Les sujets d’immigration ne se résument pas aux naufrages en Méditerranée ou Manche, ou encore aux camps de migrants. L’immigration de travail, dont beaucoup d’aspects sont méconnus, mérite également une grande attention. Des analyses récentes nous révèlent tout ce que nous devrions savoir sur l’immigration (très) qualifiée.

Un éclairage récent d’aspects économiques de l’immigration

On propose ici une note de lecture d’une note disponible depuis début novembre 2021 sur le site du CAE[1],  signée par Emmanuelle Auriol[2] et Hillel Rapopport[3]. Le CAE publie rarement des analyses sur les aspects économiques de l’immigration. Par ailleurs, les travaux sur l’immigration émanent plus souvent de démographes, anthropologues, sociologues, chercheuses et chercheurs en sciences politiques, …, plus rarement d’économistes. La note est donc d’autant plus précieuse. Elle est accompagnée de 4 « focus » qui complètent une analyse économique fouillée de l’immigration de travail.

Depuis une vingtaine d’années les gouvernements successifs se sont efforcés de promouvoir une immigration qualifiée, avec des succès mitigés. Cet objectif est repris par les gouvernements nommés sous la « Présidence Macron » depuis 2017. Le débat public a beaucoup porté, depuis 2015, sur les différences entre immigration humanitaire et immigration économique. En effet, cette année-là, une crise migratoire majeure conduit des millions de Syriens à émigrer, en raison d’une guerre civile qui sévit dans le pays. La France n’a été que peu concernée par cette crise, au contraire de l’Allemagne.

Il est donc important de disposer de données et d’études récentes, ce qu’on fait les économistes autrices et auteurs de cette note et ces focus. On résume ici les enseignements qu’ils en tirent, en ce début de campagne pour la présidentielle 2022.

Les cinq documents sont :

« L’immigration qualifiée, un visa pour la croissance »

« Immigration et difficulté de recrutement »

« Immigration et finances publiques »

« Immigration et innovation« 

« Impact économique de l’accueil des réfugiés »

Résumons le point de vue des auteurs :

De façon générale, l’immigration a un impact positif sur la croissance économique, mais certaines conditions sont nécessaires pour qu’il en soit ainsi. Ces conditions ne sont pas réunies dans le cas de la France. Par ailleurs, les auteurs déplorent que le débat public se base sur des faits erronés et porte trop sur des questions identitaires et sécuritaires. Ils produisent une analyse conduisant à des recommandations opérationnelles.

Une immigration perçue selon des prismes très réducteurs

Ne considérer que l’immigration de travail est très réducteur car celle-ci ne représente qu’une petite partie de l’immigration totale. De même, l’analyse de l’immigration humanitaire (dont l’impact économique est donc analysé dans l’un des documents) n’apporte qu’un éclairage partiel. Toutefois, cette analyse est importante car les populations de réfugiés ont des caractéristiques (en termes de capital humain) assez différentes des autres migrants.

La perception communément admise est que les immigrés sont nombreux. Celle-ci est largement faussée du fait que les immigrés sont très concentrés sur le territoire, dans les grandes aires urbaines, notamment en Île de France.

De façon plus pertinente, il convient de considérer le niveau de qualification des immigrés. L’immigration qualifiée est, comme l’attestent de nombreuses études empiriques, un vecteur de croissance, en stimulant l’innovation, la création d’entreprise et les échanges internationaux.

Le constat est sans appel : l’immigration vers la France est relativement peu qualifiée et peu diversifiée quant aux origines ? Ceci s’apprécie par rapport aux autres pays de l’OCDE, qui n’attirent pas la majorité des migrants internationaux globalement mais en revanche « captent » la majorité des migrants qualifiés.

Apports économiques de l’immigration

Il est rappelé que, globalement, l’impact de l’immigration sur les finances publiques est faible (de l’ordre de 0,5 % du PIB dans la plupart des pays de l’OCDE, dont la France). L’impact sur les salaires est également proche de zéro. Enfin, les travailleurs immigrés sont complémentaires (aux travailleurs natifs), qu’ils soient non qualifiés (emplois de services ou d’ouvriers non qualifiés) ou qualifiés. Des analyses des caractéristiques de l’immigration qualifiée, par exemple, la surreprésentation des entrepreneurs, l’impact sur l’innovation, sont plus rares et l’étude apporte un éclairage bienvenu sur ces points. Assez logiquement, l’immigration qualifiée est aussi un facteur dynamisant pour les exportations, les investissements, du fait de liens facilités entre pays d’origine et pays d’accueil. Pourtant, ce fait est rarement évoqué dans le débat public.

Les recommandations

La note comporte des recommandations assez précises, donc implémentables, elles aussi rarement portées dans le débat public. Elles sont résumées ici :

  • Moderniser (pour simplifier et accélérer) les procédures de visas émanant des entreprises.
  • Sécuriser les critères d’admissibilité en les rendant clairs et prévisibles.
  • Introduire un « système à points », tenant compte des études, de l’expérience, des compétences linguistiques, notamment.
  • Evaluer le « passeport talent », mis en place à la suite d’une loi de 2016, accélérer son déploiement.
  • Inciter les établissements d’enseignement supérieur français à adhérer au label « bienvenue en France », à développer les cours en anglais.
  • Faciliter le « changement de statut » entre étudiants, notamment très qualifiés, et détenteur d’un titre de séjour pour motif économique, familial, …

Ces recommandations reprennent certains aspects classiques, notamment favoriser la venue et l’installation d’étudiants. Elles sont parfois originales, du moins en France.

