Une personne résidant en France sur dix a une origine africaine. Cette population, très hétérogène, est plutôt jeune, faiblement qualifiée et connait des difficultés d’intégration économique et sociale. Pourtant, elle a des atouts que l’absence d’une politique d’intégration explicite et assumée laisse inexploités.

En remontant à deux générations, un résident en France sur dix a une origine africaine

Une personne résidant en France sur dix a une origine africaine : soit qu’elle soit née sur ce continent, soit qu’un de ses parents y soit né. Plus précisément, un peu plus de 2,5 millions d’immigrés sont nés en Afrique, un peu moins de 3 millions de Français sont « descendants d’immigrés », donc eux-mêmes nés en France, mais d’un (ou deux) parent(s) immigré(s). Les immigrés sont, par définition, des personnes nées dans un pays étranger et de nationalité étrangère à leur naissance. On compte encore plus d’un million de personnes nées Françaises dans un pays d’Afrique. Ces trois populations sont assez différentes. On mentionnera seulement, pour le dernier groupe, qu’il est très majoritairement composé de personnes assez âgées, revenues en France après les décolonisations.

Les origines restent fortement marquées par l’histoire coloniale

Le passé colonial de la France marque fortement ces populations. Pour les deux tiers, l’origine des immigrés ou de leurs descendants est maghrébine, le plus souvent algérienne. Cette concentration sur les trois pays, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, contraste avec la forte dispersion des origines hors Maghreb. Un peu plus de 800 000 immigrés et autant de descendants ont une origine hors Maghreb. Aucune « communauté », soit ici l’ensemble des personnes nées dans un pays donné, ne dépasse 100 000 personnes. Le « top seven», Sénégal, Côte d’Ivoire, Cameroun, les deux Congo, le Mali et Madagascar rassemble un peu plus d’un demi-million d’immigrés et autant de descendants. L’hétérogénéité est de mise, ce qui ne surprendra pas si l’on se souvient que la distance Dakar-Yaoundé est deux fois celle de Lisbonne à Varsovie …. Ces dernières populations sont toutefois en croissance rapide, du fait de l’accroissement des migrations pour la première, de facteurs démographiques particuliers dont la fécondité n’est qu’un facteur pour la seconde.

Une répartition par sexe équilibrée, des migrations entreprises au début de l’âge adulte

Les immigrés africains se répartissent à peu près également par sexe. Cependant, les immigrés maghrébins sont (faiblement) majoritairement des hommes, cette répartition étant inversée pour les immigrés d’origine non maghrébine. Les grandes lois de la migration s’observent ici comme ailleurs : la migration est le plus souvent entreprise au début l’âge adulte. Cela peut être peu de temps après la fin des études ou à l’occasion de l’achèvement de celles-ci, en effectuant un ou plusieurs cycles d’enseignement supérieur. Les étudiants, comme les autres migrants, ne restent pas forcément en France pour de longues années. Un tiers seulement des étudiants s’installent en France, ayant trouvé des opportunités pour fonder une famille et y travailler. Le transnationalisme est un phénomène marquant des ressortissants des pays d’Afrique occidentale. Une part notable des immigrés venus de ces pays ne reste que quelques années, certains s’installant provisoirement dans différents pays d’Europe et alternant des périodes dans le pays d’origine et ailleurs. En revanche, les immigrés d’origine maghrébine s’installent plus fréquemment en France pour de longues périodes, voire définitivement.

Une population jeune, donc en âge de faire des enfants

Les vagues migratoires qui se sont succédé depuis 1945 sont, dans l’ordre et en simplifiant, composées de migrants du sud de l’Europe, puis du Maghreb, enfin d’Afrique hors Maghreb. Les immigrés maghrébins sont donc en moyenne plus âgés que leurs homologues non maghrébins. Toutefois, les flux en provenance du Maghreb demeurent assez importants. Il s’ensuit que ces immigrés sont fortement surreprésentés dans la tranche d’âge des 20 – 50 ans. Ce fait démographique explique largement l’accroissement rapide de la « deuxième génération », puisque la majorité des immigrés sont en âge fécond (contre moins du tiers en population générale, près des deux-tiers pour les non maghrébins). L’autre facteur majeur est la surfécondité des immigrés africains. Ceci doit être relativisé : la descendance finale des femmes maghrébines est de l’ordre de 3 enfants, celle des femmes non maghrébines de l’ordre de 4, contre 2 en population générale. Et les femmes qui commencent leur vie féconde après la migration auront moins d’enfants que les autres. On notera encore que les descendantes d’immigrés sont moins fécondes que la moyenne des femmes françaises.

