1. Des coûts supérieurs aux estimations ?
Comme le souligne Wladimir Andreff dans un chapitre d’International Handbook on the Economics of Mega Sporting Events (Edward Elgar, 2012), les contribuables de Grenoble ont payé jusqu’en 1992 pour éponger le déficit des jeux olympiques (JO) d’hiver de 1968 et ceux de Montréal jusqu’en 2006 pour les JO d’été de 1976… Pour ces derniers, une taxe spéciale sur le tabac a même été introduite pour réduire le déficit ! Les coûts – et les pertes – des JO d’été d’Athènes en 2004 sont également souvent cités comme l’une des causes de la crise de la dette en Grèce. Ces exemples sont particulièrement marquants mais disons-le clairement : les retombées économiques de l’organisation des grands événements sportifs (JO et coupe du monde en particulier) sont généralement nulles, même si les JO d’été de 1984 à Los Angeles et dans une moindre mesure ceux de Séoul en 1988 font un peu exception.
Los Angeles a bénéficié du désastre de Montréal. Je m’explique : la ville qui remporte les enchères pour obtenir l’organisation des JO subit ce que l’on appelle la malédiction du vainqueur. Dans ce type d’enchères, à information incomplète, le vainqueur a tendance à payer plus que ce qu’il devrait pour remporter l’événement. Pour les JO, la malédiction du vainqueur peut se traduire de la façon suivante : le Comité International Olympique (CIO), en situation de monopole, choisit le meilleur projet d’un point de vue économique, c’est-à-dire le projet le plus coûteux, mais qui se trouve aussi souvent être celui dont les coûts sont souvent sous-estimés. Le vainqueur est donc contraint d’investir et de payer cher puisqu’il s’y est engagé. Plus il y a de compétiteurs, plus les villes proposent des projets de grande envergure pour être sélectionnées. Pour les JO de 1984, Los Angeles était la seule ville en lice et a pu négocier avec le CIO, sans compter que la ville disposait déjà de nombreuses infrastructures. Voici quelques exemples où la facture a été beaucoup plus salée que prévu :
- Athènes (2004) : 3 milliards de dollars prévus, 16 milliards au final ;
- Pékin (2008) : 20 milliards prévus, 45 milliards au final ;
- Londres (2012) : 5 milliards prévus, 18 milliards au final ;
- Sotchi (JO d’hiver 2014), 10 milliards prévus, 51 milliards au final.
On peut également évoquer les « éléphants blancs », ces réalisations prestigieuses dont l’entretien devient un fardeau. Il suffit de voir l’utilisation de certains stades après les coupes du monde de football 2010 en Afrique du Sud et 2014 au Brésil !
Pour les JO 2024, les concurrents de Paris se sont retirés pendant le processus de sélection et on peut donc tabler sur moins de surenchères. En outre, la plupart des infrastructures existent déjà, il n’y aura sans doute pas « d’éléphant blanc », le stade de France l’a déjà été en partie en son temps après la Coupe du monde de football 1998…
2. Des rentrées d’argent importantes ?
L’impact économique d’une grande compétition est également difficile à déterminer avec beaucoup de précision mais son évaluation se déroule toujours de la façon suivante : les études d’impact réalisées avant l’événement – souvent financées par l’organisateur – montrent toujours des effets positifs sur la croissance, l’emploi, le tourisme, etc. et les études réalisées ex-post, académiques, concluent la plupart du temps à un effet nul, voire négatif. Les problèmes des études d’impact sont multiples : (1) il existe des effets de substitution. Par exemple, si les touristes viennent dans une ville pour assister aux JO en août, ils ne s’y rendront sans doute pas avant ni après ; (2) il existe des effets d’éviction. Certains touristes décident de ne pas se rendre dans la ville organisatrice pendant les compétitions par exemple car ils n’aiment pas le sport ou qu’ils craignent que les prix augmentent ; (3) les effets indirects sont mal évalués (ce qu’on appelle la fuite dans le multiplicateur). Enfin, même après la tenue de l’événement, on peut rajouter qu’il est très difficile d’identifier l’effet propre dû à l’organisation d’un événement sportif : en 1998, par exemple, beaucoup d’observateurs ont évoqué un effet positif de la Coupe du monde de football sur l’économie mais, à cette époque, la France était en période de croissance forte et le nombre de touristes augmentait régulièrement depuis le milieu des années 1990.
