Philippe Zaouati (1989) vient de publier son cinquième roman. À cette occasion, il répond aux questions de variances.eu et nous dit ce qu’est l’écriture pour lui.
Q1 : Philippe, tu viens de publier « Discours sur l’état de l’Union », ton cinquième roman. Peux-tu nous décrire le parcours qui t’a mené de l’Ensae à la publication de ce roman ?
J’ai toujours aimé écrire. Comme beaucoup, j’écrivais des poèmes quand j’étais à l’école primaire, mais cela ne s’est jamais vraiment arrêté, chaque lecture me donnant de nouvelles envies d’écriture. Pourtant, il a fallu longtemps avant que cela ne se traduise en un roman. Mes textes restaient à l’état d’ébauches. Je me suis contenté de publier quelques livres professionnels, sur la gestion quantitative en 1994, puis sur l’investissement responsable en 2009.
Un soir de 2008, au plus fort de la crise financière, pendant le dîner en famille, j’ai raconté qu’un cadre de la banque s’était fait virer sur-le-champ, avec deux vigiles lui intimant de réunir ses affaires et de quitter les lieux. Mon fils aîné, qui avait 14 ans, m’a lancé : « Toi qui as toujours voulu écrire un roman, maintenant tu as un bon sujet ! ». Je ne pouvais plus me défiler. J’ai raconté la chute d’un trader de Lehman Brothers qui sombre dans le désespoir avant de s’enfuir en Afrique, aux chutes Victoria, référence sans équivoque au film de Claude Lelouch « Itinéraire d’un enfant gâté ». Depuis, je suis parvenu tant bien que mal à écrire un roman tous les trois ans. Le dernier est sorti début octobre 2022.
Q2 : Tu écris tout en ayant une activité professionnelle intense, comment organises-tu ton temps ? Dirais-tu qu’il existe une synergie fertile entre ces différentes facettes de ta vie ?
L’important c’est d’avoir une vie intense. J’ai mis longtemps à comprendre que je pouvais trouver une cohérence entre mon activité professionnelle et mes convictions. J’avais des convictions politiques, environnementales, sociales, mais je les laissais à l’extérieur du monde professionnel. Et puis, au moment de la crise financière de 2008, j’ai ressenti le besoin de faire le pont entre ces deux aspects de ma vie, j’ai cherché à donner du sens à mon travail en m’intéressant à la finance responsable. Cela a conduit à la création de Mirova quelques années plus tard.
L’écriture est encore une autre facette, mais elle concourt aussi à cette cohérence. L’écriture romanesque permet de faire passer des messages d’une façon différente, mais aussi de se découvrir, de devenir soi. Donc oui, les mélanges de styles, les passages d’une activité à une autre, sont indispensables. Comme le chante Jean-Jacques Goldman, « vivre, même à demi tant pis, mais vivre cent vies ». Quant au temps, je ne dirais pas que je l’organise, j’essaie plutôt de ruser avec lui. J’aime penser que le temps est élastique. Je n’ai pas une pratique organisée de l’écriture, je ne suis pas du genre à me lever tous les matins à 6 heures pour écrire, c’est beaucoup plus aléatoire, il y a des longs moments de calme, et puis des accélérations.
Q3 : A quels types de littérature appartiennent tes romans ? Quelles sont tes sources d’inspiration et ton intention d’auteur ?
Mon premier roman « La fumée qui gronde » et la suite que j’ai écrite pendant le confinement « Applaudissez-moi » ont pour cadre le monde de la finance. Je ne peux donc pas nier que l’inspiration vienne de mon expérience personnelle. Mais à partir du moment où l’on met un peu de sa propre vie dans un roman, les lecteurs pensent que tout est autobiographique. Ce n’est évidemment pas le cas. Je n’écris pas de l’auto-fiction, d’ailleurs je n’aime pas en lire non plus. L’écriture romanesque me permet de faire un pas de côté, de dire des choses que je ne pourrais pas assumer dans un essai, de montrer aussi mes failles et mes doutes. Dans « Applaudissez-moi », par exemple, je décris un financier « responsable » qui se demande s’il ne sert pas d’alibi au système.
Mes autres romans traitent de sujets très différents. Dans le deuxième, « Naufrages », paru en 2014, je raconte l’histoire d’un navire transportant plusieurs centaines de juifs fuyant la Roumanie nazie en 1942 et qui a sombré dans la mer Noire. Dans « Les refus de Grigori Perelman », publié en 2017, je me suis intéressé à ce personnage incroyable qui a résolu l’une des plus grandes énigmes mathématiques du XXème siècle, la conjecture de Poincaré, et qui a refusé la médaille Fields. J’ai besoin d’un canevas historique dans lequel je tisse ensuite mes fictions, c’est aussi une façon pour moi de revenir à ma passion pour l’Histoire que j’ai laissée de côté après le lycée. Comme beaucoup, je suis un littéraire contrarié. Le système éducatif français est fait de telle sorte que si l’on est un peu doué en mathématiques, on est poussé vers des études scientifiques. Les romans me donnent l’opportunité de faire des recherches, de me plonger dans des périodes et des événements qui m’intéressent, de reprendre des études d’une certaine façon.
