En brisant les chaînes de contamination par le traçage et la quarantaine, on protège la santé publique tout en sauvegardant l’économie
Une seule infection a probablement engendré la COVID-19 vers la fin de 2019. Les chaînes de contamination ont ensuite répandu le mal sur toute la planète. Tant qu’il n’y aura pas de vaccin, ou à la rigueur tant qu’il n’y aura pas de quoi bien soigner les personnes contaminées et malades, la pandémie se répandra de vague en vague, laissant derrière elle dans le monde des dizaines de millions de malades, de pauvres et de morts[1].
La stratégie « tester-tracer-isoler » : maîtriser l’épidémie en brisant les chaînes de contamination
Comment briser les chaînes de contamination ? Si quelqu’un est infecté, on sait depuis mi-janvier 2020 qu’il peut contaminer toute autre personne ayant été en relation proche. Dès la découverte d’une personne infectée, il importe donc de déceler vite tous les cas contacts. Et il faut vite tous les tester et, si nécessaire, les isoler pour qu’ils ne puissent plus contaminer quiconque. C’est la stratégie « tester-tracer-isoler ». Toutefois, sans tracer les personnes infectées et les cas contacts, sans isoler strictement, tester en masse ne sert pas à grand-chose. Car on ne brise pas les chaînes de contamination.
Mars 2020 : la France emmurée
Pendant la première vague au début de 2020, la France, comme beaucoup d’autres pays européens, a décrété une dure mesure de confinement général. Elle a produit les effets attendus. Mais elle a causé en même temps de gros dommages aux activités économiques : environ 10 % de PIB en moins (- 9,8 % selon le FMI en octobre 2020[2]).
Octobre 2020 : la France ébranlée une deuxième fois
Mi-octobre, une deuxième vague se soulève de plus en plus vite. La France accomplit maintenant un peu plus de 170 000 tests virologiques RT-PCR par jour en moyenne. Et elle voit le nombre des personnes nouvellement infectées chaque jour dépasser désormais 50 000[3]. Or, le président de la République lui-même, le 14 octobre, a rappelé que ce nombre devrait être seulement de 3 000 ou 5 000 par jour pour considérer que la situation est maîtrisée. En conséquence, un couvre-feu est appliqué en Île-de-France et dans huit métropoles de province depuis le 17 octobre. Le 24 octobre, le couvre-feu a été étendu à 38 autres départements. Cette mesure est moins radicale que le confinement de mars, mais elle va encore durement bouleverser la vie économique. Car elle porte sur 46 millions de Français. De plus, les services de réanimation dans les hôpitaux de France vont bientôt manquer de lits pour soigner les malades. Si l’on ne fait rien pour freiner l’expansion de l’épidémie, le système sanitaire sera incapable de prendre en charge les malades du COVID-19 dans peu de semaines. Un nouveau confinement serait inévitable.
La principale difficulté qu’affrontent toujours les autorités françaises, c’est l’impossibilité de parvenir à bien tracer et isoler. Comme l’a affirmé dans un communiqué l’Académie nationale de médecine le 28 septembre 2020 : « […] la stratégie « tester-tracer-isoler », mise à mal par une doctrine qui encourageait à tester le plus de monde possible, est devenue inefficiente à cause de l’engorgement des filières de diagnostic et de dépistage, entraînant des retards inacceptables dans le rendu des résultats ». La conséquence, c’est que les personnes infectées et les cas contacts continuent à dérouler les chaînes de contamination. Si les cas contacts infectés ne sont pas isolés durant une période suffisante, ils continuent de circuler librement et de contaminer quotidiennement.
Le docteur Michael Ryan, directeur des questions d’urgence sanitaire à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a déclaré à Genève le 19 octobre : « Si j’avais un vœu magique pour améliorer une chose que nous pouvons réellement améliorer, et changer la donne, ce serait de s’assurer que chacun des individus en contact avec un cas confirmé de Covid soit mis en quarantaine pour la durée nécessaire afin de casser la chaîne de transmission »[4]. Ce vœu est le meilleur qui soit.
L’Asie de l’Est : une leçon mésestimée par les Français
Y a-t-il des mesures sûres pour briser la plupart des chaînes de contamination tout en préservant la vie des affaires ? L’exemple de six pays dans l’est de l’Asie[5] (Chine, Corée du Sud, Japon, Taïwan, Singapour et Vietnam) démontre que c’est possible. La pandémie y est jugulée depuis avril 2020, et les activités économiques ont toutes repris. Les perspectives de croissance économique y sont les plus hautes au monde en 2020 comme en 2021 selon le FMI et l’OCDE[6]. Les mesures là-bas sont-elles mutatis mutandis applicables ici ? La réponse est oui. Car la France dispose désormais de gros moyens pour tester, tracer et isoler. Nonobstant bien sûr l’obstacle sérieux de l’attachement des Européens à la liberté individuelle, elle peut faire en sorte que toute la population française télécharge l’application TousAntiConvid et que les personnes infectées et les cas contacts soient placés en isolement strict durant le temps nécessaire en un lieu d’isolement qu’on puisse, sous une forme ou une autre, contrôler. La charge de l’isolement serait faible, répartie comme elle le serait entre une centaine de départements. Et il n’est jamais trop tard pour renforcer la stratégie « tester-tracer-isoler », que ce soit avant, pendant ou après les confinements et couvre-feux. Le défi est juridique et politique, il n’est pas pratique.
