En espérant contribuer à éclairer la campagne électorale, cet article présente la situation des finances publiques françaises et leurs perspectives d’évolution à l’horizon de 2027, puis les risques encourus et les solutions envisageables pour en limiter l’ampleur.

1) La situation des finances publiques

Le déficit public de la France est passé de 3,1 % du PIB en 2019 (2,2 % hors impact temporaire du remplacement du CICE par un allègement de cotisations sociales[1]) à 9,1 % du PIB en 2020. La dette publique, au sens du traité de Maastricht, représentait 97,5 % du PIB à la fin de 2019 et 115,0 % à la fin de 2020. L’augmentation de ces deux ratios en 2020 résulte à la fois de la hausse de leur numérateur (déficit et dette) et de la baisse de leur dénominateur (la valeur du PIB) du fait de la crise et des mesures prises pour y faire face.

A la fin de 2020, sept pays de la zone euro, tous au bord de la Méditerranée sauf la Belgique, avaient une dette supérieure à 110 % du PIB et les douze autres, tous au nord sauf Malte, avaient une dette inférieure à 85 % du PIB (dont huit pour lesquels elle était au-dessous de 60 % du PIB). Il y avait donc un écart de 25 points de PIB entre ces deux groupes, qui se creuse avec le temps. En particulier, la dette de la France représentait 115 % du PIB et celle de l’Allemagne 69 % à la fin de 2020 alors qu’elles étaient quasiment identiques du début de la zone euro jusqu’à 2010.

Les dépenses publiques de la France représentaient 61,6 % de son PIB en 2020 et elle était le seul pays de l’Union européenne pour lequel ce ratio dépassait 60,0 %. Le taux de ses prélèvements obligatoires était de 47,5 % selon Eurostat (dont la définition des prélèvements obligatoires diffère de celle de l’Insee), ce qui la situait au deuxième rang de l’Union européenne derrière le Danemark (47,6 %).

S’agissant de 2021, le déficit public était estimé à 8,1 % du PIB et la dette à 115,3 % du PIB par le gouvernement lors de la présentation du projet de loi de finances rectificative au début de novembre. A la mi-janvier 2022, le ministre des comptes publics a laissé entendre que le déficit pourrait être proche de 7,0 % du PIB et la dette de 114 % grâce à la non-consommation de crédits liés au plan d’urgence et, surtout, à des recettes fiscales et sociales bien meilleures que prévu. Le rendement du dernier acompte d’impôt sur les sociétés serait notamment supérieur de 10 Md€ à ce qui était anticipé quelques semaines auparavant. C’est très surprenant, même en tenant compte des difficultés de prévision inhérentes à la période actuelle.

Les dépenses publiques seraient en revanche plus importantes que prévu en 2022, en raison notamment des mesures prises pour protéger les ménages contre la hausse des prix de l’énergie. Le ministre des comptes publics semblait en conséquence maintenir la prévision d’un déficit public de 5,0 % du PIB en 2022 inscrite dans la loi de finances initiale. Du fait surtout de la poursuite du rebond du PIB (4,0 % de croissance en volume), la dette baisserait un peu en pourcentage du PIB pour s’établir à proximité de 113 % à la fin de 2022.

2) Les perspectives à l’horizon de 2027

L’institut Montaigne a publié début 2022 une note que j’ai écrite avec V. Bourquard sur les perspectives des finances publiques. Elle montre que la stabilisation de la dette publique à l’horizon de 2027, en pourcentage du PIB, sera très difficile.

Elle actualise d’abord les prévisions à moyen terme du Gouvernement au vu des informations disponibles début décembre : le déficit public serait ramené un peu au-dessous de 3,0 % du PIB en 2027 et la dette serait d’environ 114 % du PIB, soit une quasi-stabilisation, en s’appuyant sur une croissance du PIB en volume relativement raisonnable (1,4 % par an à partir de 2023) et sans augmenter ou baisser les prélèvements obligatoires au-delà de ce qui est déjà voté.

La condition la plus importante pour arriver à ce résultat est une forte modération de la croissance des dépenses publiques, ramenée en euros constants à 0,7 % par an à partir de 2023 hors mesures d’urgence et de relance (celles-ci étant supposées disparaître progressivement au début de cette période).

Dans la note précitée, nous estimons la croissance tendancielle des dépenses, c’est-à-dire celle qui serait enregistrée si aucun effort d’économie, ni aucune dépense nouvelle, n’était mis en œuvre. Si la dynamique de certaines dépenses, comme les retraites, est prévisible à partir des évolutions de variables socio-économiques (démographie, salaires…), l’estimation de la croissance tendancielle d’autres dépenses, comme les investissements de l’Etat, est très conventionnelle.

