Une crise est le bon moment pour lancer ce qui nous permettra à la fois de panser nos plaies et de limiter les risques de « la prochaine ». Ce travail a commencé pour la finance. Comment financer le choc énorme que le Covid 19 impose à nos collectivités, c’est-à-dire à la fois aux particuliers, aux entreprises et aux gouvernements, et repartir du bon pied ?

Malheureusement, ce qu’on voit pour l’instant émerger est une série de vieux remèdes derrière de nouveaux noms, pour soigner cette crise comme les précédentes, par la dette.

Ce serait un résultat consternant, car cette crise est l’occasion de résoudre notre problème immédiat, le financement de l’après Covid 19, mais également de sécuriser nos comptes bancaires, stabiliser nos économies, et financer nos grands projets comme la transition énergétique.

Le point de départ est de revenir sur l’erreur commise quand les banques centrales ont renoncé à créer la monnaie pour déléguer cette mission régalienne aux banques commerciales : aujourd’hui, ce sont les banques qui créent de la monnaie quand elles ouvrent un crédit, sans contrôle autre que prudentiel. La planche à billets du gouvernement est donc devenue la planche à dettes des banques. Rien ne sera durable tant que le gouvernement, c’est-à-dire la banque centrale, n’assumera pas la responsabilité de créer la monnaie.

-1- La sécurité de nos comptes bancaires

La première étape est d’assurer la sécurité de nos comptes bancaires. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous disposons bien de comptes sécurisés (en France, les Livrets d’épargne) mais ils offrent des services limités et le reste de notre argent reste sur les comptes de banques fragiles, dont nous ne savons pas quelles dettes elles ont créé avec. Quand les banques nous affirment que notre argent est en sécurité chez elles jusqu’à 100.000€ c’est sans nous expliquer que nous, contribuables, fournissons l’essentiel de notre propre garantie à travers notre gouvernement, alors que ce sont les banques qui peuvent provoquer une catastrophe financière avec leur planche à dettes.

  • Abritons nos dépôts dans le donjon

La banque centrale est l’institution collective qui garantit la valeur de la monnaie et notre meilleure sécurité financière. On peut la décrire comme le donjon d’un château fort dont les banques commerciales seraient les tours : en cas de crise, les tours peuvent tomber sans menacer le donjon et ce qu’il abrite.

Aujourd’hui, seules les banques commerciales abritent une partie de leurs fonds à la banque centrale : les particuliers n’y ont pas droit. Pour protéger notre argent, il suffit d’ouvrir à tous les membres de la collectivité le droit de déposer leur argent à la Banque centrale. L’idée aurait paru de la science-fiction il y a quelques années : elle est désormais possible et même bien avancée aux Pays-Bas. Nous déposons toujours notre argent dans la banque commerciale de notre choix pour bénéficier de ses services de gestion, mais il est immédiatement transféré sur un second compte à notre nom à la Banque centrale. En sens inverse, chaque fois que nous tirons sur notre compte bancaire, la banque appelle notre compte à la Banque centrale.

Notre argent, géré dans les tours mais conservé au donjon, est protégé même si une banque fait faillite. Les contribuables n’ont donc plus de raison de donner leur garantie aux banques qui deviennent plus prudentes, d’autant qu’elles ont perdu leur planche à dettes puisque nos dépôts ne sont plus à leur bilan.

-2- La capacité à financer nos projets collectifs

La seconde étape est de profiter de ce transfert de notre argent à la banque centrale pour assurer le financement de nos grands projets collectifs de l’après Covid 19 et par exemple de la transition énergétique. Nos collectivités ne savent plus financer ce qui dure : plus de bâtisseurs de pyramides ou de cathédrales, nos gouvernements sont pauvres et les banques n’investissent qu’avec un objectif marchand à court terme. Quand nous lisons qu’une production contemporaine va durer des milliers d’années, il s’agit toujours de déchets chimiques ou radioactifs ! Les banques nous expliquent qu’elles aimeraient prêter à long terme, mais que leurs contraintes de liquidité les en empêchent, sauf si nous acceptons de bloquer notre argent longtemps avec des risques de perte illimités, ce qui n’est pas particulièrement tentant.

  • Retrouvons notre capacité d’investir à Long terme

L’exemple des Livrets d’Epargne doit nous inspirer : voilà de l’argent que l’on peut retirer à vue et qui sert à financer à très long terme. Le total de nos comptes à la Banque centrale est encore plus stable que celui des Livrets : l’argent circule de compte à compte sans quitter le donjon. La banque centrale peut donc le prêter à long terme aux banques à des conditions fixées par la collectivité : par exemple, qu’une partie finance la transition énergétique. Le montant d’argent disponible n’a pas changé, simplement certains projets ne trouvent plus de financement : ceux qui étaient rentables à court terme mais absurdes à long terme. L’inverse donc de la situation actuelle où l’on finance facilement des recherches pétrolières mais pas l’isolation des logements.

