Je ne suis certes pas spécialiste des questions démographiques. Mes compétences de statisticien et d’économiste m’autorisent toutefois à souhaiter vous rendre compte d’une présentation à laquelle j’ai récemment assisté dans le cadre d’une conférence dédiée aux investisseurs gouvernementaux africains. L’orateur, David Bloom, professeur à la Harvard T.H. Chan School of Public Health, a défendu sur cette question clé de la démographie africaine des informations utiles et idées qui m’ont semblé originales, et qui méritent d’être partagées dans le cadre de notre dossier consacré à l’Afrique.
Quelques données pour commencer. En 2050, l’Afrique, avec près de 2,5 milliards d’habitants, devrait représenter plus du quart de la population mondiale, alors que sa part n’était que de 9,1 % en 1950 et de 16,1 % en 2015. Ceci s’explique par une forte réduction de la mortalité infantile – tant des nourrissons que des enfants-, et surtout par un taux de fécondité qui demeure sensiblement plus élevé qu’ailleurs sur la planète (4,6 en moyenne à l’heure actuelle contre 2,1 dans le reste du monde), et l’on prévoit une persistance de cet écart à l’horizon 2050 (3,0 contre 1,9). Même en retenant un scénario de baisse significative de la fécondité, la pyramide des âges continuera de connaître une base importante pendant une période prolongée, alourdie par le taux élevé de dépendance des jeunes – rapport de la population de moins de 15 ans à celle des 15-64 ans – en raison de l’inertie des tendances démographiques. On restera donc très loin du schéma idéal, bien illustré par la situation d’Asie de l’Est depuis les années 1980, du python qui a englouti un animal, avec un pourcentage élevé des âges intermédiaires par rapport aux moins de 15 ans et aux plus de 64 ans.
Il faut toutefois souligner la forte hétérogénéité entre les différents pays africains. La croissance annuelle de la population varie ainsi sur le continent entre 0,9 % en Afrique du sud et 4 % au Niger, et le taux de fécondité entre 2,3 enfants par femme en âge de procréer en Afrique du sud et 7,6 au Niger. En matière d’espérance de vie, c’est le Sénégal qui affiche les meilleurs résultats, avec 67 ans contre seulement 49 ans au Swaziland : rappelons que le SIDA demeure l’une des principales causes de mortalité, notamment en Afrique australe; dans cette zone d’ailleurs, l’écart entre la part des populations masculine et féminine est massif aux âges les plus élevés.
Cette forte croissance démographique conduira logiquement à une augmentation du poids de l’Afrique dans l’économie mondiale. Mais quel lien établir entre démographie et croissance?
David Bloom compare, pour répondre à cette question, les évolutions observées au cours des dernières décennies en Asie de l’est et en Afrique. La croissance annuelle du PIB par tête s’est ainsi établie à près de 7 % en Asie de l’Est, contre un chiffre quasiment nul en Afrique pendant la période de 1975 à 2005, conduisant aujourd’hui à un écart massif de richesse entre deux continents qui se situaient à des niveaux de développement équivalents il y a quelques décennies. Pour David Bloom, cet écart s’explique essentiellement par des facteurs démographiques, en particulier par des évolutions très divergentes en termes de ratio entre la population en âge de travailler et celle qui ne l’est pas. Parti d’un point bas de 1,2 au début des années 1970, ce ratio a continûment progressé en Asie de l’Est jusqu’à près de 2,6 en 2010 – on constatera avec intérêt qu’il a depuis commencé à se retourner à la baisse, sous l’effet d’un début de vieillissement de la population- alors qu’il demeurait autour de 1 sur l’ensemble de la période en Afrique -. Ceci, on l’a vu, tient à une fécondité très élevée conduisant à une part prépondérante des moins de 15 ans dans la population totale et limitant le processus d’accumulation d’épargne.
Un autre point de débat intéressant concerne la relation entre santé et revenu. Les pays à revenu élevé ont généralement des populations en bonne santé, parce qu’ils ont des moyens importants à consacrer aux politiques de santé, à travers des actions favorables à une meilleure alimentation, l’accès à l’eau potable et de façon plus générale aux soins de santé. Le lien peut nous sembler évident, mais David Bloom souligne que la causalité fonctionne dans les deux sens, et que la santé influe également sur le niveau de revenu d’un pays, à travers différents vecteurs : une bonne santé est favorable à la productivité de l’économie (à travers notamment un moindre absentéisme), au niveau d’éducation de la population et à l’investissement. L’augmentation de l’espérance de vie des individus améliore les rendements à long terme des dépenses d’investissement et d’éducation. Ainsi, la littérature récente montre qu’un gain de 10 ans d’espérance de vie se traduit par jusqu’à un point entier de croissance annuelle du PIB par tête. D’où l’importance à attacher aux politiques de santé.
Les conclusions qu’en tire David Bloom sont de deux ordres:
- un taux de fécondité très élevé limite la capacité de croissance des revenus. Les politiques publiques doivent donc favoriser l’accélération de la transition vers un régime de fécondité mieux maîtrisée, qui permettrait au continent africain de capter le « dividende démographique » dont a bénéficié l’Asie de l’est à partir des années 1980. Pour cela, des actions doivent être menées en matière de planning familial et de scolarisation des enfants.
- Si les évolutions démographiques constituent un facteur de croissance important, elles ne suffisent pas à expliquer les performances d’une économie, et doivent être accompagnées par des politiques publiques appropriées, notamment en matière de santé. David Bloom préconise ainsi des actions ciblées sur la petite enfance, sur l’accès à l’eau potable, aux vaccinations et aux médicaments, ainsi que des politiques destinées à favoriser une alimentation saine.
Notes :
Toutes les illustrations de cet article sont tirées de la présentation effectuée par David Bloom lors de la conférence du Sovereign Investor Institute qui s’est tenue au Cap du 22 au 24 février 2017.
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