Les médias existent depuis longtemps. Destinés initialement à diffuser des contenus d’information – au sens large du mot -, y compris pour l’affichage, ils ont intégré peu à peu des contenus de nature publicitaire, sous des formes de plus en plus variées. Cette cohabitation a conduit à l’émergence d’un intéressant modèle économique mixte.
Vue à travers le filtre de l’audience et de sa mesure, la publicité est un genre de contenu comme un autre. Elle possède néanmoins des caractéristiques qui lui sont propres : les indicateurs basés sur la mesure d’audience sont différents, et en outre la quantification des expositions publicitaires varie de média en média, selon les dispositifs de mesure et les conventions qui leur sont associées.
Cet article est en deux parties : la première aborde les origines de l’écosystème des médias ; la seconde est consacrée au paysage actuel.
Partie 1 : les origines du paysage actuel
Un peu d’histoire
Dans l’histoire des médias, la cohabitation de contenus de divertissement ou d’information, au sens large du mot, et de publicités est ancienne. Mis à part l’affichage entièrement dédié à la publicité, les autres médias conjuguent une mixité entre contenus « classiques » et insertions publicitaires : en presse, il s’agit de surface, pour la radio et la télévision, du temps, pour internet de la surface et des impressions.
La presse est le premier média historique, défini en tant que produit périodique résultant d’un processus « industriel », né après l’apparition de l’imprimerie, au milieu du XVème siècle. Les premières initiatives datent du XVIème siècle, dans certaines villes d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Angleterre, de France ou d’Italie. La Gazette de Venise, hebdomadaire, en est un exemple historique ; le nom de « gazette » vient de la gazeta, nom d’une monnaie vénitienne existant depuis 1538, le prix du journal étant d’une gazeta.
En France, des annonces de particuliers font fugitivement partie de la Gazette de Théophraste Renaudot, lancée fin mai 1631. En Angleterre, une publicité pour un dentifrice est insérée dans le Mercurius Politicus, édité de 1650 à 1660. Plus près de nous, dans la foulée du New York Globe (1832) et du New York Herald (1835), quotidiens bon marché financés par les ventes et les abonnements mais aussi par les inserts publicitaires, Emile de Girardin lance le journal « La Presse » en 1836 selon ce modèle de financement mixte.
L’autre ancien média, par nature dédié intégralement à la publicité, est l’affichage.
L’ordonnance de Villers-Cotteret, proclamée par François 1er en 1539, est considérée comme fondatrice de ce mode de communication. Elle impose le français comme langue de référence et fait afficher les ordonnances sur des tableaux de publication. D’abord moyen de transmission de décisions de nature politique, nationales ou locales, l’affiche change de nature avec le développement de l’alphabétisation et surtout avec la Révolution Industrielle, qui ajoute l’image au texte. C’est le début de l’affiche comme support publicitaire.
L’affichage publicitaire apparaît le long des routes de France dès le début du XXème siècle, alors que le parc automobile est très limité, mais possédé par des classes sociales très élevées. A noter enfin que l’affichage est un média gratuit.
En 1895 naît le cinéma ; si tout le monde a vu les images de « L’entrée d’un train en gare de La Ciotat » des frères Auguste et Louis Lumière, il est moins connu que, dès 1897, ils tournent le premier film publicitaire. En 1900, Georges Méliès produit un film publicitaire pour la moutarde Bornibus, entreprise du 19ème arrondissement parisien. Dans les années 1920, les films courts des annonceurs publicitaires, d’ailleurs appelés à l’époque « annonciers », se généralisent pendant l’entracte. Cependant l’homme qui va révolutionner la publicité au cinéma est Jean Mineur (1902-1985) : il conçoit en 1924 les premiers rideaux-réclame en salle, puis crée l’activité de régie publicitaire. Sa société Jean Mineur Publicité, qui deviendra Médiavision, est toujours identifiée par le « petit mineur », apparu en 1951. Le petit mineur lance son piolet dans une cible qu’il touche en plein centre : le « cœur de cible » est né.
Au milieu de la deuxième partie du XIXème siècle, le physicien et mathématicien écossais James C. Maxwell publie les quatre équations de sa théorie générale des ondes, quelle qu’en soit la nature. En vérité, Maxwell a d’abord écrit vingt équations, puis huit. C’est le physicien anglais Oliver Heaviside, l’un des pères de l’algèbre vectorielle, qui a réduit à quatre les célèbres équations de Maxwell, utilisant les opérateurs divergence et rotationnel. Quoiqu’il en soit, ces travaux sont une révolution fondamentale et un événement majeur pour la science et ses applications, ainsi que pour les médias. Maxwell meurt en 1874 mais ses successeurs, Branly, Popov, Marconi, Hertz, vont s’emparer de ces ondes, créer les concepts d’émetteur, de récepteur, et les fabriquer ; de nombreux travaux vont s’attacher à pouvoir insérer dans ces ondes continues un signal sonore (la future radio) ou des images mobiles (la future télévision).
