D’abord interdits en France, les jeux de hasard et d’argent ont été légalisés progressivement à partir du dernier tiers du XVIIIe siècle avec notamment la création de la Loterie royale. Au XIXe siècle, vont se développer en France les casinos (décret de 1806 qui permit au Préfet de police de délivrer des autorisations dérogatoires pour les stations balnéaires) ; puis au XXe siècle le PMU (Pari mutuel urbain en 1931) et la Loterie nationale (en 1933).

Aujourd’hui, la politique française des jeux est assise sur ce régime ancien de droits exclusifs accordés à la Française des jeux (FDJ) pour les jeux de tirage ou de grattage et les paris sportifs dans son réseau de points de vente, au PMU pour des paris hippiques dans son propre réseau de points de vente, et aux casinos pour opérer des jeux de table ou des machines à sous, complété en 2010 par un nouveau régime d’agréments d’opérateurs privés, délivrés par une autorité de régulation (ARJEL), sur trois secteurs de jeux d’argent en ligne : les paris sportifs, les paris hippiques et le poker.

Un secteur économique florissant

Le jeu a pris une place croissante dans le budget des Français. Les dépenses de jeu ont régulièrement augmenté ces vingt dernières années. Elles représentent environ 10 % des dépenses que les ménages consacrent aux loisirs et à la culture, soit 0,8 % de l’ensemble de leurs dépenses. En 2017, ces dépenses s’élèvent à 10,5 milliards d’euros, soit une dépense nette de 200 euros par habitant majeur [1].

Trois activités regroupent la grande majorité des dépenses des ménages en matière de jeux d’argent : loterie, casinos et paris hippiques. Les dépenses de loterie (jeux de tirage ou grattage achetés en point de vente ou sur Internet) sont, de loin les plus importantes. Ces jeux représentent un peu plus de 40 % des dépenses totales. Les dépenses affectées aux jeux de casinos, dont les machines à sous, et aux paris hippiques viennent en deuxième et troisième position. Ces deux secteurs sont en décroissance sur la période, plus tardivement pour les paris hippiques qui occupent la deuxième place depuis 2009. Enfin, les paris sportifs, dont la part dans les dépenses (tous supports confondus) reste encore modeste, sont la seule activité qui enregistre une augmentation continue et remarquable sur ces vingt dernières années (de 0 à 10,3 % des dépenses en 2017).

Internet prend une place croissante dans la part des dépenses nettes (11,2 % en 2017). La progression de la part des dépenses sur Internet s’explique par le développement des moyens de connexion mobiles ainsi que par l’évolution du cadre réglementaire.

Les pratiques de jeu des Français

En 2014, 74 % des Français âgés de 15 à 75 ans déclarent avoir joué au moins une fois à un jeu d’argent et de hasard au cours de leur vie et 56,2 % au moins une fois au cours de l’année écoulée [2].

Les activités les plus pratiquées sont les jeux de loterie (tirage ou grattage), très loin devant les paris hippiques ou sportifs, les jeux de casino et le poker. Les supports de jeu traditionnels (point de vente de la FDJ ou du PMU, casinos) restent largement dominants. Toutefois, on estime que le jeu en ligne est pratiqué par environ 10 % de l’ensemble des joueurs, soit entre 2,4 millions et 2,9 millions de personnes. Ce vecteur de jeu est surtout utilisé par les joueurs de poker (quatre joueurs sur dix) et, dans une moindre mesure, par les adeptes des paris sportifs (un joueur sur quatre).

Une large majorité des personnes pratiquant des jeux d’argent et de hasard le font de manière occasionnelle. Parmi les joueurs au cours de l’année écoulée, la moitié joue entre 1 et 15 fois dans l’année, près d’un tiers (31,5 %) pratique ce type d’activité régulièrement, c’est-à-dire au moins 52 fois dans l’année, et 15,4 % jouent au moins 104 fois, soit deux fois ou plus par semaine. Un peu plus de la moitié des joueurs dépense moins de 100€ par an pour leur activité, un sur dix dépense plus de 1000€.

