Les Ă©volutions constatĂ©es du capital investissement africain entre 2008 et 2016 soutiennent lâidĂ©e de maturitĂ© dâun secteur encore mĂ©connu auprĂšs de la communautĂ© française des investisseurs. Elles posent aussi la question du dĂ©fi et des perspectives de la profession pour les annĂ©es Ă venir.
Un cycle de collecte et dâinvestissements qui renoue avec les niveaux dâavant crise
Le capital investissement africain est apparu sur les Ă©crans de radar internationaux en 2005 au moment de la revente par des fonds de lâopĂ©rateur tĂ©lĂ©phonique panafricain Celtel avec des niveaux de multiple de prĂšs de 5. Depuis, lâactualitĂ©, au sein de la communautĂ© des initiĂ©s et dĂ©sormais auprĂšs du grand public, relate les succĂšs de cette industrie qui atteint, aprĂšs plus de dix annĂ©es, un premier cycle de maturitĂ©.
Les dix derniĂšres annĂ©es dâactivitĂ© de ce secteur ont Ă©tĂ© marquĂ©es par une collecte importante de capitaux auprĂšs dâinvestisseurs internationaux en vue de lâinvestissement en fonds propres dans un nombre croissant dâentreprises et de projets. Ainsi, les Ă©quipes de capital investissement africain ont levĂ© entre 2008 et 2016 plus de 200 fonds pour un montant cumulĂ© supĂ©rieur Ă 20 milliards de dollars US pour les investir dans prĂšs dâun millier dâentreprises.
Ces investissements masquent cependant des disparités fortes entre les méga-transactions bancaires, infrastructures et télécommunications, et les transactions de tailles plus modestes dans les secteurs liés aux biens de consommation courante et petites unités de transformation et de distribution.

LevĂ©es de capitaux et Investissements par les fonds dâinvestissement africains entre 2008 et 2016
(Source EMPEA â Emerging Market Private Equity Association)
Une industrie crĂ©atrice dâemplois et dâimpacts social et sociĂ©tal
Avec le niveau dâĂ©quipement le plus faible au monde et la croissance dĂ©mographique la plus forte, lâAfrique fait face Ă un dĂ©fi Ă©conomique et social que lâon peut rapprocher de la situation qui prĂ©valait en Europe Ă lâaube de la rĂ©volution industrielle. Par son soutien au secteur privĂ©, le capital investissement africain permet la constitution des futurs champions Ă©conomiques nationaux et rĂ©gionaux qui vont favoriser dâune part la crĂ©ation dâemploi pour le plus grand nombre et, de lâautre, en termes dâimpact social et sociĂ©tal lâĂ©mergence dâune classe moyenne. Les populations, capables de se projeter financiĂšrement du fait de lâaccession Ă un revenu rĂ©gulier, peuvent en effet satisfaire les besoins principaux dĂ©finis par la pyramide de Maslow et dynamiser lâensemble des secteurs Ă©conomiques dâĂ©pargne, dâinvestissement et de consommation. Cette industrie est aussi un catalyseur de saines pratiques Ă©conomiques de gouvernance, et intĂ©grant  des prescriptions de responsabilitĂ© sociale et environnementale dans lâaccompagnement qui est fait aux entreprises.
RĂ©orienter les capitaux vers les petites et moyennes entreprises de croissance
Le nombre et la taille des acteurs du capital investissement en Afrique ainsi que leurs transactions semblent indiquer une prĂ©fĂ©rence pour les grandes entreprises dĂ©jĂ bien structurĂ©es. Lâinterrogation est aujourdâhui lĂ©gitime de savoir si les nombreuses levĂ©es annoncĂ©es depuis lâannĂ©e 2013 trouveront en Afrique des cibles dâinvestissement Ă la dimension du modĂšle actuel du capital investissement. Lâindustrie du capital investissement en Afrique et plus largement dans le monde bruisse de la notion de âdry powderâ, terme utilisĂ© pour mesurer la capacitĂ© de dĂ©ploiement des nombreux capitaux qui recherchent des opportunitĂ©s dâinvestissements rentables.