La Radio arrive, en tant que média de divertissement, après la Grande Guerre, époque où les ondes radio ont été employées largement pour la communication à distance. Le 24 décembre 1921 commencent les premières émissions du poste d’Etat de la Tour Eiffel. Puis les stations locales, souvent dues à des initiatives privées, se développent : Radiola, 1922, le Petit Parisien ou Radio-Lyon, 1924.
La radio est un média gratuit, alors que la presse et le cinéma sont payants. La publicité est très vite admise comme mode de financement, sauf pour les antennes publiques, et dès la fin des années trente, la radio devient le média familial dominant à domicile. En 1954, 72 % des foyers français ont au moins un poste récepteur de radio ; le taux d’équipement est de 85 % en 1962.
Le mot télévision – le préfixe « télé » est un mot grec qui signifie « à distance » – a été employé pour la première fois le 25 août 1900 par le physicien russe Constantin Perskyi dans sa communication « Télévision au moyen de l’électricité » lors du Congrès international d’électricité de Paris. De nombreuses expériences de télévision ont eu lieu avant la guerre : transmission à distance d’images mobiles par l’écossais John Baird à Londres en 1926, grand succès de l’ingénieur français René Barthélémy dans les locaux de l’ancienne Sup’Elec à Malakoff le 14 avril 1931, premières émissions régulières à partir de 1935. Cependant, ce n’est qu’après la guerre de 1939 – 1945 que la télévision émerge au niveau du grand public.
L’année 1949 marque la naissance officielle de la télévision en France : le 9 février, l’organisme public qui gérait la radio – RDF, RadioDiffusion Française – devient la RTF, RadioTélévision Française, et le 29 juin à 20h est diffusé le premier journal télévisé. Néanmoins, la télévision va mettre du temps pour devenir un média de masse : en effet, il faut construire des émetteurs. Le premier émetteur en province est achevé en 1950, et en 1954, à peine 1 % des ménages ont un téléviseur. Ce taux est de 23 % en 1962.
Il n’existe qu’une chaîne, qui n’a pas de nom, et son financement est strictement public. La deuxième chaîne, toujours d’Etat, arrive en 1964, et la troisième chaîne publique voit le jour en 1972. Le modèIe économique de la télévision, média gratuit comme la radio, est simple : la redevance est la base du financement. Cette redevance TV est une taxe parafiscale ancienne, puisque décidée en 1933 comme ressource pour construire les émetteurs Radio. Il faut attendre le 1er octobre 1968 pour voir évoluer ce modèle avec un événement important : l’introduction de la publicité à la télévision française, mais uniquement sur la première chaîne. La deuxième chaîne n’y aura accès qu’en 1971, et les écrans publicitaires n’arrivent sur la troisième chaîne qu’en 1983. Pour comparaison, la publicité est autorisée en Allemagne depuis 1959, en Italie depuis 1957 et 1955 en Grande-Bretagne avec ITV.
Le modèle économique actuel repose toujours sur la redevance, pour les chaînes du groupe France Télévisions, sur les recettes publicitaires, et aussi sur l’abonnement auprès d’opérateurs de distribution.
Dernier média – ou plutôt le plus récent « intermédiaire » ? – : Internet. Son idée fondatrice date du début des années 60, au moment de la guerre froide entre les Etats-Unis et l’URSS et la crise des fusées de Cuba. Le Président John Kennedy constate la faiblesse d’un système informatique centralisé, potentiellement facile à détruire. En 1964, Paul Baran émet l’idée d’un réseau décentralisé, moins vulnérable. En août 1969 apparaît le réseau expérimental Arpanet qui relie quelques universités américaines. L’e-mail est créé en 1971, le protocole TCP est dû à Vinton Cerf au milieu des années soixante-dix. L’année 1983 voit la scission d’Arpanet en Milnet (intégré au réseau du Ministère de la Défense des Etats-Unis) et un nouvel Arpanet universitaire, qui prendra le nom d’Internet en 1986.
C’est au milieu des années quatre-vingt dix que débutera la commercialisation des services vers le grand public, donnant le départ du passage au « tout numérique ».