Revenons à Paris 2024. Paris est la cinquième ville la plus visitée au monde dans le pays le plus touristique : tous les effets évoqués plus haut vont jouer à fond…
3. Un effet sur l’emploi ?
Focalisons sur un type particulier d’effets économiques indirects : les effets sur l’emploi. En amont, les organisateurs promettent toujours des embauches massives. Mais il n’existe pas de différence significative quand on compare le taux de chômage avant et après les grands événements sportifs. En Allemagne par exemple, deux études académiques ont été réalisées sur l’organisation des Coupes du monde de football 1974 et 2006. Les économistes ont comparé le taux de chômage des villes organisatrices à celui de villes aux caractéristiques similaires mais qui n’avaient pas accueilli la compétition. Ils n’ont trouvé aucun effet sur le taux de chômage (ni sur la consommation d’ailleurs).
Par ailleurs, on a même pu observer certains effets négatifs dans les pays en voie de développement. En effet, une grande compétition crée des demandes d’emploi supplémentaires, qui attirent des individus restés à l’écart du marché du travail. Après la compétition, ces derniers restent sur le marché du travail mais sont désormais au chômage.
Les grands événements sportifs peuvent également avoir des conséquences sur les absences au travail et sur le retour à l’emploi des chômeurs. Avec Bastien Drut, nous avons montré que les salariés travaillaient une demie heure de moins en moyenne pendant l’Euro et la Coupe du Monde. Toutefois, dans un article paru en 2014, deux économistes allemands, Philipp Doerrenberg et Sebastian Siegloch, ont montré que les personnes sans emploi seraient plus motivées pour trouver un emploi et retravailler après les grands événements sportifs. Sur ce dernier point, je suis très sceptique, mais je laisse le lecteur libre de juger.
Pour Paris 2024, il convient de ne pas être trop optimiste en ce qui concerne les effets sur l’emploi, sauf si la croissance retrouve son niveau de la période 1997-2001… Mais cela ne sera pas l’effet des JO.
4. Plus de médailles pour la France ?
Si on veut se réjouir de l’organisation des JO en 2024, on l’a bien compris, il faut laisser l’aspect financier de côté et se consacrer sur autre chose. D’un point de vue sportif d’abord. Organiser les JO a-t-il un effet sur le nombre de médailles gagnés ? Les études qui se sont intéressées à ce sujet ont toutes montré qu’il y avait un effet positif et significatif : c’est le fameux avantage à jouer à domicile…
La France devrait gagner 20 % de médailles en plus en 2024.
5. Plus de crises cardiaques, moins de suicides et plus de violences conjugales ?
Intéressons-nous à des effets plus ou moins ludiques. Les JO connaissent un succès médiatique mondial et peuvent avoir des effets inattendus lors de la diffusion. On a pu, par exemple, observer pendant les grands événements sportifs une augmentation des crises cardiaques mais aussi la production d’un sentiment de « bonheur » qui a un effet direct sur la diminution des suicides. David Card et Gordon Dahl ont, eux, observé une augmentation des violences familiales pendant les matchs de football américain diffusés à la télé, surtout lorsque l’équipe locale était favorite et perdait.
Sur tous ces aspects, je préfère ne pas me prononcer pour Paris 2024…
6. Y aura-t-il plus de Kevin et de Clarisse nés en 2025 ?
Kevin Mayer, roi du décathlon, et Clarisse Agbegnenou, reine du judo, seront peut-être les stars des JO de Paris. Cela ne sera pas sans effet sur les prénoms donnés aux petits français qui naîtront juste après. Toujours avec Bastien Drut, nous avons montré dans notre livre Sciences Sociales Football Club les effets de la Coupe du monde de football 1998 sur les prénoms donnés aux petits français après la compétition. Le nombre de petits Zinedine a augmenté de 251 %, celui des Lilian de 195 % et celui des Bixente de 103 % ! Déjà en 1984, le nombre d’enfants prénommés Michel avait augmenté !
Finalement, pour Paris 2024, je ne m’engage que sur le nombre de médailles des Français et sur la forte augmentation du nombre de bébés prénommés comme les stars des JO.
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