Le service statistique rattaché à direction générale des étrangers en France (DGEF), elle-même sise au ministère de l’Intérieur, publie pour la première fois un bilan complet de l’activité de cette direction. Conformément à une tradition bien ancrée, les intitulés entretiennent une confusion sur la nature des données publiées. L’ouvrage est titré : « Les chiffres clés de l’immigration, 2019, en 28 fiches ». Si cet ouvrage de référence sur la situation de l’immigration en France comble un manque et contient de nombreuses informations indispensables, il convient de le considérer comme un bilan de politiques publiques et non comme une étude démographique. Ainsi, toutes les données publiées comportent beaucoup de détails sur les origines (zones ou pays d’origine des étrangers venant en France) mais le fil directeur est clairement de suivre les catégories juridiques qui donnent droit à l’accès au territoire national. Et celles-ci sont complexes.
Rappelons le contexte institutionnel : le ministère de l’Intérieur, plus précisément la DGEF, est en charge des politiques de police des étrangers (cela inclut la politique d’expulsion), d’accueil et d’accompagnement des étrangers s’installant en France, d’asile et d’une partie des octrois de nationalité française. Il s’agit d’une très grande partie des politiques « d’immigration », mais pas de la totalité. Par ailleurs, en démographie, une personne immigrée n’est pas nécessairement étrangère (notamment si elle a acquis la nationalité française). A rebours, la politique des visas concerne des étrangers qui passeront quelque temps en France , sans s’y installer : ils ne sont pas immigrés.
L’ouvrage contient donc les données 2019, dernière année avant la crise sanitaire. Une première partie comporte 3 fiches de contexte démographique (données Insee ou d’autres instituts nationaux) permettant de situer la présence d’immigrés en France (et par région), de comparer les données (sur les étrangers) françaises avec celles d’autres pays européens, tant en termes de « stocks » que de « flux ».
Une grande partie de l’ouvrage (13 fiches) est consacrée aux divers « titres de séjour » que doivent détenir les étrangers « ressortissant d’un pays tiers » à l’Union européenne (abrégés en RPT). Plus précisément, outre les 28 pays de l’Union européenne, incluant le Royaume-Uni, toujours membre en 2019, la législation française dispense de titres les ressortissants de 4 autres pays : l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse. Ainsi, autre écart avec la vision démographique, rien ou presque n’est dit concernant les ressortissants des 31[i] pays cités, immigrés en France, qui représentent un peu plus de 30 % du total. Deux fiches déclinent les 3 millions et quelques de titres suivant la nationalité du détenteur, mais aussi et surtout suivant les catégories juridiques qui en fondent la légitimité. A noter qu’il n’y a pas adéquation parfaite entre nombre de titres et nombre d’étrangers : le détenteur d’un titre peut vivre hors de France, les mineurs RPT n’ont pas besoin de titres (en général). Fort heureusement les fiches sont claires et proposent les définitions et explications utiles, avant de comporter les tableaux de données.
Le chiffre magique, « 274 676 titres délivrés pour la première fois », apparait dans la fiche 7. Repris à l’envi par les media et certains responsables politiques comme LE chiffre de l’immigration (ce qu’il n’est en rien), il est introduit de façon synthétique avant que les fiches suivantes ne le détaillent suivant les motifs de délivrance, principalement le motif familial, le motif humanitaire, enfin le motif économique. Paradoxe, la fiche 8 traite de l’immigration étudiante, que la lectrice attentive ou le lecteur attentif classera précisément comme hors champ de l’immigration. On continue la lecture, technique, mais toujours bien guidée, avec les délivrances de titres par type (essentiellement le critère de durée de validité, matinée de critères géographiques car rien n’est jamais simple). La fiche 16 clôt ce chapitre avec les données sur « l’admission exceptionnelle au séjour, AES », parfois simplifiée en « régularisation » que quiconque doit lire s’il veut comprendre ces mécanismes de comptage des immigrés. On peut regretter ici qu’il ne soit pas écrit que les « titres délivrés pour la première fois » le sont à des personnes parfois en effet récemment arrivées (quelques mois – c’est le cas de beaucoup de personnes obtenant un titre « familial »), parfois présentes depuis quelques années (3 ans, pour les titres humanitaires), voire une dizaine (au titre de l’AES, qui inclut des motifs familiaux et économiques).
Une troisième partie retrace l’activité de l’Etat en matière de délivrance de visas. Les visas sont pour la plupart à durée limitée et courte. Ils n’ont donc pas de pertinence pour quiconque s’intéresse à l’immigration. Cependant, ils retracent nombre d’activités économiques (dont le tourisme) en relation avec les échanges extérieurs de la France.
