Le jeu ne produit rien. Et pourtant quelle richesse il produit! Il ne s’agit évidemment pas de richesse monétaire : pas d’impact sur le PIB, pas de création de richesse financière. Malgré l’absence d’intérêt financier, sous son apparence d’inutilité productive, on joue, et beaucoup : à toute heure, à tous âges, à l’intérieur d’une maison, en plein air. Les activités dites ludiques sont intenses dès le plus jeune âge, les éducateurs de tous genres affirment que c’est une activité nécessaire et profitable. On joue en société, seul, en face à face, en ligne, pour rien, pour de l’argent (mais il n’y a que transfert d’argent, pas de gain global), pour passer le temps, sans que cela soit une perte de temps.

Les applications du jeu s’étendent à tous les domaines : en entreprise, dans les simulations, dans la stratégie, dans la formation, dans l’éducation, l’art, les loisirs, les spectacles, etc. Les jeux ont été aussi depuis longtemps source de progrès scientifiques, notamment les mathématiques, les probabilités, la théorie des… jeux. Le jeu prend de multiples aspects : jeux de langages, jeux de plateaux, jeux sportifs, jeux électroniques, jeux de hasard, etc. La compétition peut être rude mais elle ne prête en général pas à conséquence. On peut rejouer, les compteurs sont remis à zéro.

La richesse langagière du mot « jeu » est extraordinaire. Tiens, petit jeu : donnez vingt expressions avec le mot jeu. C’est très facile, ce qui est la marque de sa prolixité sémantique.

Le jeu permet une distance par rapport à la « vraie vie », un temps de suspension. Mais, paradoxalement au premier abord, le jeu est d’abord un ensemble de règles qui sont beaucoup plus contraignantes que les règles de la « vraie vie » : le roi, aux échecs, ne se déplace que d’une case dans tous les sens. L’OULIPO pratique beaucoup le jeu de mots avec des contraintes fortes. La grande différence est qu’on se soumet volontairement aux règles du jeu alors que les lois de la vie réelle nous sont imposées et que d’aucuns y dérogent régulièrement. Et il peut même y avoir du jeu (au sens des mécanismes) dans le jeu!

Ce dossier vous présentera différentes facettes du jeu, sans épuiser évidemment le sujet : focus sur quelques jeux, les jeux et les probabilités, les paris et l’assurance, le jeu et la politique, etc. Il y aura même un jeu !

Si vous êtes intéressé par le(s) sujet(s), vous devez lire « Les jeux et les hommes » de Roger Caillois (Edition Folio essais), paru initialement en 1958. 60 ans après, le livre n’a pas pris une ride. Vous pouvez aussi nous transmettre votre contribution !

Le jeu serait-il une affaire trop grave pour la laisser aux seuls joueurs ?

Alain Minczeles