Q4 : Parlons de l’édition, comment as-tu procédé pour être publié et quels enseignements tires-tu de ton expérience d’auteur publié ?
Se faire éditer est difficile. Les éditeurs reçoivent des centaines de manuscrits et publient très peu de premiers romans. Je ne voulais pas éditer à compte d’auteur. Cela me paraissait important qu’un éditeur me dise que mon texte avait la qualité suffisante pour être publié. J’ai envoyé mes manuscrits aux grands éditeurs, mais j’ai ciblé aussi des petites maisons qui avaient publié des livres qui se rapprochaient de mes thèmes. J’ai eu la chance de trouver assez vite des petits éditeurs qui m’ont accompagné. Les deux premiers n’existent plus malheureusement, l’édition est un métier difficile. Chez Pippa, un éditeur indépendant du Quartier latin, créé par Brigitte Pelletier, j’ai publié mes troisième et quatrième romans. Mon dernier livre a été publié par Guillaume Allary, avec qui j’échange depuis quelques temps sur des projets d’essais. Ensuite, il faut être honnête, c’est l’auteur qui fait sa promotion. Les petits éditeurs n’ont pas les moyens de faire de la publicité ou des relations presse. Personnellement, j’aime beaucoup parler de mes livres, que ce soit dans des interviews comme aujourd’hui, ou dans des conférences comme il m’arrive de le faire. J’ai été invité à un salon des mathématiques pour parler de mon livre sur Perelman par exemple. Lors de la sortie de « Applaudissez-moi », une amie galeriste a organisé un échange avec un photographe qui avait publié lui aussi un ouvrage pendant le confinement.
Q5 : Pour conclure, peux-tu nous dire quelques mots de ton dernier roman publié ? et du prochain s’il est déjà en préparation ?
Dans mon dernier livre qui est paru en octobre, j’ai imaginé le discours sur l’état de l’Union du président des Etats-Unis en janvier 2034. On découvre la scène à travers les yeux de Destiny, une jeune femme qui vient d’être élue sénatrice de Californie. La situation sur le front climatique est catastrophique, les événements extrêmes se succèdent. Après des décennies d’actions insuffisantes, le président des États-Unis propose une solution radicale. Je vous laisse découvrir la suite. Le point de départ de ce roman, c’est une question que je me pose souvent. De tous temps, les riches et les puissants ont réussi à échapper aux catastrophes en s’enfuyant ou en se barricadant. Ces solutions s’avèrent inefficaces contre le changement climatique, alors que vont-ils faire pour sauver leur peau cette fois-ci ?
Quant à mon prochain livre, ce ne sera pas un roman. Je travaille actuellement à un livre d’entretien avec le philosophe Dominique Bourg, sur la base d’un échange que nous avons eu l’été dernier en Arles lors du festival Agir pour le Vivant. Comment la finance peut-elle s’adapter face au risque de l’effondrement ? Je reviendrai au roman bien sûr, j’ai des ébauches qui mûrissent lentement, notamment un texte autour du décret Crémieux qui a permis à mes aïeux, comme tous les juifs d’Algérie, de devenir Français en 1871.
Bibliographie
La Fumée qui Gronde, éditions Arhsens, 2011
Naufrages, éditions des Rosiers, 2014
Les Refus de Grigori Perelman, éditions Pippa, 2017
Applaudissez-moi, éditions Pippa, 2020
Discours sur l’état de l’Union, Le Métier des mots, 2022
Extrait de « Discours sur l’état de l’Union ».
Alors que les membres du Congrès sont encore hypnotisés par les mots du Président, Destiny descend une à une les marches de la travée dans laquelle elle était assise et se rapproche du bas de la tribune. Petite et menue, avec son tailleur-pantalon gris anthracite et son chemisier blanc, elle se fond naturellement dans cette assemblée. Personne ne la remarque. Quand les applaudissements cessent, elle n’est plus qu’à quelques mètres du Président. Il descend du pupitre, et, sans le savoir, se rapproche d’elle. Elle connaît parfaitement le chemin qu’il doit emprunter pour quitter l’hémicycle. Elle a visionné tous les discours des précédents présidents. Le protocole est invariable. Il tourne à gauche en bas des marches. Bientôt, il sera happé par la foule de ses conseillers qui l’attendent. Quelques secondes d’isolement.
Cet article a été initialement publié le 23 janvier.
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