De la synchronicité à l’unus mundus

De manière formelle et concise, une synchronicité consiste en la conjonction d’un évènement psychique et d’un évènement physique, sans lien de causalité entre eux, mais se répondant l’un à l’autre dans un profond rapport de sens. Pour illustrer cette notion, un exemple très souvent donné est le suivant : je pense fortement à quelqu’un, perdu de vue depuis longtemps et, à ce moment précis, je reçois un appel de cette personne. Aucune causalité apparente ne relie le fait psychique, penser à une personne, au fait physique, recevoir un appel d’elle. En revanche, la concurrence fortuite de ces deux faits libère une puissante décharge de sens, à proportion du degré d’a-causalité et donc d’invraisemblance a priori d’une telle coïncidence.

Dans l’exemple précédent, on peut toutefois s’interroger sur la « pureté » du phénomène de synchronicité et légitimement suspecter l’intervention parasite d’un biais cognitif, conduisant en l’espèce à sous-estimer la probabilité d’occurrence conjointe des deux évènements psychique et physique. En effet, que deux personnes s’étant fréquentées régulièrement tous les ans ne soient plus entrées en contact depuis une dizaine d’années, loin de réduire drastiquement la probabilité qu’elles renouent, constitue au contraire un facteur causal indirect, rendant vraisemblable qu’elles pensent assez fréquemment l’une à l’autre, qu’elles se demandent chacune ce qu’est devenue l’autre, que ces pensées réciproques soient parfois simultanées, et que, dans l’un de ces moments de partage virtuel, l’une des deux passe à l’acte en adressant un message à l’autre.

Le concept de synchronicité est dû à Carl Gustav Jung, psychiatre suisse et père de la psychologie analytique. Dans les années 1920, il est le premier à s’intéresser de manière systématique à ce type de coïncidences étranges, qu’il rapporte à deux  autres concepts fondamentaux de sa construction théorique : l’inconscient collectif et l’archétype. Selon Jung, une occurrence synchronistique apparaît lorsque l’état psychique d’un sujet « excite » un motif archétypique dans « son » inconscient collectif ; ce dernier est la couche profonde et trans-personnelle de l’inconscient où résident les archétypes, sortes de « briques de base » pour la construction de sens, éléments génériques qui ne sont pas propres à un individu en particulier mais au contraire communs à tous. D’après Jung, lorsqu’un archétype est activé, il ne serait pas exceptionnel, voire fréquent, que le fait psychique ainsi réalisé s’accompagne, de manière parallèle et non causale, d’un fait physique en rapport étroit de sens avec l’archétype considéré.

Jung prend à ce propos l’exemple d’une patiente bloquée dans sa cure, sa résistance étant due à une attitude de rationalisation systématique, entravant le travail thérapeutique. Lors d’une séance, cette patiente évoque un rêve dans lequel intervient un scarabée. Au même moment, un scarabée heurte la fenêtre du cabinet de consultation. Jung saisit l’insecte et le présente à sa patiente : « Tiens le voilà, votre scarabée ! ». Cette synchronicité, d’une très grande pureté, produisit un tel effet sur la patiente qu’elle remit en question sa vision rationaliste du monde et que sa cure put à nouveau progresser. Selon Jung, l’archétype ici sollicité est celui de la « Renaissance », dont le scarabée est un symbole habituel, comme dans l’Égypte ancienne sous les traits du dieu Khépri. La présence de ce symbole dans le rêve, puis son évocation en séance, seraient une manifestation de l’archétype sous-jacent, dont le réel aurait renvoyé l’écho sans tarder, à travers l’apparition manifeste de l’animal symbolique.