Cet exercice est donc fragile mais il permet de voir que les efforts nécessaires sont considérables. En effet, nous estimons la croissance tendancielle des dépenses en volume à 1,7 % par an et, pour maintenir leur progression à 0,7 %, il faudrait réaliser chaque année des économies de l’ordre de 1,0 % des dépenses publiques, soit 14 Md€ (70 Md€ sur cinq ans). C’est un effort un peu plus grand que celui réalisé en moyenne dans les années 2011-2019 avec des mesures telles que le recul de l’âge de départ en retraite ou le gel du point de la fonction publique. Après deux ans de « quoi qu’il en coûte », justifié pour faire face à la crise, c’est socialement peu réaliste.

L’activité économique peut certes être un peu plus forte que prévu et les recettes supplémentaires engrangées en 2021 auront un effet de base favorable sur toute cette période. Toutefois, que l’effort d’économies nécessaire soit de 50 ou de 70 Md€ ne change rien au message à destination des candidats à l’élection présidentielle : la France n’a pas de marges budgétaires pour baisser les impôts ou accroître les dépenses, sauf à prendre le risque d’une nouvelle hausse de l’endettement public.

3) Les risques encourus

La France n’a certes aujourd’hui aucun problème pour s’endetter et rembourser ses emprunts parce que la Banque centrale européenne (BCE), comme d’autres banques centrales, achète des quantités considérables de titres obligataires publics à des taux d’intérêt très bas. A la fin de 2020, la Banque de France détenait, pour le compte de la BCE, environ 20 % de la dette publique française.

On ne peut cependant pas escompter que cette situation perdurera. Si l’inflation dépasse durablement son objectif, la BCE devra relever ses taux d’intérêt mais aussi  réduire le volume de ses programmes d’achats de titres publics sur le marché secondaire (ce qui est déjà prévu à partir de mars 2022).

Les acteurs des marchés financiers peuvent certes espérer, en cas de forte hausse de la prime de risque d’un Etat européen, que la BCE déclenchera le programme d’achats de titres publics en quantités illimitées qui concrétise le « whatever it takes » de Mario Draghi. Ils devraient cependant se rappeler que le bénéfice de ce programme est soumis à la condition d’un accord avec le Mécanisme Européen de Stabilité (MES), sorte de FMI à l’échelle européenne, que cet accord implique des mesures de redressement des comptes publics et que des gouvernements européens ont déjà fait savoir qu’ils ne l’accepteraient jamais.

Beaucoup de détenteurs de titres publics pensent probablement que la BCE fera toujours tout pour éviter le défaut de paiement d’un Etat fondateur de la zone euro, même si celui-ci refuse de prendre des mesures impopulaires. Ils ne peuvent cependant pas exclure l’arrivée au pouvoir de mouvements populistes favorables à une sortie de la zone euro et agitant des slogans tels que « nous ne voulons plus payer pour les pays du Sud » dans le nord de l’Europe. Une zone monétaire n’est pas forcément éternelle.

La France, comme les autres pays européens, devra donc revenir sur les marchés financiers pour placer ses émissions obligataires et elle devra maintenir la confiance des investisseurs pour éviter le défaut de paiement et une crise des finances publiques.

On ne peut pas déterminer un seuil d’endettement public, en pourcentage du PIB, au-delà duquel le risque de déclenchement d’une telle crise devient particulièrement fort. La soutenabilité de la dette publique dépend de multiples facteurs spécifiques à chaque pays et à chaque période, dont certains sont très qualitatifs comme la crédibilité des politiques publiques ou la solidité des institutions. Il faut surtout convaincre les investisseurs que la dette est sous contrôle et que l’Etat pourra toujours réemprunter pour payer les intérêts et rembourser le principal de ses emprunts.

Pour les économistes, l’Etat doit montrer qu’il peut stabiliser, ou réduire, la dette publique en pourcentage du PIB, en dehors des périodes de récession ou de fort ralentissement de l’activité économique où elle doit augmenter pour soutenir l’activité. Ils ne peuvent pas dire à quel niveau elle doit être stabilisée et on peut seulement observer que plus ce niveau est élevé plus le risque de défiance des créanciers de l’Etat et de crise est important, sauf si cet endettement paraît justifié par des investissements particulièrement favorables à la croissance.

La dette publique est stabilisée en pourcentage du PIB si sa croissance est identique à celle du PIB en valeur. Comme la dette en fin d’année est égale à la dette à la fin de l’année précédente majorée du déficit de l’année en cours (hors variation des actifs financiers), le déficit permettant de stabiliser la dette à un certain niveau est égal au produit de cette dette par le taux de croissance du PIB en valeur.