Contextualisation

Un paradoxe : une population d’origine (jusqu’à deux générations) nombreuse, des flux très modérés

En effet, la plupart des analyses relatives à l’immigration en France, qui paraissent dans les média, portent sur les flux d’immigration, en mettant l’accent sur les flux de personnes en situation irrégulière (ou supposées telles) et originaires de pays d’Afrique, et aussi, plus récemment, du Moyen-Orient, en crise politique ou économique (l’une allant avec l’autre). Rappelons quelques ordres de grandeurs : la population immigrée en France est de l’ordre de 6 millions de personnes. On y ajoute 7,5 millions de personnes dites « descendants d’immigrés », soit les personnes, françaises, dont au moins un parent est immigré. C’est donc près d’un résident français sur cinq qui a des origines étrangères, une part importante en comparaison des autres pays de l’Union européenne.

Depuis le début des années 2000, la population immigrée augmente, en mien avec l’accélération des migrations internationales. Par ailleurs, la population de deuxième génération est également en croissance, assez soutenue[4]. Au total, la population d’origine étrangère suit une trajectoire démographique dynamique. Mais le fait statistique majeur n’en n’est pas moins que les flux migratoires vers la France sont en-dessous de la moyenne observée dans les pays de l’OCDE.

Une vision faussée quant aux « migrants économiques »

Près de 2,7 millions de ces personnes sont actives. Le flux annuel d’immigration est de l’ordre de 300 à 350 000 personnes, dont à peine un peu plus de la moitié provient de pays hors Union européenne.

Parmi les personnes qui immigrent (légalement) en France, d’origine extra Union européenne, la part la plus importante relève de l’immigration familiale (il s’agit de conjoints de Français, beaucoup plus que de personnes qui relèvent du « regroupement familial » qui permet à des étrangers de s’installer, en couple ou en famille, sur le territoire français). Les migrations humanitaires et « économiques » ne viennent qu’en second lieu.

Bien évidemment, les migrants familiaux s’insèrent sur le marché du travail, leur caractéristique étant d’être complémentaires et non substituables aux travailleurs « natifs ». Ce point est fondamental pour comprendre la faiblesse de l’impact de l’immigration sur les finances publiques. Ces migrants, ainsi que les migrants humanitaires, sont généralement peu qualifiés, voire assez peu familiers de la langue française.

Une focalisation des débats sur des points secondaires, 1, les immigrés clandestins

Les flux de demandeurs d’asile génèrent nombre d’incompréhensions dans le débat public. Un demandeur d’asile n’est pas, juridiquement, un immigré, car son droit à résider en France (voire à y travailler) est provisoire, dans l’attente de la décision de lui octroyer un statut de réfugié ou de personne protégée.

En conséquence, il apparaît que les demandeurs d’asile déboutés sont nombreux (en proportion, c’est vrai) et alimentent un stock considérable de personnes présentes illégalement en France. Il est bien sûr impossible de chiffrer l’immigration clandestine.

Cela permet à divers personnalités, politiques ou issues du monde de la recherche, de donner des estimations très différentes…. La plupart se situent dans la fourchette 300 000 à 900 000. Une estimation à 600-700 000 semble donc un moyen terme, et ce chiffre est en effet proche des estimations faites par le monde de la recherche.

Cela signifie donc … que 90 % des immigrés sont en situation légale.

Et 2, les migrants économiques (encore)

Les migrants économiques font l’objet de toutes les attentions des pouvoirs publics (avec le risque d’une attention exclusive …). En 2019, il y a eu un peu moins de 40 000 titres délivrés. Cela correspond à environ 10 % du flux migratoire total. Encore faut-il noter que parmi ces 40 000 titres, on compte une part importante de régularisations (qui concerne des immigrés parfois présents depuis plus de 10 ans sur le territoire français). Il y a également un nombre de l’ordre de 10 000 étudiants qui s’installent comme migrants économiques.

Que retenir ?

Améliorer les conditions d’entrée des immigrés économiques est un enjeu fort, et des pistes concrètes sont proposées. Il convient cependant d’élargir les points de vue et les débats, car l’immigration économique ne se limite pas à un sujet de titres de séjour. Les débats pour la prochaine campagne présidentielle seront d’autant plus pertinents que les éclairages porteront sur l’immigration dans son ensemble et non quelques aspects surmédiatisés.

 

Cet article a été initialement publié le 2 décembre 2021. Il est présenté ici dans une version très légèrement modifiée par son auteur.


[1] Conseil d’analyse économique, un Conseil rattaché au premier ministre, rassemblant des économistes confirmés

[2] Ecole d’économie de Toulouse

[3] Ecole d’économie de Paris

[4] Le dynamisme de la 2G tient surtout à une « concentration des immigrés dans les âges féconds ».