Cet article reprend le rapport « Fragilité des comparaisons internationales en matière de logement » (IGEDD, octobre 2023)
Rechercher des points de comparaison à l’étranger constitue un passage obligé de l’optimisation des politiques publiques. En matière de logement comme certainement dans la plupart des domaines, force est de constater que cet exercice est périlleux. En surfant sur le net, nous avons recensé dans les comparaisons internationales publiées un ensemble de faiblesses. Nous les avons regroupées en trois groupes : les erreurs factuelles, les failles méthodologiques, et le cas particulier des prélèvements et des aides.
DES ERREURS FACTUELLES
Les erreurs factuelles se manifestent par des valeurs erronées dans des tableaux. Deux sources génériques d’erreurs peuvent être mentionnées.
La première est l’enquête SILC (« statistics on income and living conditions »), dont le volet français est l’enquête SRCV (« statistiques sur les revenus et les conditions de vie des ménages »). Cette enquête a été conçue par Eurostat précisément pour permettre des comparaisons entre pays membres de l’Union Européenne. Or, en matière de logement, elle produit souvent des résultats faux, en France comme dans d’autres pays. Ainsi, la proportion de ménages propriétaires de leur logement ressort plus faible en Allemagne qu’en France de 18 points selon SILC mais seulement 11 points selon les instituts statistiques nationaux, soit un écart d’un facteur presque 2.
La deuxième est constituée des questionnaires QUASH remplis à la demande de l’OCDE par ses états membres. Pour la France, à partir de cette source, l’OCDE mentionne 36,3 millions de logements en 2018 et 39,8 millions en 2020, soit un accroissement de 3,5 millions en deux ans qui est non seulement faux mais aussi invraisemblable : soit l’administration française a mal rempli le questionnaire, soit l’OCDE a mal retranscrit sa réponse.
De nombreuses autres erreurs factuelles proviennent d’autres sources. Ainsi, l’auteur de ces lignes a eu la surprise de trouver sur le site de la Banque centrale européenne une série longue du nombre de transactions de logements anciens qu’il avait lui-même produite, présentée comme couvrant à la fois le neuf et l’ancien et comme de source FNAIM (Fédération nationale de l’immobilier) pour l’ancien et ministère de l’Equipement pour le neuf.
DES FAILLES METHODOLOGIQUES
Les failles méthodologiques consistent en des erreurs de raisonnement :
– comparaison d’agrégats non comparables, comme une comparaison par l’OCDE de croissances des prix des logements en monnaie constante et des loyers en monnaie courante ;
– omission de variables tierces, telles que l’environnement financier dans la comparaison internationale de l’évolution du prix des logements, qui conduisait en 2023 l’OCDE à cette conclusion, à ce jour infirmée par les faits : « La demande de logements continuera de tirer leurs prix vers le haut … et en l’absence de réaction concomitante de l’offre, les prix des logements vont augmenter dans la plupart des pays au cours des prochaines décennies » ;
– faille dans le traitement des valeurs manquantes, comme l’utilisation d’une série remontant à 1840 couvrant la seule ville de Paris pour compléter avant 1936 un indice du prix des logements sur l’ensemble de la France, alors qu’il existe de bonnes raisons de penser que le prix des logements a évolué très différemment à Paris et dans le reste de la France pendant cette période ;
– contrôles de vraisemblance parfois négligés, bibliographies incomplètes, sources primaires insuffisamment vérifiées et citées.
LE CAS DES PRELEVEMENTS ET DES AIDES
Le cas particulier de la comparaison internationale des prélèvements et des aides en matière de logement illustre particulièrement la fragilité des comparaisons internationales.
Tout d’abord, une définition claire et commune des périmètres est nécessaire. Elle soulève de nombreuses questions de principe : la taxe d’habitation, avant et après sa suppression sur les résidences principales, est-elle un prélèvement sur le logement ou sur le revenu? l’allocation de logement familiale française relève-t-elle de la politique du logement ou de la famille, et l’allocation de logement aux chômeurs allemande relève-t-elle de la politique du logement ou de l’emploi ? est-il acceptable de ne retenir que les prélèvements dérogatoires au droit commun, si cela conduit à ce que les aides fiscales à l’investissement locatif françaises, qui sont dérogatoires, soient considérées comme une aide, mais que l’amortissement accéléré allemand, qui est de droit commun, ne le soit pas, alors que les deux mesures poursuivent la même finalité et diminuent toutes deux les recettes fiscales ? Ces questions ont fait l’objet de réflexions internationales qui ne suffisent pas à les résoudre.