La quatrième partie constitue la « bible » de ce qu’il faut savoir quand on est un statisticien qui s’intéresse aux politiques d’asile. Cinq fiches balayent les principaux sujets : contexte européen, demande d’asile, protections accordées, mécanismes « Dublin », politique de répartition des demandeurs sur le territoire national. Cette partie est suivie d’une courte partie sur « l’intégration », clairement le parent très pauvre de la politique migratoire française, que le ministère de l’Intérieur chapeaute, peut-être faute qu’un autre ministère plus « social » ait pris le sujet en main. Principalement deux indicateurs sont détaillés : l’attribution de cours de français aux primo-arrivants, l’attribution de la nationalité française (en moyenne, 15 ans après l’arrivée en France). On précisera des données hors ouvrage : quelque 1,3 milliard de budget pour les politiques de police, un quart de milliard de budget pour l’intégration, ni l’Aide médicale d’Etat, ni le suivi des mineurs non accompagnés n’étant dans ces budgets. C’est alors que se termine l’ouvrage, avec deux fiches présentant des chiffrages et des éléments sur la lutte contre l’immigration irrégulière, comportant de précieuses données sur l’activité du ministère en matière de contrôle et d’expulsion, complétées par une fiche sur les situations, fort disparates, dans les territoires ultramarins.
On pourra donc regretter que l’ouvrage ne traite que de l’activité du ministère de l’Intérieur. Il comporte quelques ouvertures, mais le choix d’avoir réduit la politique migratoire, essentiellement, à des problématiques de police, n’est pas le fait de ce ministère, a fortiori de son service statistique.
On pourra regretter que les données s’arrêtent en 2019, avec une faible probabilité qu’il y ait une mise à jour avant le printemps 2022. Ce point est moins grave qu’il n’y parait : beaucoup de données seront mises à jour d’ici début 2022, permettant de disposer du panorama de l’activité du gouvernement jusqu’en 2021 inclus.
A cet égard, les publications de 2021, portant sur 2020, montrent bien le caractère « bilan d’activité », fortement impacté par la crise sanitaire. On voit en effet un effondrement de la délivrance de visas, en lien avec la fermeture des frontières et les restrictions économiques, et des diminutions marquées en termes de délivrance de premiers titres, notamment humanitaires, d’attribution de nationalité mais aussi d’expulsions.
Et les parties pédagogiques et explicatives des fiches seront toujours d’actualité.
Il y a moyen de contextualiser ces données administratives, grâce à une publication récente de l’Insee, beaucoup plus synthétique et facile à lire : « 50 ans d’immigration en 50 secondes » ! On revient dans le champ de la démographie. En quelques minutes, l’histoire de l’immigration en France, depuis 1968, est « visualisée ». Si vous croyez encore que les immigrés en France sont venus d’Italie, ou qu’ils sont tous Syriens, vous pourriez être surpris… Là aussi un « indispensable » pour qui s’intéresse au sujet. Bien évidemment, cette introduction renvoie à une documentation très riche : explorer les liens proposés vous prendra plutôt des heures que des secondes….
[i] 28 pays de l’UE, + 4 pays associés …. moins la France
- Une ressource convoitée : l’immigré qualifié - 25 septembre 2023
- Immigration en France, l’approche « administrative », bien différente de l‘approche démographique, enfin détaillée. - 17 septembre 2021
- Des bébés ou des pionniers ? - 12 août 2021
Bonjour,
une interrogation : dans « 50 ans… en 50 secondes », le deuxième graphique dynamique montre une barre « Autres pays d’Afrique » qui prend la deuxième place derrière « Maghreb ». Or, je ne vois dans le premier graphique aucun pays africain non-maghrébin.
Qu’ai-je mal lu ?
Merci.
dp
Bonjour
C’est vrai que les animations vont un peu vite …. Les Comores apparaissent en toute fin de période et tout en bas (9ème en 2020, si je lis bien). L’explication plus structurelle est que l’immigration d’origine « Afrique hors Maghreb » se caractérise depuis au moins 1945 par une très grande diversité de pays d’origine, aucun ne ressortant beaucoup plus que les autres. D’où l’absence dans le top 10. Ce n’est que tout récemment que le Sénégal (2016) puis les Comores (2017) ont dépassé la barre des 100 000. La dynamique migratoire issue des Comores est très forte, le nombre d’immigrés d’origine de ce pays a été multipliée par près de 6 en 10 ans. L’Insee donne les chiffres détaillés selon les recensements, le dernier disponible étant celui de 2017. (Dans la rubrique « démographie\immigrés-étrangers\chiffre détaillés.
Je tente d’insérer le lien …. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4510549?sommaire=4510556