Nous allons vous proposer au cours des prochaines semaines plusieurs articles sur le thème de la santé et de son financement. Cet article, qui en constitue l’introduction, a été inspiré par la combinaison de mon regard citoyen et de ma grille d’analyse professionnelle (gouvernance et innovation) sur des lectures et des échanges qui, bien que d’origine très diverses, semblent esquisser une convergence sur l’analyse du problème. J’ai été frappé par l’absence de « débat orchestré » à l’instar de ce qui s’est passé il y a 25 ans avec le livre blanc sur les retraites, qui nous amène aujourd’hui à la fois à un premier équilibre emplois/ressources et à une relative maturité du débat public pour le maintenir.
Une ambition démesurée pour ce dossier santé serait donc de contribuer à faire monter dans le domaine public cette méta-problématique, en commençant, plus modestement, par nourrir la réflexion de nos lecteurs et , nous l’espérons, susciter des contributions nombreuses.
Un effet ciseau compréhensible mais difficilement soutenable
Il y a 30 ans à l’ENSAE notre professeur de démographie (ou bien était -ce de politique publique ?) nous disait que l’effet de ciseau entre la croissance du PIB et celle des dépenses de santé serait un des enjeux majeurs de notre génération.
Les raisons évoquées à l’époque étaient simples : il n’y a quasiment pas de limites à la propension à consommer individuelle, tandis que l’offre se nourrit à la fois des percées scientifiques ou technologiques et des intérêts d’un nombre croissant d’acteurs économiques.
Le contexte actuel ne fait que renforcer cette tension : il y a d’une part des promesses d’innovation issues des progrès scientifiques, technologiques et organisationnels (génétique, objets connectés, data-science, médecine de parcours et personnalisée …) et d’autre part des enjeux quantitatifs majeurs liés notamment au vieillissement de la population et aux contraintes de financement individuel et collectif, tout cela dans un cadre de croissance faible, de déficits publics et d’enjeux majeurs de compétitivité pour la France.
Dans une société où le vote des personnes âgées devient majoritaire et jusqu’au moment où la perte de compétitivité, la dette publique voire l’exode des jeunes deviennent insoutenables, il ne reste quasiment que deux cordes de rappel éthico-économique s : la qualité de vie « combien vaut de (sur)vivre plus vieux si ma qualité de vie est dégradée ?» ; la décence de l’appel à la solidarité intergénérationnelle « suis-je d’accord pour financer ma santé en ponctionnant massivement le train de vie de mes enfants, petits-enfants ou en empruntant à leurs descendants ?».
Un système de santé mixte qui ne favorise pas la régulation et la performance coûts / bénéfices
L’aléa associé à la santé et le besoin de solidarité ont fait émerger des systèmes de santé plus ou moins sophistiqués ou compliqués en terme d’offre, de mutualisation du risque et d’organisation. Comme le vulgarise bien Jean Tirole, ces systèmes de santé doivent répondre à la double problématique aléa moral (il fume, boit, mange trop et conduit trop vite mais sera pris en charge) / anti-sélection (pas de questionnaire de santé et d’offres différenciées).
En France, après avoir longtemps cru que notre système était performant, de nombreuses voix s’élèvent pour souligner que le rapport coût/bénéfice est loin de l’optimum notamment en matière de résultats (par ex. espérance de vie en bonne santé), d’équité (par ex. inégalités sociales ou salarié vs reste de la population) ou de coûts de gestion (par ex. mixité/doublon Sécurité Sociale / couvertures complémentaires).
Une des raisons est que la mixité de notre système complexifie la négociation avec les offreurs de soin et ne permet pas une vision globale de l’optimisation qui passe nécessairement par le partage d’information.
J’ai été frappé de voir le Président de la Mutualité Française, plaider publiquement que «la valeur ajoutée des organismes complémentaires réside autant dans leur capacité à accompagner, à innover, à proposer des services aux patients comme aux médecins, à organiser les parcours que dans le remboursement de dépenses sans souci de leur pertinence, de leur efficacité ou de leur coût » et souhaiter que par des accords avec les complémentaires « les professionnels, soucieux de garder la maîtrise de leur pratique, s’engagent à mettre en place des mécanismes d’évaluation et de régulations indispensables pour attester de la pertinence et de la qualité des prises en charges » .
Un système de santé cloisonné qui ne favorise pas l’innovation
Dans un monde incertain traversé par la disruption digitale dans les modèles de relations sociales, de production de biens/services et de rapport à l’emploi, l’écrasante majorité des acteurs a compris que l’innovation se co-construit avec le client-usager dans un cycle itératif d’expérimentations dirigées avec des prototypes minimalistes, des analyses en boucle courte des résultats et des « pivots » lorsque les résultats montrent que les hypothèses initiales étaient erronées ou que des opportunités inattendues surgissent.
Dans la situation actuelle, il semble que malgré de nombreuses expériences limitées, ce type d’innovation est freinée voire bloquée par le cloisonnement entre les secteurs de la prévention et du curatif ainsi que par la barrière entre les acteurs agiles et les structures globales plus contraintes.
Aller au fond du débat
Sur un sujet complexe qui met en tension les valeurs de solidarité et d’équité dans la société avec le bien-être et les comportements individuels et qui de surcroît présente des enjeux économiques majeurs aussi bien côté offre que côté demande ou finance s publiques, nous ne pouvons pas faire l’économie d’un débat global orchestré et associant toutes les parties prenantes. Sinon à chaque instant le statu quo prévaut et dans chaque évolution à un moment ou un autre une partie ou une autre profite d’une conjonction pour faire déraper la création du consensus ou bloquer la réforme.
Pour éclairer ce débat, les articles que variances.eu publiera prochainement traiteront notamment de l’état de santé de la population en France, des questions posées par les perspectives de l’hyperlongévité, du financement de la protection sociale et de la régulation des soins par le suivi en vie réelle. Vos réactions seront également les bienvenues.
Nous vous proposons également une bibliographie et vous invitons à retrouver les articles publiés dans le numéro 48 de notre magazine =variances dont le dossier était consacré aux politiques de santé.
Bibliographie
Etienne Caniard – 2016
http://www.telos-eu.com/fr/reforme-du-systeme-de-sante-le-numerique-au-secour.html
Dépendance : la cour des comptes préconise de mieux cibler les aides – les échos 15 juillet 2016
Jean Tirole – Economie du bien commun – PUF – chapitre 15/III – 2016
Sielbleu : prévention par le sport http://www.sielbleu.org/Presentation/histoire.php et http://www.ecole.org/fr/seances/SEM853
Faut il contrôler les dépenses de santé ? – Ecole de Paris du Management – 2003 – http://www.ecole.org/fr/seances/SEM098
Comment l’assurance maladie opère sa mutation vers l’assurance santé – Ecole de Paris du Management – 2012 : http://www.ecole.org/fr/seances/SEM674
Des pistes pour aller plus loin
Refonder l’assurance maladie http://www.cae-eco.fr/Refonder-l-assurance-maladie.html : brigitte dormont, pierre-yves Geoffard et Jean Tirole
Institut Montaigne « Réanimer le système de santé – proposition pour 2017 » – juin 2016
Think Tank – Economie Santé – que la santé fasse partie des débats de l’élection présidentielle 2017 et déjà en 2012 « faire de la santé et de son financement un grand débat public »
CHAM 2016 « L’argent de la santé » http://www.canalcham.fr/fr/cham2016
http://www.securite-sociale.fr/LES-COUTS-DE-GESTION-DE-L-ASSURANCE-MALADIE-IGAS-IGF?type=part rapport de septembre 2013 publié le 15 décembre 2014 !
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