Philippe Zaouati est Directeur Général de Mirova. Après une carrière dans différentes institutions financières, dont la Caisse des Dépôts et le Crédit agricole, il se consacre depuis une dizaine d’années au développement de l’investissement responsable. Membre du groupe d’experts de haut niveau sur la finance durable de la Commission Européenne en 2018, co-fondateur et Président de l’initiative Finance for Tomorrow, auteur de plusieurs ouvrages dont « La finance verte commence à Paris » en 2018 et « Finance durable : l’heure de la seconde chance » en 2020, il a contribué à l’évolution du marché et de la réglementation en France et en Europe.

Il est par ailleurs co-fondateur et Président du think-tank Osons le Progrès.

Philippe est l’auteur de plusieurs romans, dont « Les refus de Grigori Perelman », dont la traduction anglaise sera publiée par l’American Mathematical Society.

Il enseigne la finance durable à Sciences Po.


Variances : Philippe, tu publies ton quatrième roman qui s’intitule « Applaudissez-moi ? », c’est un livre écrit pendant le confinement, c’était un besoin ?

Philippe Zaouati : Oui, une sorte d’évidence. Quand le confinement a commencé mi-mars, j’avais la conviction que cela durerait plusieurs mois. Nous étions tous très occupés par la poursuite de nos activités professionnelles à distance, mais j’avais du mal à imaginer que cette période particulière ne donne pas naissance à des choses nouvelles, et pour moi cela passe toujours par l’écriture.

Variances : C’est aussi le thème de ce roman, pourquoi ?

PZ : Ce n’est pas un journal de bord du confinement comme on a pu en lire dans la presse, mais cette parenthèse d’isolement obligatoire nous pousse à une forme d’introspection. Le monde va-t-il redémarrer comme avant ? Y aura-t-il un « monde d’après » ? Sera-t-on meilleurs en sortant du confinement ? Quelles leçons doit-on en tirer ?

Variances : Est-ce que l’écriture peut-être une réaction à l’actualité ?

PZ : Non, pas une réaction à l’actualité, plutôt une façon de prendre du recul. Ce roman est en fait la suite du premier roman que j’ai écrit en 2011, « La fumée qui gronde ». Il racontait la descente aux enfers d’un trader de Lehman Brothers, humilié par la crise financière, golden boy déchu qui se retrouve un matin sur le perron de la banque avec une boite en carton contenant ses affaires personnelles sur les bras. C’était l’histoire de sa fuite et d’une prise de conscience. Dans « Applaudissez-moi ! », on retrouve ce personnage quinze ans plus tard, il a tiré les leçons de son expérience et se dédie à l’investissement responsable. Il veut sauver le monde. L’épidémie agit comme une deuxième lame. Il doute. Les vieux démons ressurgissent. Quel est le sens de cette nouvelle crise ?

Variances : On a du mal à croire que toute cette histoire est inventée, c’est un roman autobiographique ?

Je crois qu’on écrit toujours sur soi. Même lorsque le thème est éloigné de sa vie, comme c’est le cas par exemple dans mon roman précédent « Les refus de Grigori Perelman » qui raconte un épisode de la vie du grand mathématicien russe qui a trouvé la solution à la conjecture de Poincaré et qui a refusé de recevoir la médaille Fields. On parle toujours de soi, mais je n’aime pas l’auto-fiction. J’ai besoin de faire ce petit pas de côté qui permet de basculer dans la fiction. Il y a des choses vraies et vécues dans « Applaudissez-moi ! » ; en même temps, rien n’est vrai dans ce roman.

Variances : Tu y parles de finance durable et nous connaissons ton implication dans ce domaine. Le personnage principal semble désabusé. « Il m’a fallu du temps pour comprendre que je servais d’alibi à un système qui ne subsiste qu’en persistant dans ses errements (…) », dit-il. La finance responsable est-elle un échec ?

PZ : J’espère que non, et pourtant j’ai des doutes en permanence. Agir pour améliorer les choses ne peut pas être un échec, mais ne tombe-t-on pas trop facilement dans l’euphorie, l’auto-satisfaction, voire l’aveuglement ? L’état de la planète, les inégalités croissantes, l’effondrement de la biodiversité, est-ce que cela n’appelle pas une réaction plus radicale ? La fiction est une façon d’aborder ces questions en s’affranchissant d’une obligation de rationalité, en étant moins raisonnable. Le réel nous enferme dans nos certitudes.

