques de l AME.
Ca donne une entree de l etranger de plusieurs centaines de milliers par an.
Pour les sorties, on peut comparer les sorties d ecole superieur aux entrees dans l emploi. Les peu diplomes restant en France pour toucher le RSA, et les etrangers aussi, donc le solde negatif des etudiants qui ne commencent pas a travailler en France sont des Francais qui s expatrient. Quelques dizaines de milliers.
Bien qu’ayant travaillé de nombreuses années sur divers sujets démographiques, je ne désespère pas de m’améliorer encore, ou de combler mes lacunes les plus criantes, si l’on préfère. Toute remarque précise susceptible de compléter mes connaissances est donc la bienvenue.
Quels sont les pourcentages « connus » à appliquer : numérateur, dénominateur, valeur, et en quoi permettent-ils d’évaluer les flux migratoires, objet principal de mon propos ?
Les illégaux sont en large partie pris en compte dans le recensement, certes pas forcément dans l’estimation de l’année, mais après quelques années, ils le sont très certainement : c’est précisément mon propos que d’utiliser des sources comme le recensement, qui s’affranchissent de contraintes « légales ».
Je n’ai pas trouvé de sources qui montrent que les étudiants « en provenance des pays a plus bas taux de protection sociale, … », restent illégalement, mais je suis preneur. En revanche, il y a des sources qui indiquent que les étudiants venus des pays hors UE ne restent qu’à hauteur de 30%, au bout de 10 ans.
Les statistiques de l’AME sont largement publiées. Elles ne sont pas de grande utilité dans mon propos car il s’agit d’un « stock » et elles ne permettent pas de caractériser les « entrées » (nombre de nouveaux bénéficiaires) dans l’année et les « sorties » (personnes renonçant à l’AME, qu’elles quittent la France, qu’elles soient régularisées, qu’elles ne présentent plus de pathologies (décès ou guérisons, etc ..).
Les « overstayers » (soit les personnes qui entrent avec un titre / visa de touriste, …, et qui restent au-delà de la durée légale prévue) ne sont nullement ignorés des statisticiens en charge des données de l’immigration. Là encore, sauf à supposer que des millions de résidents échapperaient aux différents systèmes d’observations (des centaines de milliers par an, ça fait des millions après une décennie….), on finit par les compter dans le recensement.
Il va de soi que l’estimation du solde migratoire n’est pas parfaite, et que, par nature, ce sont plutôt les illégaux qui échappent aux instruments d’observations.
J’aurais évidemment préféré lâcher un scoop (Variances n’en aurait peut-être pas été le canal privilégié…) : tous les chiffres de l’immigration sont faux, je vous donne les vrais (moyennement un gros chèque, faux pas exagérer) : hélas, mes petits calculs prouvent que si c’est le cas, ce ne sera pas facile à prouver.
Cordialement
Avez vous fait des études sur les apports et soldes dues aux français dont les parents ou au moins l un des 2 étaient immigrés ?