L’hypothèse jungienne d’une correspondance entre phénomènes psychiques et physiques, sans causalité mais avec une forte unité de sens véhiculée par l’entremise d’un archétype, est certes inspirante mais elle reste encore à ce jour une hypothèse en attente de validation empirique probante. Jung n’arrête pourtant pas là ses investigations. Il est frappé par l’analogie entre : d’une part, l’intrication informationnelle entre des évènements présumés déliés, telle qu’elle apparaît lors d’une synchronicité ; d’autre part, l’expérience de pensée E.P.R. (Einstein-Podolski-Rosen), qui prédit paradoxalement l’intrication persistante de deux particules initialement liées, alors même que celles-ci sont observées à très grande distance de leur source originelle et se trouvent dans la stricte impossibilité d’échanger entre elles des signaux respectant le plafond fixé par la vitesse de la lumière. Intrigué par cette résonance épistémique, Jung entretiendra de 1932 à 1934 une conversation hebdomadaire avec le physicien Wolfgang Ernst Pauli, un des pionniers de la mécanique quantique… et par ailleurs le patient d’un élève de Jung, faut-il voir là  une synchronicité ?

Ensemble, Jung et Pauli parviendront à la conjecture hardie dite du « monde un » (unus mundus), selon laquelle tous les éléments observés dans le monde sensible, qu’ils relèvent du matériel ou de la psyché, ne seraient séparés qu’en apparence : en « vérité », ils émergeraient tous d’un même niveau de réalité enfoui, inaccessible à nos sens, d’un substrat commun régi par un principe fondamental d’unité. Les conséquences de ce principe unificateur se manifesteraient dans l’univers sensible par la tendance au rapprochement de tout ce qui est semblable, par exemple deux évènements synchronistiques, ou encore deux particules intriquées ; un principe qui expliquerait aussi la « loi des séries ».

La conjecture de Jung-Pauli peut être rattachée à la théorie du monisme à double aspect, inspirée de la philosophie de Spinoza et Schopenhauer, selon lesquels l’esprit et la matière ne seraient que des manifestations alternatives d’une même « substance » fondamentale et indifférenciée. Cette conception holiste est reprise par le physicien David Bohm, auteur de la théorie de « l’ordre implicite », un schéma postulant l’existence voilée d’un « champ d’information » implicite et omniprésent, qui règlerait dans ses moindres détails l’organisation entière de l’univers explicite. Au sein de la communauté scientifique, ce paradigme épistémologique est aujourd’hui considéré par plusieurs, dont Hubert Reeves, comme une vision plausible et acceptable… mais également, par d’autres, comme un « délire d’interprétation » ! Jusqu’où nous conduiras-tu, petit scarabée ?

À chacun de forger son propre jugement. Quant à moi, une récente expérience me fait clairement pencher, voire tomber, du côté de l’unus mundus ! Je prie le lecteur de bien vouloir croire en la parfaite authenticité du récit qui va suivre. Je l’ai rédigé sans y ajouter aucune fioriture, en me basant sur des notes détaillées, prises dès le lendemain de la séquence troublante qu’il relate. Je me suis efforcé d’y être aussi précis que le permet une tentative, toujours délicate, de décrire des pensées et des dispositions mentales qui souvent se superposent, davantage qu’elles ne se suivent. Le temps présent de la narration se réfère au temps réel du déroulé de la séquence. Que l’on me pardonne enfin la longueur de mon compte-rendu, exhaustivité oblige, car chaque détail compte !

Récit d’une synchronicité

« Au milieu de la nuit, dans un moment d’insomnie, je me rends, sans but déterminé, dans la pièce de la maison qui me sert de bureau, là où je me sens serein, à l’abri, là où j’ai mes repères. Sitôt entré, je m’assieds à ma table de travail et j’observe le meuble de rangement qui la surplombe. Celui-ci est creusé de nombreuses alvéoles, peuplées d’objets, bricoles et bibelots divers, disposés en vrac.

Sans provoquer délibérément cette pensée, je me souviens du jour où, plusieurs mois auparavant, j’avais méthodiquement vidé ces alvéoles une à une, à la recherche d’un double de clé de voiture, que j’étais convaincu d’avoir rangé là, tout à côté du double de clé d’une autre voiture. Cette fouille réglée avait été consécutive à l’égarement de la clé originale. Toutefois, cet original ayant été très rapidement retrouvé, la chasse au double n’était venue que dans l’après-coup, alors qu’elle n’était plus motivée par l’impérieuse nécessité de faire démarrer une voiture, mais bien plutôt par le désir, non moins impérieux, de mettre fin à l’irritation lancinante, obsédante, due à une disparition incompréhensible. Dans ma rêverie, je me souviens avec insistance de l’échec cuisant de cette quête ardente du double de clé et de la vive frustration qu’il m’avait procuré à l’époque.

