Avant de plonger dans le vif du sujet, rappelons que la carriĂšre moyenne dâun footballeur professionnel nâest que de 5 ans environ (voir par exemple Bernd Frick et al., The Football Playersâ Labor Market : Empirical Evidence from the Major European Leagues, Scottish Journal of Political Economy, Vol. 54, jul. 2007) et que beaucoup ne font quâun passage Ă©clair dans le monde professionnel avant de changer dĂ©finitivement dâactivitĂ©. FrĂ©deric Rasera, dans son livre « Des footballeurs au travail » (2016, Ed. Agone), Ă©voque le cas dâun gardien de but dâun club de Ligue 2 nâayant eu quâune annĂ©e de contrat professionnel â non renouvelĂ© â sans jouer un seul match avec lâĂ©quipe professionnelle, annĂ©e quâil a essentiellement passĂ©e Ă jouer avec lâĂ©quipe 3, en division dâhonneurâŠ
Les chanceux qui ont des carriĂšres trĂšs honorables â disons entre 12 et 17 ans â prennent leur retraite autour de 35 ans. AprĂšs le crĂšve-cĆur que constitue la fin de carriĂšre professionnelle, on sait que certaines stars du ballon rond sont ruinĂ©es par des divorces : dâaprĂšs Xpro, le syndicat des footballeurs retraitĂ©s anglais, 33 % divorcent lâannĂ©e de leur retraite et pratiquement tous souffrent dâarthrose du genou. Quelques-uns, comme le cĂ©lĂšbre argentin Gabriel Batistuta, veulent mĂȘme se couper les jambes pour supprimer la douleurâŠ
En dehors de leurs dĂ©boires amoureux et physiques, les anciens footballeurs se reconvertissent car ils nâont pas cotisĂ© assez â et restent jeunes dans lâabsolu â pour arrĂȘter toute activitĂ©. Contrairement Ă ce que lâon croit, non seulement la plupart nâont pas assez dâargent pour « se dorer la pilule » sous les cocotiers, mais ils ne sont pas non plus tous consultants pour la tĂ©lĂ©vision. Effectivement, ce sont essentiellement les superstars â notamment, en France, les joueurs ayant gagnĂ© la coupe du monde 1998 â qui ont eu lâopportunitĂ© de devenir consultant. Dâautres â comme Zinedine Zidane, Didier Deschamps et Laurent Blanc (encore des vainqueurs de la coupe du monde) â deviennent des entraĂźneurs connus et reconnus. MĂȘme parmi les Champions du monde 98, certains ont Ă©tĂ© contraints de trouver une nouvelle activitĂ© professionnelle nâayant rien Ă voir avec le foot : câest notamment le cas de StĂ©phane Guivarcâh, qui est devenu agent commercial pour une entreprise de construction de piscines. Mais la question qui nous taraude est : que deviennent tous les autres joueurs dont mĂȘme le nom ne nous dit rien ?
GrĂące au magazine France Football qui a tenu une rubrique « Que deviens-tu ? » entre 2013 et 2015, jâai pu rĂ©cupĂ©rer les interviews de 108 joueurs nĂ©s entre la fin des annĂ©es 1950 et le dĂ©but des annĂ©es 1980. Les joueurs ont donc actuellement entre 35 et un peu moins de 60 ans, et ont tous eu une vĂ©ritable « carriĂšre », câest-Ă -dire une durĂ©e moyenne qui avoisine les 14 ans dont 8 en Ligue 1 et 6 en Ligue 2. Ils constituent le haut du panier des footballeurs ayant Ă©voluĂ© en premiĂšre division (pour les plus jeunes lecteurs, câest lâancienne appellation de la Ligue 1).