Ouch et décidément ! Mon pauvre petit article déclenche des questions redoutables (et pertinentes) ! Après les plus ou moins clandestins, v’là les plus ou moins autochtones… Oui, les démographes et statisticiens ont tout à fait conscience qu’il serait pertinent de distinguer, notamment, les descendants d’immigrés suivant qu’ils ont un ou deux parents immigrés. Mais c’est du boulot (adresser vos chèques à Variances, qui fera suivre …) et rien n’est simple. Premier point, technique. Le dénombrement et les caractéristiques socio-économiques de la deuxième génération n’est pas du ressort du recensement, mais des enquêtes structurelles de l’Insee, l’Ined, ou d’autres organismes parties prenantes. En cause, les questions de « statistiques ethniques », jusqu’à présent considérées comme excessivement intrusives et renvoyant à des origines qui commencent à être lointaines (celles des parents, voire au-delà). En conséquence, le recensement ne recueille pas les données d’origines (lieu de naissance et nationalité des parents). Mais c’est fait pour des tas d’enquêtes, dont l’enquête emploi. On a donc plein de données sur les descendants d’immigrés. Hélas, et c’est le deuxième point, pas assez de temps et de ressources pour les examiner ! Il y a toutefois quelques études (et j’avoue avoir participé à certaines) sur le sujet. Taper « Etre né en France d’un parent immigré », dans votre moteur de recherche favori, lire l’étude de notre estimée alumni Chatal Brutel et …. la biblio. Question stock, on sait des choses. Un peu moins de la moitié des descendants d’immigré n’ont qu’un seul parent immigré, la question de l’endogamie indirecte (mariages entre immigrés et descendants d’immigrés ayant une origine commune) est traitée dans l’ouvrage « immigrés et descendants d’immigrés, Insee », ça date un peu (2012). Notons que personne ne s’intéresse aux Limousins qui épousent des descendants de Limousin, ce que je déplore fortement. Tout cela se décline par origine avec le décalage temporel naturel : beaucoup de descendants avec des origines « Europe du Sud » (les origines majoritaires de l’immigration d’il y a 30-50 ans), puis d’origines maghrébines (en lien avec les vagues migratoires plus récentes), encore peu de descendants d’origine d’Afrique Occidentale. Ce qui conduit à la question des flux. Pas d’études exhaustives à ma connaissance, mais on sait que la « dynamique » est favorable aux mélanges. La part des personnes qui ont au moins un parent immigré augmente tendanciellement. En cause, la fécondité des immigrées, bien sur. Un facteur qu’il ne faut ni négliger ni surestimer, comme le montre une étude toute fraîche de l’Insee (signée Fabienne Daguet). Deuxième facteur, la pyramide des âges des immigrées, c’est étonnant, mais on migre rarement en tant que bébé ou en tant que grabataire. Il en résulte un apport démographique démultiplé par la « concentration » des immigrées dans les âges où l’on a des enfants (Voir biblio déjà citée). Troisième facteur loin d’être négligeable, l’exogamie. Un immigré et un non immigré engendrent des descendants d’immigrés (le solde est donc fonction croissante du nombre … de non immigré) et les descendants sont eux-mêmes assez exogames. On n’est pas aux US, où l’on trace des descendants de Suédois depuis 6 générations, avec un simple coup d’oeil.
Vous aurez compris que je ne connais, hélas, pas grand-chose à ce sujet, mais qu’il me passionne. Cordialement
Merci de ta réponse détaillée…
Pour , par exemple les Limousins- ou d’ autres, les sites départementaux des archives ADsuivi du numéro du département ,sont en accés libre et immédiat…et les fichiers d’ état civil mis quasi partout en ligne( Doc à partir de 1920)…Ils fournissent les actes de naissances-décès, mariages.;;;A partir de là des études peuvent être conduites, à minima individuellement….
Merci pour cette étude intéressante sur un sujet complexe et sensible. En synthèse j’en conclus que grosso modo en 5 ans nous avons « échangé » 10% de nationaux par 10% de tiers. Il serait intéressant de savoir si la période étudiée est tendancielle sur longue période auquel cas 2024 pourrait être un point d’orgue de l’ouverture du pays depuis 1974. Votre avis?
En fait c’est 1% et pas 10% et le point d’orgue devient un premier mouvement pour rester musical!
Votre remarque n’est pas très facile à comprendre. Il y a clairement des tendances (qui dépassent les comportements franco-français) : moindre fécondité dans les pays développés, dont la France, même si celle-ci reste sur des niveaux proches du « renouvellement naturel » / accélération des mouvements migratoires. Donc oui, le thème de base est bien que la dynamique démographique est de plus en plus soutenue par les mouvements migratoires, aux dépens de la fécondité des « natifs » (dont le parents peuvent être immigrés, histoire de complexifier l’analyse …). Les tendances sont assez claires et la période 2000-2020, marquée par une accélération des migrations, devrait se prolonger quelques années encore. Soyons prudents, toutefois, une micro-crise sanitaire (la covid a tué 0,1 % de la population mondiale) a eu un impact majeur sur les migrations (les chiffrages sont en cours …), disons – 25 % sur les mouvements structurels, une division par 10 des mouvements conjoncturels (je dis bien « DIVISION PAR 10 »). Pur que l’on ne se méprenne pas sur la qualification de « micro-crise », deux points : la « gripette covid », outre les 100 à 150 000 morts en France, c’est 500 (chiffre à préciser) milliards de coûts. (A mon avis plus, à voir…). On est dans un facteur 10 ou plus en dessous de la grippe espagnole de 1918-1920. Pour résumer ma proposition de réponse, tendances actuelles claires en matière de substitution « migrations / démographie autogène », mais on voit bien que des chocs dont on estime pas encore la portée réelle ont un impact démographique majeur. A suivre….