Et je me souviens également, dans la foulée, d’une circonstance antérieure à la précédente, où le double de clé de l’autre voiture m’avait été fort utile, lui qui ne m’a jamais fait défaut et que j’aperçois encore ce soir, niché dans la pénombre. Cette autre fois, j’avais mystérieusement égaré la clé originale et ne l’avais retrouvée que plusieurs semaines plus tard, de manière inespérée, comme par le fruit d’un heureux « hasard », après avoir cessé de la chercher. Elle était bizarrement coincée entre le rebord de ma table et le mur de mon bureau. Le jour de l’incident, en retard, pressé de partir, à la recherche fébrile de l’endroit où j’avais bien pu poser mes lunettes, je devais tenir la clé à la main et l’avais sans doute précipitamment posée au bord de la table, d’où elle aura glissé sans bruit vers son écrin dérobé. Je me remémore ma surprise et ma joie intense lors de la réapparition fortuite de l’objet, qui aurait pu demeurer encore longtemps invisible, si sa présence en cet endroit n’avait été subrepticement trahie par le vif éclat produit par la réflexion d’un rayon sur le métal de la clé ; ce rayon provenait d’une source de lumière extérieure à la pièce et il s’était glissé à travers l’embrasure de la porte, juste sous le bon angle, au moment même où j’avais ouvert pour sortir… Le souvenir de cette fulgurance, telle l’apparition soudaine d’une aiguille brillant sous le soleil dans une botte de foin, me fait sourire

Puis mes pensées vagabondent sans véritable contrôle, autour de la thématique du mystérieusement perdu et du miraculeusement retrouvé… Je me rappelle notamment comment feu mon père, pourtant réputé si patient, entrait dans une fureur noire lorsqu’un objet familier avait inexplicablement disparu dans la maison et ne décolérait pas avant que celui-ci ne soit retrouvé, que sa disparition ne soit dûment justifiée et l’éventuel coupable, puni ! Me revient en particulier à l’esprit la scène mémorable qu’il avait faite, suite à la disparition de la clé ouvrant un petit meuble console dans sa résidence secondaire du Loiret… et encore celle, plus ancienne, qui avait suivi la perte inexpliquée d’un œilleton de jumelles de théâtre et qui avait bien failli nous valoir, à mes frères et à moi, qui clamions – et clamons toujours – notre innocence, une privation de cadeaux de Noël ! Simultanément, je réalise que je viens précisément de rêver de mon père avant de m’être éveillé en sursaut et ne plus parvenir à me rendormir, sans pourtant parvenir à convoquer le contenu précis de mon rêve.

Puis mes pensées se focalisent à nouveau sur mon propre double de clé énigmatique, celui qui demeure égaré : je me demande où il peut bien se trouver à l’heure présente. Toutefois, à défaut d’une quelconque piste à suivre, je n’engage aucune nouvelle recherche et me résigne à classer cette affaire parmi les cold cases du quotidien, à la suite de l’œilleton et de la clé de console ! Sans que je parvienne à le diriger d’aucune manière, le fil de mes pensées s’échappe alors ailleurs et semble désormais se perdre… je m’assoupis.

Après une trentaine de minutes ainsi passées à somnoler sur ma chaise, au moment de quitter mon bureau pour rejoindre la chambre à coucher, dans un état de semi-conscience, de la main droite j’effleure à dessein – et comme pour saluer rétrospectivement ce succès – l’endroit où s’était auparavant logée la clé retrouvée à la faveur d’un éclair propice ; tandis que, de la main gauche, je tapote machinalement un ouvrage, le plus haut placé d’une pile de livres occupant un caisson de bibliothèque situé à mi-hauteur, à proximité de la porte ; un caisson parmi une cinquantaine d’autres, garnissant du plancher au plafond les quatre murs de mon bureau, tous bondés de livres et de dossiers. Toujours machinalement, je passe un doigt sur la couverture de ce livre, comme si j’avais voulu en ôter la poussière. Désormais revenu en mode de pleine conscience, je remarque que le volume dépasse légèrement de la pile. En tentant vainement de le pousser plus au fond du caisson, afin de rétablir l’alignement, je constate que m’en empêche la présence d’une pochette en carton, cachée au regard, glissée derrière la pile.

