On définit traditionnellement l’allocation d’actifs d’un portefeuille diversifié comme la répartition de ses constituants par grandes classes d’actifs (actions, obligations, liquidités), et éventuellement par zones géographiques et devises. Cette conception est en pleine évolution, si l’on en juge par l’intérêt accru des investisseurs pour l’ « allocation par facteurs », briques élémentaires ou, pour reprendre la terminologie recommandée par certains auteurs, « nutriments » d’un portefeuille. Ces facteurs, censés expliquer la performance des titres, peuvent être de différentes natures : macroéconomique (croissance, inflation, taux d’intérêt..), relatifs à la structure financière des entreprises concernées (taille, valorisation, qualité du bilan…), ou purement statistique (volatilité…). Certains auteurs ont ainsi recensé plus de 300 facteurs, parfois éloignés des marchés financiers (y compris d’ordre climatique) qui ont été testés comme susceptibles d’influencer le cours des valeurs, ce qui illustre bien l’imagination débordante des statisticiens.

Ces facteurs peuvent être utiles, en aval, à l’interprétation de la performance d’un portefeuille ou, en amont, à sa construction. Un gérant souhaitera par exemple surexposer son portefeuille à un facteur particulier auquel une prime de risque sera associée et dont il attendra une rémunération, ou dont il prévoit une performance favorable sur un horizon donné.

Les candidats les plus sérieux à une utilisation par les allocataires d’actifs sont:

les facteurs macroéconomiques: on oppose ainsi bien souvent les actifs de croissance que sont les actions aux obligations qui bénéficient au contraire de scénarios défavorables en matière de croissance. Une anticipation plus ou moins positive en la matière (ou plutôt d’ailleurs une inflexion de ces anticipations) se traduira ainsi par une préférence pour les actions ou les obligations. De même, le gérant de portefeuille souhaitant bénéficier d’une hausse attendue de l’inflation privilégiera les matières premières ou les obligations indexées, actifs liés positivement au facteur inflation.

Certains investisseurs ont ainsi décidé de segmenter leur portefeuille entre :

  • actifs liés à la croissance (principalement actions, cotées ou non, et obligations à haut rendement),
  • actifs de rendement (obligations nominales), principalement influencés par la direction des taux d’intérêt,
  • actifs indexés sur l’inflation (obligations indexées, matières premières et devises qui leur sont liées – dollar australien ou canadien notamment-),
  • actifs destinés à capter une prime d’illiquidité.
  • dans le domaine obligataire, les principaux facteurs, duration, déformation de la courbe des taux, crédit, sont ceux sur lesquels tout gérant obligataire se positionne, illustrant le fait que les gérants obligataires appliquent l’allocation par facteurs comme M Jourdain fait de la prose. Il s’agit de facteurs générateurs d’une sur-rentabilité sur le long terme, au prix d’un risque accru, et qui peuvent également faire l’objet d’une allocation dynamique, en fonction notamment de l’évolution attendue (à la hausse ou à la baisse) des taux d’intérêt ou des spreads de crédit.
  • les facteurs relatifs aux actions. De nombreux travaux ont ainsi montré que les facteurs taille et valeur bénéficient d’une prime systématique: les petites et moyennes capitalisations sur-performent les grandes, tandis que les valeurs peu chères sur-performent celles dont la valorisation est supérieure à la moyenne du marché. Cette entorse apparente à la théorie de l’efficience des marchés peut s’expliquer par le risque supérieur des valeurs concernées, ou bien par des biais comportementaux – couverture réduite des petites capitalisations par les analystes, confort des gérants à privilégier des valeurs à forte croissance qui suscitent l’engouement des investisseurs, même au prix d’une valorisation élevée-. À ces deux facteurs « historiques » se sont ajoutés ces dernières années les facteurs suivants:
    • la qualité, à travers des ratios tels que la rentabilité des capitaux investis,
    • la volatilité : les valeurs à faible volatilité affichent des performances supérieures aux valeurs à volatilité élevée, en contradiction avec la théorie qui relie positivement rentabilité et risque,
    • le momentum (les valeurs qui se sont bien comportées sur la période récente sur-performent les autres, traduisant le caractère moutonnier des investisseurs, en tout cas jusqu’à un certain point).