Les levĂ©es de capitaux rĂ©centes ont permis dâinvestir sur lâactuelle pĂ©riode de dix ans, en y ajoutant les concours financiers complĂ©mentaires en fonds propres et en dettes, prĂšs de 40 milliards de dollars US. Le ticket moyen est de 28 millions de dollars US pour les investissements en dessous de la barre de 250 millions de dollars US et 886 millions pour les transactions au-delĂ de ce seuil. En 2014, 80 % des capitaux levĂ©s ont Ă©tĂ© le fait de quatre acteurs, ce qui, sur la base du modĂšle standard du capital-investissement, oriente les transactions vers les trĂšs grandes entreprises.
Avec un appĂ©tit de plus en plus marquĂ© par les investisseurs internationaux pour les entreprises et projets africains, la prochaine Ă©tape du capital investissement du continent doit ĂȘtre celle de la dĂ©finition et la mise en Ćuvre dâun modĂšle adaptĂ© qui permette lâorientation des capitaux vers les entreprises de plus petite taille.
Les derniĂšres enquĂȘtes effectuĂ©es auprĂšs des investisseurs internationaux et africains par les associations professionnelles du capital investissement en Afrique (AVCA, African Private Equity and Venture Capital Association) et dans les pays Ă©mergents (EMPEA, Emerging Market Private Equity Association) confirment lâintĂ©rĂȘt marquĂ© pour le capital investissement en Afrique. Elles dĂ©plorent cependant le nombre insuffisant dâacteurs et de vĂ©hicules dâinvestissement permettant Ă la fois de rĂ©pondre Ă leur contrainte dâinvestissement â emprise de lâinvestisseur sur la taille de fonds â et la capacitĂ© Ă atteindre ces opportunitĂ©s constituĂ©es par les petites et moyennes entreprises notamment en Afrique de lâOuest et de lâEst. Le cabinet de conseil en stratĂ©gie McKinsey complĂšte ce constat. Dans une Ă©tude parue en fĂ©vrier 2014, le cabinet anticipe un taux de croissance du capital investissement africain de 8 % par an jusquâen 2018, soit la constitution dâune capacitĂ© dâinvestissement de 50 milliards de dollars US. LâĂ©tude confirme lâorientation des investissements vers les trĂšs grandes entreprises, Ă©vitant les entreprises de plus petites tailles Ă lâOuest et Ă lâEst du continent, celles-lĂ mĂȘme qui expriment un besoin de capitaux et prĂ©sentent les meilleures opportunitĂ©s de rentabilitĂ© financiĂšre.

Bilan dâactivitĂ© en nombre de transactions par le capital investissement africain entre 2007 et 2014
(Source AVCA, EMPEA et EY)
Enrayer le risque de bulle du capital investissement africain
Les défis de la nouvelle étape de développement du capital investissement en Afrique sont :
- la constitution dâĂ©quipes locales et gĂ©rant des fonds de plus petite taille â entre 50 et 100 millions de dollars USâ,
- la constitution de fonds de fonds, vĂ©hicules intermĂ©diaires, de taille suffisamment importante pour permettre lâorientation des capitaux internationaux vers ces fonds plus modestes,
- et enfin, les rĂ©formes rĂ©glementaires essentielles qui visent Ă orienter lâĂ©pargne institutionnelle vers les fonds dâinvestissement.
    1. AccroĂźtre le nombre dâĂ©quipes locales
Tenant compte de la dĂ©mographie du continent africain, de la taille de sa classe moyenne, du nombre dâentreprises pouvant recevoir lâaccompagnement des fonds de capital investissement et de la taille du marchĂ© du capital investissement dans les autres rĂ©gions Ă©mergentes, nous estimons un accroissement nĂ©cessaire du nombre des Ă©quipes de gestion de 200 Ă 1000, voire 1500 ,soit une multiplication par 5 Ă 7 du nombre actuel.
    2. Développer une offre de fonds de fonds
Les fonds de fonds sont une rĂ©ponse opĂ©rationnelle aux exigences de limite dâemprise des grands investisseurs institutionnels internationaux. Ils facilitent la transformation des offres de souscriptions Ă©levĂ©es en investissements dans des petites et moyennes entreprises de croissance via les fonds dâinvestissement. Ces vĂ©hicules viennent complĂ©ter lâoffre de financement des Institutions de Financement du DĂ©veloppement.