Si la croissance du PIB en valeur est de 3,0 % par an au cours des prochaines années (soit, par exemple, une croissance en volume de 1,5 % et une inflation de 1,5 %), comme le prévoit à peu près le Gouvernement, il faut ramener le déficit public de 5,0 % du PIB (prévision officielle pour 2022) à 3,45 % du PIB et l’y maintenir pour stabiliser la dette à 115 % du PIB.

Cette condition de stabilisation de la dette est indépendante de son taux d’intérêt. Elle est seulement plus difficile, voire impossible, à respecter si celui-ci (le taux d’intérêt moyen sur le stock de dette) est supérieur au taux de croissance nominal du PIB car le solde primaire stabilisant est alors d’autant plus élevé que la dette est importante ; elle est plus facile à respecter si le taux d’intérêt de la dette est inférieur au taux de la croissance nominale du PIB.

Si la stabilisation de sa dette publique à environ 115 % du PIB en 2027 est très difficile pour la France et constituerait un résultat appréciable, parce qu’elle suppose des économies difficilement acceptables par la population dans le contexte social et politique actuel, les règles budgétaires européennes actuelles voudraient néanmoins qu’elle diminue rapidement pour se rapprocher de 60 % du PIB. Une négociation sur la révision de ces règles a été engagée et il est impossible de dire quelle en sera la conclusion.

4) Les solutions envisageables

Une croissance plus forte de l’activité économique serait bien entendu la meilleure solution pour redresser les comptes publics mais si les économistes ont beaucoup d’idées pour y parvenir, elles sont souvent contradictoires et les gouvernements ne les suivent pas toujours. Il est donc préférable de construire la programmation des finances publiques sur des hypothèses économiques prudentes.

L’inflation facilite la réduction du ratio dette/PIB dans un premier temps car elle contribue à majorer son dénominateur. On peut aussi dire que le déficit permettant de stabiliser la dette à un certain pourcentage du PIB est plus élevé, donc plus facile à atteindre.

Cependant, l’inflation conduit les banques centrales à relever les taux d’intérêt. Le taux moyen du stock de dette publique n’est alors affecté que progressivement mais sa hausse est inéluctable et l’augmentation de la charge d’intérêts contribue dans un deuxième temps à augmenter le déficit et la dette publics. Si la hausse du taux d’intérêt sur le stock de dette est égale à la hausse du taux d’inflation et si le solde primaire ne change pas, la dette converge vers le même niveau qu’avant la poussée d’inflation.

La désinflation a enfin des effets symétriques : dans un premier temps, elle contribue à accroître la dette publique et c’est seulement dans un deuxième temps que la baisse des taux d’intérêt facilite sa réduction.

Ce profil temporel de l’impact de l’inflation sur les comptes publics explique pourquoi les gouvernements de certains pays ont été peu pressés de la combattre au cours de l’histoire, ce qui a parfois conduit à l’hyperinflation.

L’annulation de la dette publique détenue par la banque centrale n’aurait aucun impact économique immédiat mais elle suppose une prise de contrôle de la banque centrale par l’Etat. Celui-ci serait ensuite fortement tenté de financer une forte croissance de ses dépenses par la création monétaire et de toujours reporter à plus tard la lutte contre l’inflation.

Il reste les solutions « orthodoxes » : réduire le déficit public en relevant les prélèvements obligatoires ou en diminuant les dépenses publiques. Les économistes ne savent pas quel est le taux maximal des prélèvements obligatoires mais il ne peut sans doute pas être beaucoup plus élevé que celui des pays concurrents sauf à réduire la compétitivité des entreprises et l’attractivité du territoire, surtout si la qualité des dépenses n’est pas à la hauteur des prélèvements. La France a donc peu de marges pour accroître ses impôts et cotisations sociales et il ne reste que la maîtrise des dépenses publiques.

Une partie de celles-ci pourrait toutefois être transférée à l’Union européenne en autorisant celle-ci à emprunter, ce qui a été décidé en juillet 2020. C’est une très bonne décision mais, si les pays européens ne s’entendent pas pour créer de nouveaux impôts à l’échelle européenne, les emprunts émis seront remboursés en relevant les contributions nationales au budget européen, certes dans très longtemps (de 2028 à 2058).

Surtout, le programme mis en œuvre à la suite de cet accord organise des transferts très importants des pays les plus riches vers les plus pauvres ou les plus endettés. Cette solidarité a finalement été acceptée, avec beaucoup de réticences, par les pays « frugaux » dans un contexte de crise sanitaire où elle pouvait difficilement être refusée. Il n’est pas certain qu’elle soit renouvelée et qu’un prolongement de ce programme européen soit possible.

 

Mots clés : Dette publique – déficit public – politique budgétaire – dépenses publiques – budget – finances publiques


[1] En 2019, les entreprises ont bénéficié à la fois du CICE sur les salaires de 2018 et des allégements de cotisations sur les salaires de 2019.