Synthèse très intéressante, soulignant la difficulté à cerner ces données et leurs explications.
Pourquoi les stats de stocks (population) et de flux explicatifs génèrent des écarts si importants en France et en Italie alors que UK et Allemagne sont très corrects.
Ceci montrerait que :
– les Français sont les moins casaniers (à l’opposé des Italiens, mais l’Italie est un très beau pays), et que la force de rappel vers le pays d’origine est moindre pour les Français et les Italiens (quand ils partent, ils reviennent moins),
– l’Allemagne comme l’UK fut beaucoup plus ouvert à l’immigration européenne et encore plus l’immigration tierce que l’Italie et la France.
Le rapprochement avec l’économique (variation du PIB) serait intéressant, car pour maintenir un PIB par tête équivalent, l’UK (comme les US) sur la même période (et dans une moindre mesure) aurait du connaitre une croissance annuelle de +0,5% par rapport à la France, et +0,8% par rapport à l’Italie.
Merci pour cette synthèse.
Votre commentaire suggère diverses pistes d’analyse intéressantes.
A) Sur le plan comptable, que les données de tel ou tel pays soient cohérentes relève plus du souci de les harmoniser avant transmission à Eurostat que de réelles difficultés à les mettre en cohérence. De toutes façons, ces difficultés sont importantes.
B) Les enjeux d’analyses des migrations internationales sont maintenant plus en termes de mobilités que de « départs définitifs ». On se souvient qu’en effet, Européens du Sud ont migrés en Amérique (du Nord ou du Sud) quasi autant qu’Européens du Nord, avec des taux de retours significativement plus élevés (nourris par ceux qui avaient réussi, cf les « Barcelonettes » par exemple) que les Européens du Nord. Je n’ai pas de références sur l’attrait du pays natal (la force de rappel), je suppose que les principes de base des forces qui induisent les migrations s’appliquent aussi (différentiel de conditions économiques et politiques en premier lieu).
C) Il est assez convenu que le cycle économique détermine les flux migratoires : le dynamisme éco d’une région génère une force d’appel.
C’est largement vrai et assez bien documenté. Ça marche moins bien pour des pays comme la France ou d’autres pays voisins, car l’attrait économique se juxtapose avec d’autres (le welfare magnet cher à Borjas, les conditions politiques jouent aussi).
D) En revanche, à ma connaissance, le dynamisme économique ou sociétal induit par les émigrations est assez mal documenté. Il y a certes de nombreux travaux là-dessus, notamment le rôle des diasporas. Se faire une idée d’ensemble me semble compliqué, mais je suis preneur de références…
Bonjour,
ne le prenez pas mal, je voudrais juste signaler cette portion de phrase, dont je ne sais si on doit la qualifier d’oxymore, d’antiphrase, ou autre chose :
« leur nationalité, que l’on regroupe en trois catégories ».
Il me semble que j’aurais préféré « leurs nationalités, que l’on répartit [ou regroupe] … ».
Ne le prenez pas mal, considérez cela comme le signe d’une lecture attentive 😉
Allez, bonne journée !
On lit, relit, rerelit , … nos textes avant publi. Et dès publication, horreur, la méga-coquille qui saute aux yeux, qu’on avait pas vue ! Vous avez tout à fait raison et nous somme désolés, moi le premier, d’avoir laissé passer ce genre de faute (J’espère, sans trop y croire, qu’il n y’ a en pas dans ma réponse, parce que là, c’est la honte). Bien à vous.