La France en 2020 et 2021 : le possible effondrement
La perte de PIB menace la cohésion et la prospérité de la France. Les mesures de relance et de soutien ne résolvent qu’en partie le problème. Pour tester massivement, tracer les personnes infectées et les cas contacts, isoler strictement durant le temps nécessaire (y compris les cas contacts avant test), les dépenses sont infimes par rapport aux dégâts économiques de mesures indiscriminées pesant sur toute la population. Restreindre temporairement (14 jours ou moins) la liberté d’une très petite fraction du peuple français (1 % tout au plus) préserverait les activités de l’économie et le fonctionnement de la société. Au regard de l’économie, de la santé et de l’éthique, c’est le meilleur moyen de dompter la pandémie, en attendant un vaccin qui allégera la pression sans toutefois la faire disparaître.
Les prévisions sur la reprise des activités en France en 2021 (+ 6 % de PIB selon le FMI) sont fondées sur l’hypothèse d’une maîtrise de la pandémie. Or, selon le président de la République, la population française va devoir encore vivre avec le virus au moins jusqu’à l’été de 2021. Si la pandémie malheureusement frappait par flux et reflux durant tout ce laps de temps, la France affronterait une nouvelle baisse forte de son PIB, au lieu de jouir du redressement économique qui est prévu par le FMI ou l’OCDE. Si le système sanitaire devenait incapable de prendre en charge les malades de la COVID-19 dans les prochaines semaines, si d’autres confinements devenaient indispensables les uns après les autres, on irait droit vers une des plus grandes crises que la France ait connues depuis le XIXe siècle, temps de guerre mis à part. Les conséquences économiques et sociales seraient dramatiques. Alors serait-il vain de parler de résilience, soutenabilité, relocalisation, souveraineté, égalité, santé, etc.
Deux conclusions irréfragables
- En attendant la vaccination, il n’est qu’une voie pour sortir de la crise actuelle et remettre la France en marche : briser les chaînes de contamination en testant massivement, traçant efficacement et isolant strictement. Le coût économique d’une stratégie « tester-tracer-isoler » est beaucoup plus faible que celui des mesures de confinement, couvre-feu, plan de relance et plan de soutien. Cette stratégie est indispensable pour éviter les confinements successifs, et aussi pour accompagner la vaccination dont l’efficacité ne sera probablement pas suffisante. En parallèle, bien sûr, les gestes barrières doivent être appliqués partout : port du masque, lavage des mains, prise de température, distanciation physique, aération des locaux, désinfection des matériels, interdiction des grands rassemblements, etc. Inciter ou obliger au recours à de bonnes applications numériques de smartphone est indispensable. L’isolement de 1% de la population est bien moins liberticide que tout confinement indiscriminé.
- Grâce à l’expérience fondée sur une population vingt-cinq fois supérieure à la France, forts du succès de leur combat contre la COVID-19, ayant les meilleures perspectives de reprise économique, en avance dans l’utilisation des technologies numériques pour leur triple combat (maîtrise de la COVID-19, relance économique, transition écologique), travaillant à des vaccins prometteurs[8], les six pays dans l’est de l’Asie (cf. ci-dessus) peuvent aider la France à relever son si redoutable défi : celui de briser les chaînes de contamination et de permettre la reprise durable des activités économiques. Aussi serait-il utile que la France mette en place une veille collaborative avec ces six pays.
Nous avons rédigé le présent article en nous fondant sur notre longue expérience professionnelle de l’action publique dans diverses fonctions de responsabilité, dans les domaines économiques et technologiques. Nous avons eu aussi recours à notre connaissance de l’est de l’Asie ; nous y avons suivi avec grande attention le combat contre la pandémie depuis le début de janvier 2020, en le comparant constamment aux solutions retenues par la France.
Addendum : Comment appliquer la stratégie « Tester-Tracer-Isoler » en France ?
Grâce à l’application rigoureuse et permanente de la stratégie « Tester-Tracer-Isoler », l’Asie de l’Est a largement vaincu la pandémie COVID-19. De plus en plus de voix s’élèvent en France pour suivre mutatis mutandis la même stratégie. Car la pandémie durera longtemps, même avec la vaccination.
