La grande rĂ©forme fiscale est l’arlĂ©sienne du dĂ©bat Ă©conomique en France, souvent Ă©voquĂ©e sans que son contenu et ses objectifs soient clairement explicitĂ©s. Elle peut d’autant plus faire l’unanimitĂ© que chacun lui donne un contenu diffĂ©rent.  La prĂ©sidentielle de 2017 en sera-t-elle l’occasion ?

La France se classe au deuxiĂšme rang des pays de  l’OCDE  aprĂšs le Danemark pour le taux de prĂ©lĂšvement obligatoire. Celui-ci est passĂ© de 41,8% en 2010 Ă  44,8% en 2013,  du fait  des fortes hausses d’impĂŽts des gouvernements Fillon puis Ayrault destinĂ©es Ă  rĂ©duire rapidement le dĂ©ficit public induit par la crise de 2008. Fin 2012, la politique fiscale a pris un nouveau tournant : la prioritĂ© est devenue la baisse des impĂŽts sur les entreprises. Ainsi, le taux de prĂ©lĂšvement a lĂ©gĂšrement  diminuĂ© jusqu’à 44,5% en 2017, soit la diffĂ©rence entre une baisse de 26 milliards de la fiscalitĂ© pesant sur les entreprises, en raison de la mise en place du CICE (le CrĂ©dit d’ImpĂŽt pour la CompĂ©titivitĂ© et l’Emploi) et du Pacte de ResponsabilitĂ© et une hausse de 20 milliards de celle pesant sur les mĂ©nages.

Le systĂšme socio-fiscal français est fortement redistributif avec des prĂ©lĂšvements importants sur les mĂ©nages les plus riches et les entreprises et des prestations relativement gĂ©nĂ©reuses pour les plus pauvres. La France est l’un des rares pays dĂ©veloppĂ©s oĂč les inĂ©galitĂ©s de revenus ne se sont pas fortement accrues dans la pĂ©riode rĂ©cente. Le haut niveau de prĂ©lĂšvement obligatoire s’explique par celui des dĂ©penses publiques et en particulier des dĂ©penses sociales. C’est un choix français, et mĂȘme europĂ©en, pour une sociĂ©tĂ© mixte, oĂč une partie importante des besoins des mĂ©nages sont couverts de maniĂšre socialisĂ©e, par des prestations en nature (Ă©ducation, santĂ©, garde d’enfant) et par des prestations en espĂšces, universelles (allocations familiales), d’assistance (minimum vieillesse, RSA, prime d’activitĂ©, allocations logement) ou d’assurance sociales (retraites, prestations chĂŽmage). Il ne semble pas que les Français souhaitent remettre en cause ce choix.

Fondamentalement, deux stratĂ©gies sont possibles. Selon la premiĂšre, compte tenu de la mondialisation et de l’ouverture des frontiĂšres, la France n’a pas d’alternative; elle doit se caler sur le modĂšle libĂ©ral et mĂȘme devenir le meilleur Ă©lĂšve de la classe. Il faut donc s’engager dans une stratĂ©gie axĂ©e sur la rĂ©duction des impĂŽts frappant les entreprises et les plus riches afin d’amĂ©liorer la compĂ©titivitĂ© et l’attractivitĂ© de la France. Au dĂ©part, il faut baisser les dĂ©penses publiques et sociales, donc accepter une certaine baisse de niveau de vie des mĂ©nages pour ĂȘtre plus compĂ©titif.  Les baisses de cotisations employeurs peuvent ainsi ĂȘtre compensĂ©es par une hausse de la TVA, pour provoquer des gains de compĂ©titivitĂ© par une dĂ©valuation fiscale. Les entreprises, moins taxĂ©es, investiraient plus en France et y crĂ©eraient des emplois, ce qui augmenterait l’activitĂ© et compenserait Ă  terme la baisse initiale d’impĂŽt. C’est une stratĂ©gie peu coopĂ©rative Ă  l’échelle europĂ©enne (nous suivrions le mauvais exemple de l’Allemagne), qui fait courir le risque d’un choc dĂ©pressif sur la demande et aussi celui de vives tensions sociales.