Le marché de l’audience
Dans beaucoup de pays, l’apparition de la mesure d’audience est liée au désir des responsables d’antenne ou d’édition d’avoir un retour quantifié sur les performances des contenus qu’ils ont proposés à l’antenne : émissions, journaux, etc. A cette demande légitime s’est ajoutée, parfois en décalage temporel, la volonté du monde publicitaire – annonceurs, agences – de disposer d’indicateurs sur les performances de leurs campagnes de publicité.
La première expérience de mesure audimétrique de la radio est mise au point en 1936, aux Etats-Unis, par la société créée par Arthur Nielsen, en raison de l’émergence de la publicité sur les radios privées locales. La mesure est de nature électronique à l’aide d’un dispositif technique appelé audimètre, branché au récepteur, et analysant l’état électrique du récepteur radio.
En 1949, en France, est réalisée la première enquête sur l’audience de la radio par la société IFOP-ETMAR. Cette enquête n’est pas audimétrique, mais déclarative, par interrogation d’un échantillon de personnes ; elle sera étendue à la télévison en 1961. C’est le début des premières applications de la théorie des sondages, basée sur les travaux de Jerzy Neyman en 1934.
En 1954 ont lieu les premières et seules enquêtes de l’INSEE, créé en 1946. Une commission sur le rôle et les missions de l’INSEE conclut que le champ de l’Institut est la mesure de l’économie, au sens large, et non de l’opinion.
A partir du milieu des années cinquante, le marché français des médias va commencer à s’organiser et se structurer.
Le CESP (Centre d’Etude des Supports de Publicité), organisme interprofessionnel regroupant annonceurs, agences et centrales, diffuseurs, est fondé en 1957 d’abord pour la mesure d’audience de la presse.
La professionnalisation du marché français se poursuit avec la naissance en 1958 de l’IREP (Institut de Recherche et d’Etudes en Publicité), également organisme interprofessionnel.
C’est cependant aux Etats-Unis que se produit un virage majeur : le premier audimètre TV y voit le jour en 1959, appareil permettant de savoir instantanément si la télévision est allumée et si oui sur quelle chaîne. Il ne permet cependant pas de dénombrer les téléspectateurs, car, fidèles au concept de l’audimètre radio de 1936, les ingénieurs de Nielsen s’intéressent seulement à l’état du téléviseur.
Le CESP produit en 1961 sa première étude sur l’affichage, puis en 1964 ses enquêtes annuelles sur la presse quotidienne, la presse magazine et le cinéma, qui perdureront jusqu’en 1988 ; en 1968, le CESP intègre dans ses études les médias audiovisuels.
Au-delà de ces systèmes déclaratifs, en 1966-67 a lieu la première expérience de mesure d’audience de la télévision en France par audimètre, via un panel de 400 personnes, sans suite immédiate.
Dans le cadre du service public, le Service d’Etude de l’Audience de la RTF lance en 1967 un panel postal par carnet d’écoute, actif jusqu’en 1984. Ce n’est qu’en 1981 que le CEO – Centre d’Etude d’Opinion –, héritier du SEA, passe à une mesure audimétrique, le célèbre Audimat, sous-traité à la société SECODIP ; de 650 foyers à l’origine, l’Audimat passe à 1000 foyers en 1984. Il présente les mêmes manques que le système de Nielsen de 1959 : il dénombre les téléviseurs allumés sur une chaîne, mais pas les téléspectateurs et leur profil.
La privatisation croissante du secteur audiovisuel, réelle depuis 1982 – création de chaînes privées, privatisation de TF1, libéralisation de la bande FM en radio et apparition de nouvelles stations, privatisation d’Europe 1 – incite le gouvernement à mettre fin au rôle du CEO ; apparaît donc en 1985 Médiamétrie, société anonyme qui va développer des dispositifs de mesure d’audience de la radio et de la télévision, puis plus tard d’Internet.
En 1992 les acteurs de l’Affichage se regroupent pour la mesure de leur média dans le GIE Affimétrie. Et en 2007, toutes les familles de presse – presse quotidienne, nationale ou régionale, presse magazine, presse gratuite – se regroupent dans une SAS dénommée AudiPresse, qui devient l’ACPM (Alliance pour les Chiffres de la Presse et des Médias) en 2016.
Médiamétrie, Affimétrie et AudiPresse/ACPM réunissent les acteurs de leurs marchés respectifs : groupes médias, mais aussi annonceurs et agences médias. Leurs dispositifs sont des mesures marché, au sens où les résultats sont accessibles à tous, et non de façon propriétaire ou spécifique.
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