Il existe une aspiration des peuples vers plus de dĂ©mocratie dans le fonctionnement de l’Europe. Pour tenter d’y rĂ©pondre, des voix demandent Ă  rĂ©-impliquer les Parlements nationaux dans les dĂ©cisions de l’Union. Il y a moyen d’y parvenir en les faisant fonctionner sur un mode transnational.

Pour les peuples d’Europe, Le Parlement EuropĂ©en n’est rien. Peu lui apportent leur voix (aux derniĂšres élections, 43% de participation globale en Europe, soit moins qu’aux cantonales en France, et 24% en Pologne, 18% en RĂ©publique TchĂšque) et ceux qui votent pour lui le font plus par attachement Ă  l’idĂ©e d’Europe ou par devoir civique que par envie ou vĂ©ritable espoir. Pas de lien personnel avec lui ; Parlement étranger, anonyme et fantĂŽme. En vrai, l’Ă©lecteur europĂ©en ne connaĂźt qu’une AssemblĂ©e : la sienne ; qu’il élit et frĂ©quente depuis des gĂ©nĂ©rations, qu’il aime par-dessus tout ne pas aimer, et dont les Ă©lus lui sont connus, prĂ©sents, familiers.

Face Ă  ce fait, des voix se sont Ă©levĂ©es pour remettre tant soit peu les parlements nationaux dans le jeu. Piketty en fait partie qui, pour gouverner la zone euro, propose d’extraire des assemblĂ©es nationales un échantillon de dĂ©putĂ©s et de constituer ce distillat en une sur-assemblĂ©e spĂ©cifique et protubĂ©rante venant se greffer sur le passablement obscur dispositif en place (un « Parlement de la zone Euro »). Il y a moyen de faire plus ample, plus net, plus vif.

Un mode européen transnational 

L’idĂ©e est de partir des assemblĂ©es nationales telles qu’elles existent et fonctionnent, et, dans un petit nombre de cas qui touchent Ă  l’essentiel, de les faire agir de concert en mode europĂ©en transnational. Par le moyen suivant (on appellera ici « assemblĂ©e nationale » celle Ă  qui, dans chaque nation, revient le dernier mot en matiĂšre lĂ©gislative) :

A l’Ă©tape prĂ©liminaire, tout groupe parlementaire officiellement constituĂ© dans l’une quelconque des assemblĂ©es nationales de l’Union se voit ouvert le droit de demander qu’un texte – qu’il soit en cours de proposition par la Commission, qu’il ait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© adoptĂ© par le Conseil, ou qu’il soit prĂ©sentĂ© de novo par le groupe – soit Ă©levĂ© Ă  la qualification de « texte d’importance europĂ©enne majeure ». La demande est inscrite de droit et en prioritĂ© Ă  l’ordre du jour des assemblĂ©es nationales de l’Union, qui votent sur son approbation. Devant chaque assemblĂ©e le vote en faveur de cette qualification dĂ©gage un certain pourcentage d’approbation. Chacun de ces pourcentages est pondĂ©rĂ© par la population de chaque nation. La somme des pourcentages pondĂ©rĂ©s Ă©tablit un score europĂ©en. Si le score est supĂ©rieur Ă  deux tiers, le texte reçoit la qualification exceptionnelle demandĂ©e : il est devenu, par vote des assemblĂ©es nationales et majorité transnationale, « d’importance europĂ©enne majeure » (ce pourrait concerner, par exemple, l’accueil des rĂ©fugiĂ©s, les travailleurs dĂ©tachĂ©s, la dette grecque…).

Un score paneuropéen 

Dessaisissant dĂšs cet instant toute autre instance (Commission, Conseil, Parlement EuropĂ©en), le texte est prĂ©sentĂ© Ă  la discussion de chacun des Parlements de l’Union, selon les procĂ©dures propres Ă  chacun (commissions, amendements, navettes…). Au terme du travail parlementaire effectuĂ© dans chaque Parlement, un texte cohĂ©rent y est constituĂ©, mis aux voix et possiblement adoptĂ© ; si aucun texte n’est adoptĂ© ou n’a pu mĂȘme ĂȘtre constituĂ©, acte en est simplement pris.

A ce stade, l’Union dispose donc d’un ensemble de variantes du texte de dĂ©part adoptĂ©es dans un certain nombre d’assemblĂ©es nationales. Toutes ces variantes sont alors prĂ©sentĂ©es au vote de chaque assemblĂ©e nationale. Les pourcentages de voix obtenus par chaque texte devant chaque assemblĂ©e sont pondĂ©rĂ©s par le poids dĂ©mographique des nations. Les variantes votĂ©es du texte sont classĂ©es Ă  l’Ă©chelle de l’Union en fonction du score transnational ainsi obtenu. Si la variante arrivĂ©e en tĂȘte obtient un score supĂ©rieur Ă  50%, elle devient, par « accord majoritaire majeur des Parlements nationaux », loi de l’Union. (Une procĂ©dure identique pourra ĂȘtre appliquĂ©e Ă  la seule zone Euro pour des textes « d’Euro-importance majeure », par exemple sur les investissements publics, la rĂ©gulation fiscale, etc…).

Chambre suprĂȘme de l’Union 

Les Parlements nationaux auront dĂ©battu ; leur voix aura parlĂ© ; le concert de leur voix en aura dĂ©cidĂ©. L’union des Parlements nationaux fonctionnant sur ce mode transnational sera ainsi chambre suprĂȘme de l’Union, dotĂ©e du triple pouvoir de proposition, de dĂ©libĂ©ration ou d’abrogation de tout texte qui aura Ă©té collectivement jugĂ© « d’importance europĂ©enne majeure ».

Ce sera une façon simple, pratique, vive, de faire courir de nouveau partout Ă  travers l’Europe la flamme de la dĂ©mocratie, en la ramenant au prĂšs des peuples, c’est Ă  dire auprĂšs d’un Parlement qu’ils connaissent bien et qui est le leur, dans le giron de leur chĂšre, familiĂšre et sĂ©culaire nation.

 

Cet article a été précédemment publié sur le site des « Echos », dans une version trÚs légÚrement différente, le 7 mars dernier.

Guy Abeille
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