Je retire cette pochette de son logement. Ni sa présence ici, ni même son existence, ne m’évoquent rien et me prennent totalement par surprise. J’observe que la pochette est marquée du losange de la marque Renault. Je suis alors comme stoppé net, au point de n’oser l’ouvrir. Une tempête gronde sous mon crâne, paralyse mes neurones, et je me dis en mon for intérieur que ce que je pressens comme imminent serait véritablement incroyable et miraculeux. La foudre paralysante étant passée, j’en crois effectivement à peine mes yeux : à l’intérieur de la pochette, dans un sachet en plastique transparent, se trouve le double de clé tant désiré ; celui que j’avais si méthodiquement recherché, avant de finir par renoncer.

Immédiatement, une profonde sensation de bien-être m’envahit, d’une exceptionnelle intensité, au point que je la ressens comme physiquement palpable : l’immense satisfaction d’un geste totalement dépourvu d’intention consciente et pourtant couronné d’un si parfait succès, l’impression d’un résultat ardemment souhaité mais inespéré, obtenu « tout cuit dans le bec » ! Jubilatoire ! La sensation est comparable, quoique beaucoup plus forte, à celle que j’avais précédemment éprouvée lors la récupération de l’autre clé grâce à un improbable reflet lumineux. J’extrais alors la « clé prodigue » de son sachet et je la place avec une infinie délicatesse là où je pensais primitivement l’avoir logée, faux souvenir trompeur, à côté de l’autre double, dans une des alvéoles du meuble surplombant ma table.

Au prix d’un considérable effort de mémoire, dont j’aurais été strictement incapable sans avoir été confronté à la vue de la pochette, je me rappelle que, le jour de la prise en main du véhicule, le garage m’avait remis un dossier et que, occupé à mille autres tâches, je l’avais précipitamment et négligemment posé à la première place vide qui m’était apparue dans mon bureau, en attendant de lui trouver à tête reposée un emplacement définitif plus adapté. Il m’apparaît maintenant que ce dépôt provisoire m’est ensuite certainement complètement sorti de l’esprit ; et, ultérieurement, la pochette aura glissé derrière la pile de livres, sans doute à la suite d’un mouvement maladroit de ma part, involontaire et non remarqué.

Raisonnablement satisfait par la plausibilité de cette reconstitution historique, et tellement heureux de ma découverte impromptue, tout comme j’imagine que mon père l’eût été à ma place, je retourne me coucher et m’endors sans tarder, ‘comme un bébé’, apaisé et baigné d’une douce béatitude mêlée de gratitude.”

L’archétype du soi

Lorsque j’ai pioché la pochette au tréfonds de ma bibliothèque, c’était un peu comme si Jung en personne me l’avait tendue en s’exclamant : « Tiens, la voilà votre clé ! ». Mon aventure est en effet remarquablement similaire à l’expérience de synchronicité vécue par la patiente au scarabée : alors même que mon esprit est envahi par une multitude de clés, la réalité fait simultanément émerger une clé bien réelle du fouillis régnant dans mon bureau. Aucun de ces deux évènements, respectivement psychique et physique, n’est la cause ni l’effet de l’autre, du moins au sens ordinaire donné à ces termes, et leur conjonction est fortuite, au sens où elle ne peut décemment s’interpréter comme le possible résultat d’un hasard statistiquement calculable, tant serait faible la probabilité d’un pareil concours de circonstances. À cet égard, trait d’ironie, le livre non aligné puis déplacé par lequel tout est arrivé s’intitule « La certitude absolue et autres illusions : les secrets de la statistique » !