Le « jeu problématique »

Les pratiques de jeu sont décrites dans les enquêtes épidémiologiques selon un continuum allant du jeu « sans risque » au jeu « pathologique » en passant par le jeu « à risque » (faible ou modéré). Les qualifications sont variables pour un niveau de risque donné. Au niveau international, on dispose de plusieurs outils permettant de classer un individu dans une catégorie à l’aide de différents critères. C’est l’Indice canadien du jeu excessif (ICJE) qui a été choisi pour les enquêtes épidémiologiques en France [3].

Le joueur pathologique (ou excessif) est un joueur qui répond aux critères cliniques d’une addiction, c’est-à-dire une appétence pour le jeu – et ses effets hédoniques et psychostimulants – alliée à une perte de contrôle avec la poursuite du comportement de jeu malgré ses effets néfastes physiques, psychiques ou sociaux (Goodman). Un joueur à risque (modéré) est un joueur pour lequel on relève des dommages liés à son comportement de jeu mais qui garde une certaine capacité de contrôle sur son comportement.

Les pratiques de jeu à risque en France

En 2014, selon les estimations fondées sur l’ICJE, parmi les personnes ayant déclaré avoir joué un jeu d’argent et de hasard au cours de l’année écoulée, 3,9 % peuvent être classés comme joueurs à risque modéré et 0,9 % comme des joueurs excessifs. Rapportées à l’ensemble de la population, ces données donnent une prévalence de : 2,2 % de joueurs à risque modéré et 0,5 % de joueurs excessifs soit respectivement, environ 1 million d’une part et 220 000 Français d’autre part.

La prévalence du jeu problématique est liée aux variables relatives aux habitudes et pratiques de jeu : la fréquence, la dépense, le type de jeu pratiqué, le fait de jouer en ligne, la multi-activité et la précocité de l’expérimentation du jeu d’argent. Ce constat est également vérifié dans des enquêtes équivalentes à l’enquête française [4,5]. Il est également soutenu par de nombreux travaux scientifiques [6].

La politique publique sur les jeux d’argent : des objectifs en tension

Les objectifs de la politique publique relative aux jeux d’argent et de hasard sont : d’encadrer le développement de ce secteur économique d’importance, de s’assurer que cette activité s’exerce sur l’offre régulée par l’Etat et de contenir l’ampleur des dommages socio-sanitaires qu’elle peut entrainer pour certains joueurs.

Un des moyens d’évaluer si ce dernier objectif est atteint est de mesurer la prévalence du jeu problématique : proportion de joueurs ayant une pratique « problématique » du jeu au regard de critères de repérage scientifiquement établis.

D’un point de vue économique, quand on observe le chiffre d’affaires du commerce des jeux d’argent, on constate que le poids relatif des « joueurs problématiques » est bien plus important. En effet, les dépenses des joueurs problématiques représentent 40 % des dépenses totales de l’ensemble des joueurs (dont : 23,6 % pour les joueurs à risque modéré, 16,6 % pour les joueurs excessifs).

Les joueurs problématiques dépensent bien plus que les autres joueurs. Il n’est donc pas étonnant que la part des dépenses de jeu attribuables aux joueurs problématiques soit bien plus élevée que leur poids relatif en termes d’effectifs. Ces résultats sur l’enquête française sont confirmés par de nombreuses études menées sur des données d’autres pays [7,8,9,10].

Concentration des dépenses et jeu problématique

La dépense annuelle moyenne déclarée par l’ensemble des joueurs est de 685 €. Ce chiffre moyen n’a pas beaucoup de sens car la distribution des joueurs selon leur niveau de dépense est très asymétrique. Une majorité des joueurs ne consacre que de petites sommes à leur activité de jeu et une toute petite minorité y dépense de fortes sommes ; ceci explique la grande différence entre médiane et moyenne. La dépense médiane est de 96€. Les trois quarts des dépenses sont attribuables aux 10 % des joueurs les plus dépensiers ; 1 % des joueurs les plus dépensiers représentent 62 % des dépenses (Figure 1).