Par ailleurs, la Cour des Comptes relève que les aides accordées par les collectivités locales ne figurent pas dans certains décomptes tant d’Eurostat que de l’OCDE. Cela peut perturber fortement les comparaisons internationales dans le cas de pays très décentralisés comme par exemple l’Allemagne.
Enfin, au-delà des questions de principe, il arrive que certaines informations soient simplement manquantes dans certains pays.
Il en résulte un ensemble d’incohérences et de biais dans les diverses comparaisons internationales. C’est ainsi que le poids des aides personnelles au logement dans le produit intérieur brut (PIB) est trois fois plus élevé en France qu’en Allemagne (0,9% contre 0,3%) selon Eurostat mais équivalent dans les deux pays (à 0,7%) selon l’OCDE. Une source tierce très fouillée laisse penser que l’OCDE est plus proche de la vérité qu’Eurostat.
Plus largement, une comparaison internationale du poids de l’ensemble des aides au logement dans le PIB effectuée par l’ONG FIPECO et fondée sur les agrégats de la nomenclature COFOG (« classification of the functions of government ») illustre les chausse-trappes de l’exercice. Elle conclut que ce poids est plus élevé en France qu’en Allemagne de 1,4 % du PIB. Néanmoins, elle retient, pour le poids des aides personnelles au logement, les valeurs d’Eurostat que l’on vient de signaler. Par ailleurs, elle inclut dans son périmètre les équipements collectifs (COFOG 0602), ce qui pose deux difficultés : non seulement ce poste ne nous semble pas relever du logement (des salles d’escalade sont-elles des logements ?) mais son poids dans le PIB trois fois plus élevé en France qu’en Allemagne (0,6% contre 0,2%) selon Eurostat est hautement suspect. Enfin, elle inclut également l’éclairage public, qui ne nous semble pas relever du logement non plus, et dont le poids plus élevé en France qu’en Allemagne (0,1% contre 0,0%) mériterait également investigation. Une fois ces points traités, le poids des dépenses en faveur du logement dans le PIB ressort plus élevé en France qu’en Allemagne non plus de 1,4%, mais de 0,3% seulement. Cette dernière valeur recèle elle-même encore un biais puisqu’elle inclut les aides fiscales à l’investissement locatif en France mais non en Allemagne. Le traitement de ce biais réduirait encore l’écart entre les deux pays.
EN CONCLUSION
En conclusion, il faut manipuler avec discernement les comparaisons internationales, y compris celles publiées par les organisations internationales : de même que la diplomatie française, tout en contribuant activement aux travaux de l’Organisation des Nations Unies, sait s’en démarquer si nécessaire, de même il faut conserver un regard vigilant à l’égard des travaux des organisations internationales économiques.
Sur les sujets pour lesquels elles existent, les comparaisons internationales doivent être lues, mais aussi, au moindre doute, vérifiées en revenant à la source, c’est-à-dire en général aux données publiées par chaque Etat individuellement. Un premier test, qui devrait être systématique, consiste à vérifier si les informations sur la France sont exactes. Un second test consiste à vérifier les informations sur quelques pays où elles peuvent être comparées à celles en provenance d’une autre source connue pour être fiable.
Si une comparaison internationale ne paraît pas fiable, il faut en tirer les conséquences et admettre qu’elle ne permet pas de conclure. Le degré de fiabilité acceptable dépend de l’usage qui en est fait. Pour une image globale, des erreurs sur quelques pays peuvent ne pas affecter les conclusions sur le « nuage de points » formé par l’ensemble des pays. En revanche, pour rédiger une monographie sur un pays, ou sur quelques pays auxquels on comparerait la France, il est indispensable de vérifier en retournant aux sources voire en répliquant les calculs.
Ces vérifications sont chronophages. En conséquence, pour la production des comparaisons internationales, il est préférable d’une manière générale de réduire le champ à un petit nombre de pays, déterminé en fonction du temps dont on dispose.
Enfin, il ne faut pas hésiter à signaler aux producteurs de comparaisons internationales les anomalies manifestes ou potentielles que l’on y détecte. Lorsque nous l’avons fait au cours de ce travail, le meilleur accueil nous a été réservé, et la qualité de l’information publiquement disponible en a été améliorée.
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Très intéressant, merci. Ces (énormes) imprécisions n’empêchent pourtant pas l’utilisation de ces comparaisons internationales (souvent avec des approximations simplificatrices supplémentaires) dans le débat politique. Une vraie expertise conduit à plus de modestie. Ma marotte personnelle porte sur la « productivité totale des facteurs » (TFP pour les connaisseurs), sur laquelle des milliers de pages ont été noircies (incluant force économétrie), mais dont le calcul est fondé sur des chiffres de comptabilité nationale dont les comptables nationaux eux-mêmes connaissent les limites.