Les immigrés d’origine africaine sont peu qualifiés… en général, mais pas toujours

Les immigrés d’origine africaine sont plutôt peu diplômés si on les compare à leurs homologues non immigrés de même âge et de même sexe. Il y a une surreprésentation des personnes peu, voire pas diplômées. Cependant, cette observation mérite d’être précisée si on la décline géographiquement. Pour des pays comme le Maroc ou le Mali, voire le Maghreb et les pays de la façade atlantique, cette sous-qualification est manifeste. En revanche, nombre d’étudiantes et d’étudiants (par importance numérique), venus des pays limitrophes du Golfe de Guinée, viennent finir leurs études, assez souvent le troisième cycle universitaire, en France et s’y installent. Ce « brain drain » est moins marqué en France que dans d’autres pays d’immigration, mais il peut être important du point de vue des pays d’origine. La sous-qualification des immigrés pèse largement sur la réussite scolaire des descendants, qui atteignent les niveaux de qualifications intermédiaires, mais sont largement sous-représentés au-delà de la licence.

Cette population a du mal à s’intégrer économiquement

La participation de ces immigrés au marché du travail est facile à analyser. Les immigrés masculins sont aussi actifs que les non immigrés mais beaucoup plus exposés au chômage, particulièrement les premières années en France. Le manque de qualification, le manque d’expérience (aussi bien de la vie en France que sur le marché du travail) expliquent pour beaucoup les écarts en termes de taux d’emploi. Dernier facteur, secondaire, le manque de familiarité avec la langue française explique les difficultés qu’ont certains immigrés à obtenir des emplois assez ou très qualifiés. Pour les femmes immigrées, l’arbitrage entre vie active et vie familiale exacerbe le facteur « expérience » et les taux d’emploi n’augmentent que lentement avec la durée de présence en France.

En revanche, l’analyse correspondante pour les descendants d’origine africaine est plus complexe. La sous-qualification n’explique que très partiellement un taux de chômage très élevé. L’âge moyen de ces personnes est très jeune, en particulier en cas d’origine non maghrébine : s’ajoutent donc les difficultés communes aux moins de 30 ans pour obtenir un emploi, a fortiori un emploi stable. On notera encore qu’immigrés et descendants d’immigrés d’origine africaine sont surreprésentés dans les « quartiers » (les zones urbaines sensibles, auxquelles ont succédé les quartiers prioritaires de la ville). Ces quartiers sont souvent mal desservis par les transports, et avec peu de possibilités d’emplois sur place. Enfin, les analyses sociologiques mettent l’accent sur des phénomènes de discriminations, certainement à l’œuvre, mais qui ne constituent qu’un des facteurs explicatifs.

On n’oublie pas de sitôt le pays de ses ancêtres …

Les immigrés, davantage que les descendants, gardent des liens avec le pays d’origine. Ces liens sont davantage culturels qu’économiques. Ainsi, la pratique de la langue maternelle et sa transmission restent importantes, de même qu’un intérêt pour la vie économique et politique du pays d’origine. Une part sensible des immigrés garde des biens dans le pays d’origine. Les envois d’argent ou de dons en nature sont relativement négligeables du point de vue de la France, mais du même ordre de grandeur que l’aide publique au développement. Cet apport est toutefois important du point de vue des pays d’origine, davantage hors Maghreb. Enfin, de façon générale, les diasporas dopent les échanges de biens et de services entre pays d’accueil et pays d’origine. La France ne fait pas exception à cette règle. Si les descendants d’immigrés sont moyennement qualifiés selon les normes françaises, ils le sont autant voire davantage que les résidents des pays d’origine et pourraient participer davantage à ces échanges.

En guise de conclusion

Les immigrés et descendants d’immigrés d’origine africaine sont souvent perçus comme une menace pour l’identité française, notamment du fait que leur nombre augmenterait rapidement. Ce dernier point est à relativiser : le nombre d’immigrés en France augmente maintenant depuis une vingtaine d’années, à un rythme d’un peu moins de 100 000 personnes par an (soit +0,35 % en rythme annuel), la moitié étant d’origine africaine. Les flux migratoires s’accroitront durant les prochaines décennies, une explosion étant peu probable. Ces immigrés et les descendants de même origine ont trois fois plus de « chances » d’être au chômage, sept fois plus d’habiter dans un quartier défavorisé, que les personnes sans lien avec la migration. Le problème de « l’immigration » africaine ne relève donc pas d’une politique d’immigration mais d’intégration. Les bénéfices ne concerneraient pas seulement la population cible, mais la société française dans son ensemble.

les principales sources statistiques de l’immigration

 

Le recensement de population permet de repérer les étrangers, les immigrés et les personnes nées Françaises à l’étranger, ainsi que la date d’entrée en France. C’est une source assez riche et très précise. Le recensement est maintenant « en continu », permettant une actualisation annuelle de l’information. Par ailleurs, toutes les enquêtes « ménages » de l’Insee permettent de repérer les immigrés, ainsi que les descendants d’immigrés. L’enquête emploi fournit l’essentiel de l’information sur l’emploi et les qualifications par exemple. Des enquêtes sur le logement, les conditions de vie, … sont régulièrement faites. De façon moins régulière l’Insee et l’Ined s’associent pour mener une enquête structurelle : ainsi, « Trajectoires et origines » a été réalisée en 2008 et une nouvelle édition est en préparation. Tous les dix ans environ, l’Insee fait la synthèse de ces données en présentant un ouvrage dans la collection « Insee références » : le dernier en date, immigrés et descendants d’immigrés en France, est paru fin 2012.