Il suffirait alors de se positionner sur l’un de ces facteurs, et d’attendre qu’il délivre la surperformance attendue. C’est évidemment trop simple. D’abord parce que certains facteurs peuvent connaitre de longues phases de sous-performance. On se souvient par exemple de tous ces gérants « value », c’est-à-dire privilégiant les valeurs décotées, qui sont tombés en disgrâce à la fin des années 1990 suite à des résultats très décevants, alors que le marché ne jurait que par les valeurs technologiques ou de télécommunications promises à un avenir radieux qui s’est terminé par l’éclatement de la bulle en 2000-2002. Ces gérants ont eu raison, mais parfois trop tard pour conserver leur poste…

On peut en revanche montrer qu’une stratégie diversifiée entre plusieurs facteurs surperformants sur le long terme permet d’obtenir une rentabilité supérieure à celle d’un indice de marché, assortie d’une faible volatilité relative à cet indice. Un portefeuille surpondérant à la fois les petites capitalisations, les valeurs décotées et de qualité pourra ainsi délivrer une surperformance stable dans la durée.

Mieux encore, l’allocation du portefeuille à ces valeurs peut être gérée de manière dynamique, en fonction de la relation identifiée entre le comportement de ces facteurs et certaines variables macro-financières. Une phase de reprise économique est ainsi traditionnellement favorable aux petites capitalisations (facteur taille); une fois la croissance bien établie, priorité devra être accordée au facteur momentum, tandis qu’il faudra privilégier les titres à faible volatilité et de qualité dans les phases de retournement baissier du cycle économique.

Bien sûr, comme dans l’exemple cité plus haut sur la structuration d’un portefeuille par facteurs macroéconomiques, l’ajout de performance dépend de la capacité du gérant à bien identifier la phase du cycle dans laquelle se trouve le marché, et à rapidement modifier son allocation en conséquence. L’allocation par facteurs n’est donc pas la panacée et ne dispense pas au gérant de tenter d’anticiper la direction du marché.

Sa mise en œuvre passe également un certain nombre de difficultés pratiques, liées notamment au fait que certains facteurs, en tout cas dans le domaine des actions, se recouvrent : un gérant qui souhaiterait s’exposer au facteur value risquerait fort de donner également à son portefeuille un biais vers les petites capitalisations. Par ailleurs, si l’offre d’ETFs, ou de trackers, instruments financiers destinés à répliquer un indice de marché, s’est développée pour permettre d’investir sur certains facteurs, ces produits peuvent comporter des biais de construction qui ne correspondent pas exactement aux critères de choix du gérant. Celui-ci peut alors être tenté de construire son propre panier de titres « value » ou de qualité, sur la base de moyens de recherche qui ne sont pas à la portée du premier investisseur venu.

On peut donc observer en conclusion que l’approche par facteurs apporte un enrichissement indéniable à l’analyse d’un portefeuille diversifié, et élargit l’univers de sources de performance potentielle pour l’investisseur, sous réserve de disposer de véhicules d’investissement appropriés. Il s’agit toutefois pour nous d’une évolution plutôt que d’une révolution, qui ne dispense pas l’investisseur d’anticiper la tendance des marchés, et de chercher à se positionner avant les autres, facteur essentiel de performance.

Eric Tazé-Bernard – (d’après « L’approche par facteurs : quels bénéfices pour l’allocation d’actifs? » article co-écrit avec Marie Brière et Alessandro Russo, Amundi Cross Asset Special Focus, Février 2016

 

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Eric Tazé-Bernard