Figure 1 : Courbe de concentration des dépenses des joueurs en France en 2014

Cette concentration varie selon le type de jeu. Les jeux pour lesquels cette concentration est la plus forte sont aussi ceux pour lesquels on relève une plus grande proportion de joueurs problématiques : les machines à sous et jeux de casino, le poker et les paris sportifs et hippiques par rapport aux jeux de tirage ou de grattage.

Une étude récente, s’appuyant sur les données d’enquêtes nationales de trois pays ayant des contextes de jeux d’argent différents, montre de fortes relations positives entre l’indice de Gini des dépenses de jeux d’argent dans les pays concernés et (1) la part des revenus provenant des joueurs problématiques, et (2) les dépenses excédentaires des joueurs problématiques (définies comme la différence entre la part des revenus provenant du groupe des joueurs problématiques et la prévalence des joueurs problématiques parmi les joueurs). Cette étude interprète ces résultats comme un lien entre l’effet du jeu problématique – dépenses excessives et disproportionnées – et la concentration de la demande de jeux [11].

Conclusion

La dernière enquête nationale menée en France sur ce sujet nous indique que les jeux d’argent et de hasard sont pratiqués actuellement par une majorité de Français et que cette activité s’inscrit très massivement dans une pratique de type occasionnel, sans risques avérés. Toutefois, dans 5 % des cas, ces pratiques peuvent devenir problématiques et avoir un impact négatif sur le plan sanitaire ou social. Ceci concernerait plus d’un million de Français.

Les joueurs problématiques dépensant plus que les autres joueurs, leur contribution au chiffre d’affaires du jeu est bien plus importante que leur poids relatif dans la population des joueurs. On estime ainsi que 40 % du chiffre d’affaires des jeux est généré par l’activité des joueurs problématiques. Il existe un lien avéré entre indicateurs de concentration des dépenses relatives à un jeu et sa dimension problématique. Ceci devrait nous conduire à utiliser de tels indicateurs de concentration pour surveiller le risque social sur les marchés des jeux d’argent.

Mots-clés : Jeu – Jeu problématique – Santé – Loterie


BIBLIOGRAPHIE

[1] Costes, J.-M., & Eroukmanoff, V. (2017). Evolution des dépenses aux jeux d’argent et de hasard sur la période 2000 – 2016. ODJ, (8), 5.

[2] Costes, J.-M., Eroukmanoff, V., Richard, J.-B., & Tovar, M.-L. (2015). Les jeux d’argent et de hasard en France en 2014. ODJ, (4), 9.

[3] Ferris, J., & Wynne, H. (2001). The Canadian problem gambling index. Ottawa, ON: Canadian Centre on Substance Abuse.

[4] Kairouz, S., Nadeau, L., & Paradis, C. (2011). Enquête ENHJEU – Québec. Portrait du jeu au Québec : prévalence, incidence et trajectoires sur quatre ans. Montréal: Université Concordia.

[5] Wardle, H. (2011). British gambling prevalence survey 2010 (National Centre for Social Research-Gambling Commission). Norwich: TSO.

[6] Inserm. (2008). Jeux de hasard et d’argent. Contextes et addictions. Paris: Inserm.

[7] Australia Productivity Commission. (2010). Gambling Inquiry Report. Canberra: Productivity Commission.

[8] Orford, J., Wardle, H., & Griffiths, M. (2013). What proportion of gambling is problem gambling? Estimates from the 2010 British Gambling Prevalence Survey. International Gambling Studies, 13(1), 4‑18.

[9] Williams, R. J., & Wood, R. T. (2004). The proportion of gaming revenue derived from problem gamblers: Examining the issues in a Canadian context. Analyses of social issues and public policy, 4(1), 33–45.

[10] Williams, R. J., & Wood, R. T. (2007). The Proportion of Ontario Gambling Revenue Derived From Problem Gamblers. Canadian Public Policy, 33(3), 367‑388.

[11] Fiedler, I., Kairouz, S., Costes, J.-M., & Weißmüller, K. S. (2019). Gambling spending and its concentration on problem gamblers. Journal of Business Research, 98, 82‑91.

Jean-Michel Costes
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