    3. Mobiliser lâĂ©pargne institutionnelle locale vers les fonds de capital investissement
Un autre dĂ©fi est celui de la mobilisation de lâĂ©pargne constituĂ©e au sein des fonds de pensions, compagnies dâassurances, groupes bancaires et nouveaux fonds souverains africains vers les nouvelles Ă©quipes constituĂ©es pour ce faire. Pour ces seuls acteurs, le Think Tank soutenu par la Banque Africaine de DĂ©veloppement MFW4A âMake Finance Works for Africaâ a Ă©valuĂ© Ă prĂšs de 500 milliards de dollars US la capacitĂ© financiĂšre dont, pour les seuls fonds de pensions, 35 milliards pourraient sâorienter les entreprises africaines via les fonds de capital investissement.
La condition essentielle pouvant permettre le dĂ©blocage de lâĂ©pargne institutionnelle africaine est de rĂ©viser le cadre rĂ©glementaire et institutionnel de ces institutions afin de rendre possibles ces investissements. Si le mouvement est largement entamĂ© dans les pays anglophones, il est trĂšs insuffisant dans les Etats francophones.
Des rentabilitĂ©s financiĂšres plus attractives en Afrique quâailleurs
Face Ă ces dĂ©fis du capital investissement africains, le secteur est soutenu par des opportunitĂ©s de performances attrayantes. La maturitĂ© du secteur du capital investissement se traduit par lâintervention croissante dâacteurs dans le cycle complet de la profession, Ă savoir : levĂ©e de fonds, conduite des investissements et cessions des participations, qui vient confirmer le potentiel de performances financiĂšres significatives. TirĂ© par une dĂ©cennie dâactivitĂ© des fonds africains, une espĂ©rance de rendement net pour lâinvestisseur Ă un niveau de 20 % est une rĂ©alitĂ© de plus en plus vĂ©rifiable.

Performance des fonds africains par rapport Ă ceux des autres marchĂ©s Ă©mergents – DonnĂ©es au 30 septembre 2014 (Source Cambridge Associates
AccĂ©der aux investissements africains et tirer parti de lâopportunitĂ© de rendement
PortĂ©e dans sa phase de constitution par la politique de soutien au secteur privĂ© des Institutions de Financement du DĂ©veloppement, cette classe dâactifs suscite de plus en plus lâintĂ©rĂȘt des investisseurs privĂ©s â Fonds de Pensions, Compagnies dâassurance et Family offices â internationaux dans une optique de diversification. En France, lâassociation professionnelle AFIC (Association Française des Investisseurs pour la Croissance) a constituĂ© un Club dĂ©diĂ© au capital investissement africain et a publiĂ© un livre blanc, guide pour lâinvestisseur. La dĂ©cision dâinvestir dans la classe dâactifs appelle, Ă lâinstar des observations que lâon peut faire sur les autres marchĂ©s Ă©mergents, quelques points dâattention. Lâinvestisseur abordera ainsi le continent africain avec une double logique, de long terme dâune part, et de portefeuille de lâautre. Lâinvestisseur  veillera ainsi Ă diversifier ses interventions de maniĂšre Ă couvrir le plus grand nombre de pays et ainsi bĂ©nĂ©ficier des effets de dĂ©corrĂ©lation, notamment entre les pays Ă Ă©conomies diversifiĂ©es et les pays Ă Ă©conomies dĂ©pendantes des matiĂšres premiĂšres. Une attention particuliĂšre sera portĂ©e Ă la structuration des fonds, notamment aux Ă©lĂ©ments suivants : domicile utilisĂ© et compatibilitĂ© avec les propres rĂšgles prudentielles de lâinvestisseur, existence et applicabilitĂ© conforme des conventions fiscales, et politique dâinvestissement du fonds. Enfin, les due diligences prĂ©alables, au-delĂ des principes communs dâexpĂ©rience, de track-record des Ă©quipes et de capacitĂ© de sourcing, devront insister sur la prĂ©sence ou non dâĂ©quipes au plus prĂšs des entreprises financĂ©es, sur les Ă©lĂ©ments et procĂ©dures de compliance, tout comme sur le contexte Ă©conomique et politique des pays cibles du fonds.
- Le Nouveau Cycle du Capital Investissement Africain - 24 mars 2017
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