-3- Une collectivité protégée des crises économiques

Le transfert de notre argent à la banque centrale permet aussi de résoudre le troisième défi, qui est de faire face à la chute d’activité liée au Covid 19 et de relancer l’activité.

Des milliers de livres ont été écrits sur comment relancer une économie en crise pour conclure en gros qu’il faut remettre de l’argent dedans, pour que les joueurs recommencent à produire et à consommer. Comment ? Un affrontement bien rodé oppose depuis des décennies les économistes budgétaristes, qui croient à la dette publique, et les économistes monétaristes, qui ne jurent que par la dette privée. Il renait bien sûr aujourd’hui, et personne ne questionne ce sur quoi tous sont d’accord, qui est de relancer par la dette. On comprend pourquoi : c’est aujourd’hui la seule façon de créer de l’argent, par la planche à dettes des banques. Le remède est pourtant surprenant car une collectivité est d’autant plus fragile qu’elle contient plus de dettes. Et donc, résoudre une crise par la dette aggrave l’incendie suivant, en augmentant son carburant et en appauvrissant les gouvernements-pompiers.

  • A situation de crise, réponse de crise

La planche à dettes disparue, la banque centrale récupère le pouvoir de créer de la monnaie pour stabiliser l’économie et résister aux crises, sans plus passer par la dette. Elle l’utilise de deux façons.

  • En régime normal, elle rajoute un peu d’argent chaque année, comme on rajoute de l’huile dans un moteur : pour échanger entre nous un peu plus de choses (la croissance) qui coûtent un peu plus cher (l’inflation). Cet argent créé est partagé également entre tous. Si l’on reprend le montant d’argent créé actuellement en France par la planche à dettes, c’est 100€ chaque mois que la banque peut créer sur le compte de chaque Français.
  • Face à une crise comme celle engendrée par le Covid 19, la banque centrale peut augmenter bien sûr le montant d’argent créé. Une partie va à chaque personne, pour l’aider elle à surmonter la crise, et faire repartir l’économie par ses dépenses ; l’autre partie va aux Etats, pour des projets collectifs exceptionnels.

L’avantage énorme est que nous échappons à la gestion de la crise par la dette : cet argent que crée la collectivité en période de crise n’aura jamais à être remboursé. Mais il faut se mettre d’accord sur son montant, car s’il est trop élevé il engendre une inflation excessive. « On » peut considérer ce risque voisin de zéro, avec le double effondrement de l’activité et du prix du pétrole. « On » peut aussi faire valoir qu’un peu d’inflation serait compensé pour les plus pauvres par la partie distribuée également à tous, et n’effriterait que de façon indolore le patrimoine des plus riches, en s’épargnant des mois de discussions sur un « grand impôt ». « On » peut enfin considérer que l’important est de ne pas prendre l’habitude de cette création de crise.

La question est in fine politique : qui est ce « on », qui décide ?

Le système décrit est tentant. Il n’a rien de soviétique : chaque personne et chaque entreprise continue de choisir où elle dépose son argent en mettant en concurrence les banques sur les services rendus. Mais chacune sait son argent en sécurité et l’économie stable, sans surchauffe ni ralentissement. Et nous avons repris la main sur la distribution de nouvelle monnaie et sur le financement de nos grands projets collectifs.

Beaucoup des initiés qui s’intéressent à ces questions sentent au fond d’eux-mêmes que la collectivité a renoncé à un instrument redoutablement efficace (la monnaie banque centrale) au profit d’un jeu de roulettes russes (la création monétaire par la planche à dettes des banques). Certains peut-être pour des raisons d’intérêt (le révolver de la roulette russe n’est pas chargé de la même façon pour tout le monde !), mais beaucoup par méfiance envers le jeu politique.

L’enjeu pour rassurer et avancer est de revoir la façon dont ces décisions essentielles sont prises, en soumettant la banque centrale au jeu démocratique (dont elle est aujourd’hui affranchie), mais en soumettant le jeu politique à la logique de l’intérêt général plutôt que de politique politicienne à court terme, en imposant pour ces décisions des conditions de majorité renforcée, par exemple des deux-tiers.

 

Ce texte s’inspire d’un livre à paraître Le Plaisir du Jeu – Utopie réaliste