David, peux-tu briĂšvement nous rappeler ton parcours depuis lâEcole ?
Surtout intĂ©ressĂ© au dĂ©part par la macroĂ©conomie et la modĂ©lisation, jâai commencĂ© en tant quâĂ©conomiste risque-pays puis conjoncturiste au sein dâune grande banque française. Jâai ensuite progressivement Ă©voluĂ© vers les activitĂ©s liĂ©es aux marchĂ©s financiers, sur les taux puis sur les actions, en occupant des fonctions dâĂ©conomiste et dâanalyste dans les salles de marchĂ© de diffĂ©rentes banques et institutions françaises. Six ans aprĂšs ma sortie de lâĂ©cole, jâai finalement rejoint la sociĂ©tĂ© de gestion du CrĂ©dit Agricole (Amundi aujourdâhui) oĂč je suis devenu responsable de lâĂ©quipe de stratĂ©gie, en charge de la dĂ©finition de lâallocation dâactifs tactique. Il mâa donc fallu quelques annĂ©es de « tĂątonnements» et de recherche avant dâidentifier le secteur dans lequel je travaille encore aujourdâhui. Il me semble que lâintĂ©rĂȘt de la gestion dâactifs est de combiner une analyse en profondeur (que ce soit en macro-Ă©conomie, en analyse financiĂšre, en modĂ©lisationâŠ) et un cĂŽtĂ© trĂšs vivant et toujours renouvelĂ© du fait de la matiĂšre sur laquelle on travaille (les marchĂ©s financiers).
A partir de 2000 jâai participĂ© Ă la crĂ©ation et au dĂ©veloppement de la sociĂ©tĂ© de gestion de Fidelity en France, oĂč jâĂ©tais plus particuliĂšrement en charge de la gestion des portefeuilles diversifiĂ©s, essentiellement destinĂ©s Ă la clientĂšle française, quâil sâagisse de clients particuliers ou institutionnels. Jâai occupĂ© ce poste pendant 18 annĂ©es, conservant des responsabilitĂ©s de gestion financiĂšre tout en devenant Directeur GĂ©nĂ©ral de la structure française, contribuant donc Ă la dĂ©finition de sa stratĂ©gie de dĂ©veloppement. Dans ce cadre, jâai ainsi continuĂ© Ă exercer une fonction dâexpert (lâallocation dâactifs) tout en Ă©tant progressivement impliquĂ© dans beaucoup dâautres sujets, quâil sâagisse dâorganisation interne, de dĂ©veloppement commercial ou de dĂ©finition de nouveaux produits.
Je viens de rejoindre au printemps dernier la sociĂ©tĂ© Yomoni, oĂč jâai la responsabilitĂ© de lâactivitĂ© de gestion. Yomoni est une jeune sociĂ©tĂ© qui propose des solutions dâĂ©pargne via internet. Jâai Ă©tĂ© particuliĂšrement sensible Ă la dimension entrepreneuriale du projet (il sâagit dâune sociĂ©tĂ© qui vient de fĂȘter ses 4 ans dâexistence et qui est donc en pleine phase de croissance) ainsi quâau cĂŽtĂ© trĂšs novateur de son offre qui met en avant la gestion indicielle et des frais en dessous des standards de la gestion classique. Je pense que ce type dâapproche est promis Ă un grand avenir, comme câest le cas aux Etats-Unis depuis une dizaine dâannĂ©es.
En quoi consiste le mĂ©tier dâallocataire dâactifs, quelles qualitĂ©s requiert-il ?
Lâallocation dâactifs consiste Ă dĂ©finir la rĂ©partition dâun portefeuille financier sur les grandes classes dâactifs disponibles (les actions, les produits de taux, les matiĂšres premiĂšres etcâŠ) en fonction dâobjectifs de long terme (risque ou rentabilitĂ© attendus par exemple) et de contraintes de court terme (environnement Ă©conomique et de marchĂ©).
On distingue donc lâallocation dâactifs stratĂ©gique, oĂč lâon raisonne sur un horizon de long terme et pour laquelle on utilise essentiellement des mĂ©thodes de modĂ©lisation et dâoptimisation, et lâallocation tactique. Cette derniĂšre, qui concerne des horizons de plus court terme, repose en grande partie sur lâanalyse macro-Ă©conomique.