Variances : Samuel, le héros du roman, est convoqué, en plein mois d’août, à la brigade financière de Paris. On le soupçonne de malversations et de détournement de fonds. C’est du vécu ?

PZ : Non, bien heureusement. Le livre commence comme cela en effet. Samuel se retrouve dans un petit bureau, dans l’immeuble du nouveau siège de la Police Judiciaire. L’inspecteur de la brigade financière le place en garde à vue, pendant une longue journée, il va chercher à comprendre, et bien sûr tenter de le piéger. Qu’a-t-il fait au juste ? Quelles sont ses motivations ? Pour y répondre, Samuel avance ses pièces, celles d’un puzzle dont certaines remontent à la crise financière de 2008.

Variances : Nous n’en dévoilerons pas plus évidemment. Est-ce qu’on peut dire malgré tout que c’est un roman féministe ?

Oui, sans aucun doute. Nous avons tous remarqué à quel point les femmes étaient en première ligne dans cette crise. Caissières, aides-soignantes, aides à domicile, mamans qui travaillent et pallient la fermeture des écoles, et comme un symbole de cette prééminence, l’image de l’infirmière qui se bat contre le virus. Début mai, un collectif a publié une tribune dans Libération, que j’ai mise en exergue du roman. C’est excessif sans doute, mais j’aime bien l’idée que la fiction serve aussi à extérioriser les tensions de la société.

« Nous sommes en guerre » ? Messieurs, cette guerre vous l’avez décidée entre vous – cols blancs et costumes noirs –, bien planqués dans les ministères et dans les hautes sphères où aucune femme ne vient jamais vous déranger. Votre guerre, nous et nos sœurs l’avons menée en première ligne : infirmières, aides-soignantes, assistantes maternelles, aides à domicile, agentes d’entretien, caissières, vendeuses, ouvrières du textile, enseignantes, secrétaires, employées administratives du public et du privé…

Nous ne serons plus jamais les bonnes petites soldates de vos guerres

Variances : Tu travailles déjà sur ton prochain roman ?

PZ : Oui bien sûr. L’écriture est une addiction, délicieuse et presque sans danger pour la santé !


APPLAUDISSEZ-MOI !

Roman, de Philippe Zaouati, aux éditions Pippa, septembre 2020

Samuel K. est un financier de haut-vol. Depuis la crise financière de 2008, il s’est reconverti dans le financement du développement durable. Nous sommes en août 2020, en plein coeur de l’épidémie de Covid-19. Il est convoqué par la brigade financière de Paris pour y être interrogé à propos d’un soupçon de détournement de fonds. A-t-il quelque chose à se reprocher ? La crise sanitaire l’a-t-elle fait replonger dans les eaux troubles de la finance opaque et spéculative ? Par petites touches, en revenant sur ses souvenirs et ses obsessions, il dévoile ses intentions à l’inspecteur qui l’interroge.

Le déclenchement de l’épidémie de Covid-19 est un choc pour Samuel K. Enfermé dans son appartement luxueux de l’île Saint-Louis, il rumine sa frustration, s’enfonce progressivement dans la déprime et décide de couper les ponts avec le monde extérieur. L’arrivée inattendue d’une infirmière va modifier le cours des événements. Samuel K. prend conscience de son incapacité à agir. Il se sent inutile, admire le courage de cette femme qui se bat contre le monstre. Il s’interroge sur le sens de sa vie depuis qu’il a quitté la banque Lehman Brothers, jeté dehors avec un carton sur les bras, au plus fort de la crise financière. Les souvenirs de sa fuite en Afrique lui reviennent. A-t-il vraiment appris ? « Ça recommence », se dit-il. Comment rebondir ? Pourquoi rebondir ? Quel acte fort peut-il accomplir pour être enfin fier de lui ?

« Il m’a fallu du temps pour comprendre que je servais d’alibi à un système qui ne subsiste qu’en persistant dans ses errements (…). »

« Les applaudissements, c’est bon pour les théâtres et les opéras, parce qu’on a payé sa place. Je n’ai pas le sentiment d’avoir payé ma place pour ce spectacle. Je suis un passager clandestin dans cette salle. Le mieux que j’ai à faire, c’est de rester silencieux pour qu’on ne me démasque pas. »

Philippe Zaouati