Le second pilier constitutif d’une synchronicité caractérisée est par ailleurs solidement dressé, le sens conjointement porté par les deux évènements, mental et manifeste, apparaissant à l’évidence. La clé n’est autre, en effet, que le symbole par excellence de la quête d’identité et, au sein de l’inconscient collectif, l’archétype que désigne ce symbole est celui du « Soi » ; un archétype essentiel selon Jung, car celui à partir duquel chacun parvient progressivement, tout au long de sa vie, à « l’individuation » de sa personnalité propre, la différenciant du magma collectif dans un subtil et permanent équilibre dynamique entre l’inconscient collectif, l’inconscient individuel et la conscience.

Force est de reconnaître que mon expérience personnelle de synchronicité ne m’a pas laissé tout à fait indemne : je me livre désormais davantage et plus volontiers à l’introspection, m’efforçant d’ouvrir mes serrures intérieures à l’aide des clés du royaume du « Soi », cherchant à mieux discerner qui je suis à travers l’œilleton perdu de mon enfance, sous le regard attentif et sévère de la figure paternelle dont j’ai hérité le souci, parfois obsessionnel, de tout comprendre et ne rien laisser inexpliqué. Petit à petit, tout prend sa place, tout fait image, tout s’articule et se révèle éclairant dans le puzzle de mon étrange aventure :

  • d’abord, le rêve annonciateur dans lequel intervient mon père, tel la statue du Commandeur, rêve dont la teneur reste « verrouillée », mais qui, comme par un effet de clair-obscur, projette dans ma conscience un trousseau virtuel garni de multiples clés, récentes et anciennes, perdues et retrouvées… comme une injonction à la découverte de moi-même au travers des alvéoles et des caissons de mon esprit ;
  • ensuite, le fascinant mouvement de balancier entre le passé et le présent, entre l’esprit et la matière, par lequel, en un seul et même instant, les doigts d’une de mes mains frôlent une cache dont la serrure a été précédemment ouverte avec succès, tandis que ceux de l’autre main effleurent la serrure – déguisée en livre – d’une autre cache, celle-là encore mystérieuse… un geste involontaire qui tout à la fois dévoile le coffre-fort et en matérialise la clé !
  • enfin, la leçon de vie, exprimée dans le contraste qui oppose : d’un côté, la pénibilité et la vanité d’une recherche effectuée sous la lumière trop vive des réverbères de la logique, de la rationalité et de la causalité ; et, de l’autre, la facilité et l’efficacité déconcertante d’une intuition flottante, libre en apparence de toute influence, mais secrètement guidée par l’action « informée » de l’inconscient collectif, à l’ombre de la synchronicité.

Une synchronicité en provoquant une autre, alors que je m’apprête à écrire ces lignes, me tombe sous les yeux à point nommé le post d’un ami dont je suis régulièrement l’activité sur un réseau social. Se promenant en bordure du canal de l’Ourcq, il a pris une photo d’une fresque murale, que j’ai reproduite avec sa permission afin d’illustrer mon article. Cette fresque, peinte sur la pile d’un pont face au 26 quai de la Marne, met en scène deux personnages fantomatiques, sortes de siamois albinos empêtrés derrière une paroi de briques rouges, le visage muet de l’un étant seulement marqué d’une clé et celui de l’autre, d’une serrure. Le premier porte un seau de peinture et le second un rouleau, avec lequel il badigeonne de blanc leur prison rouge commune, en vue de l’escamoter. Mon ami a très justement accompagné son post de ce commentaire : « Bon sang, où ai-je pu mettre la clé ? ».

Comment mieux représenter l’activation de l’archétype du Soi, la partie de moi « clé » cherchant à ouvrir la partie de moi « serrure », avec pour objectif de désincarcérer mon identité via le processus jungien de l’individuation ? Un fin observateur notera néanmoins qu’une coulure rouge, dégoulinant du bord du seau, laisse à penser que le « moi clé » n’est peut-être après tout qu’un imposteur et un saboteur, ayant substitué au pigment blanc de la libération le pigment rouge de l’aliénation. Pour apprendre à connaître le visage de soi-même, pour se voir en peinture tel que l’on est, mieux vaut donc ne pas confondre les couleurs ni s’emmêler les pinceaux !

Petit scarabée, te ferais-tu caméléon ?

 

Mots-clés : archétype – coïncidence – inconscient collectif – monisme à double aspect – ordre implicite – sens – synchronicité – unus mundus

Nicolas Curien