Ce mĂ©tier demande donc Ă la fois un goĂ»t pour les techniques quantitatives de modĂ©lisation et pour lâanalyse macroĂ©conomique. En ce qui me concerne, je me suis progressivement intĂ©ressĂ© Ă ces sujets car ils sont une application trĂšs concrĂšte et toujours renouvelĂ©e de lâanalyse macro-Ă©conomique, qui constituait mon principal centre dâintĂ©rĂȘt en dĂ©but de carriĂšre.
Tu as passĂ© 18 ans dans une grande sociĂ©tĂ© de gestion dâactifs, et te voilĂ aujourdâhui chez Yomoni, une fintech spĂ©cialisĂ©e dans les solutions dâĂ©pargne. Comment sâest passĂ©e cette Ă©volution, et comment vis-tu ce changement culturel ?
Ce changement sâest fait de façon extrĂȘmement naturelle, via en particulier un ancien de lâENSAE qui Ă©tait un des fondateurs de Yomoni (Mourtaza Asad-Syed).
Le marchĂ© de lâĂ©pargne financiĂšre en France est un marchĂ© assez complexe et trĂšs spĂ©cifique, difficile Ă pĂ©nĂ©trer pour les sociĂ©tĂ©s Ă©trangĂšres pour de multiples raisons. En 18 ans chez Fidelity, jâai eu le plaisir de contribuer Ă des phases de dĂ©veloppement trĂšs motivantes (crĂ©ation des premiers fonds de droit français par exemple) mais, passĂ© un certain cap, la croissance devient beaucoup plus difficile.
Dâautre part, Fidelity est certes un grand groupe international leader sur de nombreux marchĂ©s mais finalement assez modeste en France (comme la plupart des grands acteurs Ă©trangers du secteur). Lorsque jâai rejoint la sociĂ©tĂ© en 2000, elle comptait moins de 20 collaborateurs et jâai participĂ© au lancement de lâactivitĂ© de gestion en France. La diffĂ©rence avec Yomoni en termes de taille est donc finalement assez minime.
Ce que jâapprĂ©cie particuliĂšrement aujourdâhui, câest la forte autonomie de mon poste qui me permet de mettre en Ćuvre les solutions de gestion qui me semblent les plus pertinentes. Dans un grand groupe international, il est Ă©videmment plus compliquĂ© de pouvoir appliquer aussi directement et simplement ses propres idĂ©es.
Et comment vois-tu lâavenir de la gestion dâactifs face aux disruptions technologiques ?
Dans la gestion dâactifs, beaucoup de mĂ©tiers sont effectivement en train dâĂ©voluer du fait de lâautomatisation dâun nombre croissant de tĂąches. Le changement le plus important se situe Ă un autre niveau Ă mon sens.
Il sâagit du dĂ©veloppement extraordinaire de la gestion indicielle (ou gestion passive) au dĂ©triment de la gestion active. Ce mouvement a pris une ampleur impressionnante aux Etats-Unis depuis une dizaine dâannĂ©es, et commence Ă peine Ă se produire en France. Il sâagit dâun challenge majeur pour les sociĂ©tĂ©s de gestion traditionnelles qui conservent une approche active ; celles-ci devront de plus en plus justifier des niveaux de frais relativement Ă©levĂ©s alors que les performances relatives par rapport Ă la gestion indicielle ne sont pas souvent convaincantes.
Ces tendances sont en outre renforcĂ©es par lâaugmentation de la rĂ©glementation, qui pousse Ă une transparence accrue dans lâindustrie (sur la question des frais notamment), mais aussi par le trĂšs faible niveau des taux dâintĂ©rĂȘt dans le monde qui induit une rĂ©vision Ă la baisse des performances que lâon peut raisonnablement attendre des marchĂ©s financiers Ă lâavenir.
Le dĂ©veloppement dâinternet bouleverse en outre les canaux de distribution classiques (banques, assurances, conseillers indĂ©pendantsâŠ) pour certains segments de clientĂšles.
Tu es dans la deuxiĂšme partie de ta vie professionnelle, que tâinspire ce passage Ă la maturitĂ©, et comment envisages-tu les annĂ©es Ă venir ?