Premier constat (sans surprise) : aucun de ces footballeurs nâest assez riche pour vivre de ses rentes. Les 108 joueurs se sont reconvertis et ont une activitĂ© professionnelle en dehors du foot⊠ou essaient dâen avoir une. En effet, trois dâentre eux, de nombreuses annĂ©es aprĂšs leur fin de carriĂšre, nâont jamais trouvĂ© dâemploi stable. Câest le cas de Didier Monczuk (nĂ© en 1961), trois fois meilleur buteur de D2 entre 1990 et 1992 avec Strasbourg, qui galĂšre depuis son dernier match professionnel en 1999. Les footballeurs nĂ©s dans les annĂ©es 1960 qui rentraient plus jeunes que leurs aĂźnĂ©s dans les clubs professionnels par lâintermĂ©diaire des centres de formation (la crĂ©ation de lâINF Vichy date de 1972 et celle du premier centre de formation de 1973) ont souvent abandonnĂ© leur scolaritĂ©, ce qui sâen est ressenti lors de leur reconversion. Aujourdâhui, il faut en principe un bon dossier scolaire pour ĂȘtre pris en formation dans un club : Ă©tant donnĂ© la faible probabilitĂ© de devenir footballeur lorsquâon rentre dans un centre de formation, il faut mieux bĂ©tonner sa scolaritĂ©âŠ. MĂȘme si en pratique la plupart des Ă©lĂšves suivent une filiĂšre technologique et courte, ils sont plus aptes Ă se reconvertir⊠Il faudrait mĂȘme sans doute contraindre les clubs Ă faire suivre une formation scolaire mĂȘme lorsque les jeunes joueurs signent un contrat professionnel : un tiers des joueurs ne jouent quâune saison dans les premiĂšres divisions professionnelles et sont directement relĂ©guĂ©s dans le football amateur !
DeuxiĂšme constat : les anciens footballeurs aiment les bars, les restaurants et les brasseries. Non pas quâils soient tous comme George Best, joueur nord-irlandais et ballon dâor 1968, qui a enchainĂ© les problĂšmes dâalcools et qui a notamment dĂ©clarĂ©Â : « en 1969, jâai arrĂȘtĂ© les filles et lâalcool, ça a Ă©tĂ© les 20 minutes les plus dures de ma vie ». De nombreux anciens joueurs professionnels ouvrent un de ces lieux de vie dans leur rĂ©gion natale car cette activitĂ© correspond Ă la sociologie de la profession (des « deuxiĂšmes vies ») ; en outre, elle ne nĂ©cessite pas de diplĂŽmes particuliers et cela permet dâinvestir leurs Ă©conomies accumulĂ©es. Enfin, câest un lieu de rencontres et de sociabilitĂ© qui correspond Ă lâorigine sociale des footballeurs de cette Ă©poque.
TroisiĂšme constat : les anciens footballeurs se reconvertissent souvent dans lâimmobilier. Câest le cas par exemple de Bruno Germain (nĂ© en 1960 et pĂšre de ValĂšre Germain, lâactuel joueur de lâAS Monaco), qui a investi dans lâachat, la rĂ©novation et la revente de biens. De la mĂȘme façon que pour le secteur HĂŽtels-CafĂ©s-Restaurants, le secteur de lâimmobilier permet, sans diplĂŽme avec un peu dâĂ©conomies, de se reconvertir. Dans une veine diffĂ©rente, dâautres sont partis travailler dans les assurances, un secteur oĂč il existe une sorte de « filiĂšre foot »âŠ
Enfin dernier constat : beaucoup de retraitĂ©s aimeraient rester dans le football car ils nâont fait que jouer depuis leur enfance. Beaucoup dâentre eux entraĂźnent des Ă©quipes de jeunes dans diffĂ©rents clubs mais la plupart nâarrivent pas Ă sâimposer au haut niveau en tant quâĂ©ducateur ou entraĂźneur. Comme Bastien Drut et moi-mĂȘme le signalons dans notre livre « Sciences Sociales football Club », (2015, Ă©ditions DeBoeck), les joueurs ont du mal Ă se remettre de leur « petite mort » quâest la fin de leur carriĂšreâŠ
Pour en savoir plus (en plus des ouvrages cités)
Drut Bastien, Duhautois Richard, 2017, « Assortative matching using soccer data: evidence of mobility bias », à paraßtre in Journal of Sports Economics.
Duhautois Richard, Gilles Fabrice, Petit Héloise, 2016, « Decomposing the relationship between wage and churning», International Journal of Manpower, 4, Vol 37.
Duhautois Richard, Eyssautier Romain, 2016, « La victoire à trois points dans le football a-t-elle rendu les équipes plus offensives ?», Revue Economique, Vol 67(6).
Duhautois Richard, Petit Héloise, 2015, « Are Worker flows in France and the US so Different? Revisiting French Empirical Evidence », Economics Letters, Vol 130, pp 60-62.
Drut Bastien, Duhautois Richard, 2014, « Lâeffet dâĂąge relatif : une expĂ©rience naturelle sur les footballeurs », Revue Economique, vol 64.
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