Selon la deuxiĂšme, le capitalisme financiarisĂ©, tel qu’il rĂšgne actuellement, mĂšne Ă  la crise Ă©conomique l’ensemble des pays dĂ©veloppĂ©s. La victoire du capital sur le travail, les exigences excessives de rentabilitĂ© des entreprises comparĂ©es Ă  leurs investissements et l’explosion des inĂ©galitĂ©s de revenu provoquent une dĂ©ficience structurelle de demande qui oblige Ă  maintenir des taux d’intĂ©rĂȘts nuls, qui induisent Ă  leur tour la hausse de l’endettement public et privĂ© et l’apparition des bulles financiĂšres. Par ailleurs, les contraintes Ă©cologiques rendent insoutenable la croissance actuelle. Il faudrait rĂ©duire les exigences des marchĂ©s financiers en matiĂšre de rentabilitĂ© des entreprises, maintenir une fiscalitĂ© redistributive et faire monter en puissance la fiscalitĂ© Ă©cologique. Dans ce contexte, la France doit rester pionniĂšre et dĂ©fendre son modĂšle fiscal spĂ©cifique, tout en se battant pour l’harmonisation fiscale et la lutte contre l’optimisation fiscale au niveau europĂ©en et au niveau mondial. Elle doit accepter de payer cette originalitĂ© par un dĂ©ficit d’attractivitĂ© de la France pour les plus riches ou pour les entreprises multinationales, qu’il faut compenser en planifiant et en finançant des activitĂ©s productives s’inscrivant dans la transition Ă©cologique.

Certaines propositions des candidats Ă  l’élection prĂ©sidentielles sont, selon nous, malvenues.

  • Pour augmenter le pouvoir d’achat des salariĂ©s, certains proposent de rĂ©duire les cotisations sociales salariĂ©s. Mais celles-ci actuellement ne financent plus que des prestations d’assurances sociales (chĂŽmage, retraite, indemnitĂ© maladie de remplacement) qui doivent obligatoirement ĂȘtre financĂ©es par ceux qui en bĂ©nĂ©ficient.
  • La « TVA sociale », la baisse des cotisations employeurs financĂ©e par la hausse de la TVA, est un leurre car Ă©conomiquement la TVA est proche des cotisations employeurs puisqu’elle ne frappe que le travail, Ă©tant remboursĂ©e sur l’investissement. Elle n’aurait d’effet favorable sur la compĂ©titivitĂ© que si l’indexation des salaires (du SMIC en particulier) Ă©tait brisĂ©e.
  • RĂ©tablir la non-imposition des heures supplĂ©mentaires serait nuisible sur le plan de l’emploi (il faut encourager l’embauche plutĂŽt que les heures supplĂ©mentaires) et fiscale (l’impĂŽt sur le revenu doit porter sur la totalitĂ© du revenu).
  • La proposition de rendre la contribution sociale gĂ©nĂ©ralisĂ©e (CSG) progressive a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© refusĂ©e par le Conseil Constitutionnel car un impĂŽt progressif doit ĂȘtre familialisĂ© et doit prendre en compte l’ensemble des revenus du mĂ©nage.
  • Moduler le taux de TVA en fonction du caractĂšre plus ou moins indispensable, plus ou moins Ă©cologique des produits serait une complication ingĂ©rable.
  • On ne peut guĂšre fusionner la taxe fonciĂšre (qui taxe les propriĂ©taires pour financer les dĂ©penses locales) et l’ISF (qui taxe les plus riches au nom de la solidaritĂ© nationale).
  • Benoit Hamon et Jean-Luc MĂ©lenchon veulent supprimer le quotient familial, mais peut-on oublier que les parents partagent leurs ressources avec leurs enfants ?

Pour nous, les rĂ©formes possibles de la fiscalitĂ© sont relativement limitĂ©es. La prioritĂ© aujourd’hui doit ĂȘtre de protĂ©ger notre systĂšme fiscal.

En matiĂšre de fiscalitĂ© des mĂ©nages, il faut  rĂ©affirmer le principe selon lequel tous les revenus des mĂ©nages doivent ĂȘtre soumis Ă  l’impĂŽt sur le revenu, en appliquant strictement le principe : « chacun doit contribuer aux dĂ©penses publiques selon ses capacitĂ©s contributives » ; ces capacitĂ©s doivent ĂȘtre Ă©valuĂ©es sur une base familiale ; les revenus du capital et ceux du travail doivent ĂȘtre taxĂ©s de façon identique.

Les dĂ©penses fiscales[1] sont ressenties comme des privilĂšges, qui permettent Ă  certains d’échapper Ă  l’impĂŽt. Elles devraient ĂȘtre rĂ©parties en  deux catĂ©gories : celles qui ne font que dĂ©terminer la capacitĂ© contributive des mĂ©nages, qui doivent ĂȘtre maintenues et ne plus ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme des dĂ©penses fiscales ; celles qui sont des subventions sociales ou Ă©conomiques, qui doivent ĂȘtre transformĂ©es en subventions explicites.