Ma premiĂšre remarque, câest que le temps passe trĂšs vite ! Jâai du mal Ă rĂ©aliser que 27 annĂ©es se sont Ă©coulĂ©es depuis ma sortie de lâĂ©cole et que je suis effectivement dĂ©jĂ bien avancĂ© dans la deuxiĂšme partie de ma vie professionnelle. Il me semble que lâexpĂ©rience accumulĂ©e, du point de vue professionnel et personnel, et le fait dâavoir derriĂšre soi un certain nombre de rĂ©alisations dont on peut ĂȘtre raisonnablement satisfait, permettent de prendre de la hauteur et apportent une forme de sĂ©rĂ©nitĂ©.
Ce qui me frappe aussi, câest quâavec le temps, et cette prise de distance assez naturelle, nos objectifs changent un peu. Ces sujets ont Ă©tĂ© assez rebattus, mais il me semble bien quâĂ partir dâun certain Ăąge on cherche plus Ă ĂȘtre en phase avec ses propres valeurs personnelles et que lâon devient moins sensible Ă lâopinion gĂ©nĂ©rale. LâexpĂ©rience permet aussi de se forger sa propre opinion sur la « bonne » façon de faire son travail, alors quâen dĂ©but de carriĂšre on manque Ă©videmment de recul par rapport Ă ces questions. Jâestime aujourdâhui avoir beaucoup de chance de pouvoir mettre mon expertise au service dâun projet qui me semble tout Ă fait pertinent.
On mesure aussi trĂšs concrĂštement cette accumulation dâexpĂ©rience en travaillant avec des gens beaucoup plus jeunes, Ă qui lâon peut transmettre du savoir et des mĂ©thodes.
Concernant les annĂ©es Ă venir, je nâai pas vraiment de plan prĂ©dĂ©fini, et je nâen ai jamais eu jusquâĂ prĂ©sent. JâespĂšre simplement que mes prochaines annĂ©es professionnelles seront aussi intĂ©ressantes que celles que jâai connues jusquâĂ aujourdâhui.
Tu nous confiais ta passion des voyages, de lâart dit primitif, quels sont tes projets ?
Oui effectivement, les voyages sont depuis longtemps un contrepoint trĂšs important Ă la vie professionnelle pour moi. Jâai toujours Ă©tĂ© trĂšs intĂ©ressĂ© par le contenu de mon travail mais tout en ressentant en mĂȘme temps le besoin de rĂ©guliĂšrement « changer dâair » de façon assez radicale. Les voyages sont un trĂšs bon moyen de changer complĂštement dâenvironnement. Jâen ressens en outre les effets bĂ©nĂ©fiques par la prise de distance quâils apportent aprĂšs coup par rapport aux problĂšmes du quotidien.
A la fin de lâannĂ©e je vais visiter une bonne partie de lâarchipel dâHawaii. Je suis effectivement trĂšs sensible aux arts dits « primitifs », dâOcĂ©anie et de PolynĂ©sie en particulier. Jâai dĂ©jĂ eu la chance de visiter la Nouvelle-ZĂ©lande, lâile de PĂąques et les Ăźles Marquises ; je vais donc « boucler » le triangle polynĂ©sien avec lâarchipel dâHawaii. Je trouve trĂšs enrichissant de complĂ©ter la connaissance quâon peut avoir dâune culture trĂšs lointaine au travers de lectures ou de visites dans les musĂ©es et les galeries par la dĂ©couverte des pays oĂč elles se sont dĂ©veloppĂ©es (mĂȘme si ces cultures ont souvent Ă©tĂ© largement dĂ©cimĂ©es par lâarrivĂ©e des occidentaux).
Et si tu devais conseiller un.e jeune alumni Ă lâaube de sa carriĂšre, que lui dirais-tu ?
TrĂšs honnĂȘtement je ne suis pas sĂ»r dâavoir beaucoup de conseils Ă donner Ă qui que ce soit, et encore moins si je ne connais pas la personne Ă qui je mâadresse. Je pense que je dirais simplement quâil ne faut pas hĂ©siter Ă suivre son intuition ou son instinct dans ses choix, mĂȘme si les objectifs ne sont pas trĂšs clairement dĂ©finis au dĂ©part, et surtout se diriger vers des activitĂ©s que lâon trouve enthousiasmantes. Câest en gĂ©nĂ©ral lâapproche que jâai adoptĂ©e, et je nâai pas eu Ă le regretter jusquâĂ prĂ©sent.
Propos recueillis par Eric Tazé-Bernard
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