La taxation des loyers implicites serait nĂ©cessaire du point de vue de l’équitĂ©, mais rencontre une forte opposition des classes moyennes. Rendre la fiscalitĂ© des mĂ©nages plus juste devrait passer par trois rĂ©formes : rĂ©duire progressivement la taxe d’habitation pour faire monter le poids de l’impĂŽt sur le revenu;  supprimer le plafonnement de l’impĂŽt sur la fortune (ISF), qui bĂ©nĂ©ficie surtout aux plus riches qui ont dĂ©jĂ  rĂ©ussi Ă  rĂ©duire leur revenu imposable en accumulant dividendes et plus-values dans des sociĂ©tĂ©s-Ă©cran ; Ă  l’instar des Etats-Unis, introduire une taxation mondiale des français pour que les exilĂ©s fiscaux aient Ă  payer une contribution Ă  la France pour conserver leur droit de vote.

En matiĂšre de financement de la protection sociale, les cotisations contributives salariĂ©s et employeurs (retraite, chĂŽmage) doivent ĂȘtre maintenues. Les cotisations employeurs non-contributives (maladie/famille) pourraient certes ĂȘtre rĂ©duites, mais il faudrait fournir en contrepartie un financement assurĂ© Ă  la SĂ©curitĂ© sociale. Certes, la fiscalitĂ© Ă©cologique doit monter en puissance, mais une partie de son produit devra aider les mĂ©nages les plus pauvres Ă  faire face Ă  la hausse de l’énergie ; une partie a Ă©tĂ© promise aux pays Ă©mergents ;  une fiscalitĂ© dissuasive risque de rĂ©duire son assiette, ce n’est pas Ă  la SĂ©curitĂ© sociale d’assumer ce risque. Faire financer la baisse des cotisations employeurs par la CSG est une stratĂ©gie de dĂ©valuation interne, qui doit ĂȘtre coordonnĂ©e dans la zone Euro pour Ă©viter que chaque Etat membre ne recherche ainsi de la compĂ©titivitĂ© au dĂ©triment de ses partenaires et de la demande globale de la zone.

En matiĂšre de fiscalitĂ© sur les entreprises, la France a choisi jusqu’à prĂ©sent de privilĂ©gier la baisse des cotisations sur les bas salaires Ă  une rĂ©duction gĂ©nĂ©rale des cotisations ou Ă  une diminution de la taxation du capital.  Cette stratĂ©gie a sans doute Ă©tĂ© poussĂ©e trop loin : elle n’incite pas les entreprises Ă  crĂ©er les emplois correspondant aux besoins des jeunes. Certains prĂ©conisent maintenant de baisser le taux de l’impĂŽt sur les sociĂ©tĂ©s et de supprimer l’ISF pour augmenter l’attractivitĂ© de la France. Nous pensons,  au contraire, que  l’Etat doit se donner l’objectif de favoriser la montĂ©e en gamme de la production française et la transition Ă©cologique par une fiscalitĂ© incitative et des subventions ciblĂ©es.

Certains dénoncent la multitude de petits impÎts. Mais ceux-ci ont souvent un rÎle désincitatif (décourager des activités polluantes ou nuisibles). Ils permettent aussi de financer les autorités de contrÎle ou les associations professionnelles sectorielles.

La France doit s’inscrire dans la lutte contre l’évasion fiscale des entreprises multinationales. Elle doit demander que l’UE impose aux pays membres (Ă  l’Irlande, aux Pays-Bas, au Luxembourg,
) de supprimer tous les dispositifs permettant l’optimisation fiscale abusive et d’accepter une certaine harmonisation des assiettes et des taux de l’IS en Europe. Par contre, la taxation europĂ©enne des entreprises multinationales prĂŽnĂ©e par la Commission (le projet ACCIS) nous semble irrĂ©aliste (les pays ne pourraient plus contrĂŽler les dĂ©clarations fiscales des  grandes entreprises installĂ©es chez eux, la clĂ© de rĂ©partition des recettes de leur taxation est arbitraire).

La rĂ©forme fiscale n’est pas chose aisĂ©e.

 


[1] Les dispositifs permettant des exonĂ©rations (comme le PEA), des rĂ©ductions (comme la demi-part supplĂ©mentaire Ă  partir du 3Ăšme enfant) ou des crĂ©dits d’impĂŽts (comme les emplois Ă  domicile).

Henri Sterdyniak
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