L’isolement strict des personnes infectées par le virus de la COVID-19 et des cas contacts a déjà été pratiqué en France avec succès. Sans que personne s’en offusque. En février 2020, plus 200 personnes rapatriées de Wuhan ont été mises en isolement strict durant 14 jours dans un centre de vacances à Carry-le-Rouet (Bouches-du-Rhône) et dans les locaux de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP) à Aix-en-Provence. D’autres ont été isolées dans un village-vacances à Branville (Calvados). Le 12 avril, au retour du porte-avions Charles de Gaulle à Toulon, 1 081 marins ont été testés positifs ; plus de 2 000 parmi les 2 300 marins du groupe aéronaval ont été placés en quatorzaine dans l’enceinte militaire. L’État a pris en charge tous les frais liés à ces isolements obligatoires et stricts.
Voici quelques pistes pour appliquer la stratégie « Tester-Tracer-Isoler ».
Tester massivement
Il faut continuer la pratique actuelle, mais plus massivement (surtout là où un foyer est détecté) et plus rapidement (résultats en moins d’une heure). Il faut évidemment tester les étrangers arrivant en France.
Tracer efficacement
L’application TousAntiCovid présente toutes garanties en matière de respect de la vie privée, d’anonymat et de protection des données personnelles. Il faut rendre obligatoires, sous peine d’amende dissuasive, le téléchargement de TousAntiCovid et son activation par tous ceux qui ont un smartphone. Les cas testés positifs doivent être obligatoirement déclarés dans TousAntiCovid par les centres de dépistage.
Pour les personnes qui n’ont pas de smartphone, il serait obligatoire de montrer des résultats négatifs de test récent si elles souhaitaient se rendre dans tout lieu public.
Isoler strictement
Durant sept jours dès la connaissance des résultats de test, il faut placer tous les cas infectés dans des lieux contrôlés, comme celui de Carry-le-Rouet. En isolement, toute personne doit être interdite de sortie. Les cas contacts doivent être placés en isolement strict, suivi d’un test au 3e, 4e ou 5e jour, l’isolement étant poursuivi si le résultat de test est positif. L’État prendrait en charge les dépenses liées aux isolements et compenserait toutes les pertes économiques. Les dépenses publiques seraient bien inférieures à celles des confinements et couvre-feux.
Rappelons-le. L’isolement obligatoire, c’est le fruit amer mais efficient de la prophylaxie. C’est enfermer, durant une semaine ou deux au maximum, les gens sûrement ou possiblement infectés. C’est priver de liberté une personne sur cent ou mille. Le confinement autoritaire, c’est le fruit palliatif d’une épidémie devenue incontrôlable. C’est assigner à résidence, durant un mois ou deux, tout un peuple. C’est priver de liberté cent personnes sur cent. Les confinements successifs risquent de détruire l’économie française, tandis que la protège l’isolement des seuls cas sûrement ou possiblement infectés.
Commentaire ajouté le 13 novembre 2020
[1] À la date du 18 octobre 2020, il y avait plus de 40 millions de personnes infectées et plus de 1,11 million de décès dans le monde (cf. https://www.worldometers.info/coronavirus/).
[2] cf. https://www.imf.org/en/Publications/WEO/Issues/2020/09/30/world-economic-outlook-october-2020
[3] cf. https://www.worldometers.info/coronavirus/country/france/
[4] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/mettez-les-cas-contacts-en-quarantaine-le-conseil-de-l-oms-a-l-europe-20201019
[5] Avec la Mongolie et la Corée du Nord, ces pays sont parfois regroupés sous l’appellation « Asie de l’Est ».
[6] Par exemple, selon le FMI (octobre 2020), le PIB de la Chine augmenterait de 1,9 % en 2020 et de 8,2 % en 2021. Pour la France, ce serait – 9,8 % et + 6,0 %.
[7] Selon le docteur George Fu Gao, membre de l’Académie chinoise des sciences, directeur général du Center for Disease Control and Prevention (CDC) de Chine (in Sciences et Avenir le 16 octobre 2020, https://www.sciencesetavenir.fr/sante/ce-coronavirus-est-tres-tres-special_148457) : « J’ai lu un rapport selon lequel il y avait 20 000 nouveaux cas par jour en France, ce qui est grave. Évidemment, il y a tout ce qui relève du non-pharmacologique : il faut porter un masque, respecter la distance sociale et une hygiène personnelle, trois obligations majeures, clé du contrôle d’une épidémie. Mais la chose la plus importante, c’est de rechercher activement les cas. Chaque fois que vous en trouvez un, voir où il est et remonter à sa source. Cependant, il faut adopter des stratégies différentes selon les pays. »
[8] Quatre vaccins chinois sont en phase 3 d’évaluation. Par dérogation en raison de l’urgence, les autorités chinoises ont autorisé la vaccination de tout Chinois en première ligne : médecins, infirmières, douaniers, étudiants partant à l’étranger, etc. Environ un demi-million de personnes ont déjà été vaccinées.
Interessant. Cela rejoint les vues de Fareed Zakaria, par exemple hier dans une conference LSE. La reflexion est plus avancée que les jeremiades au feeling de Gerard Maarek ici https://variances.eu/?p=5312#comment-465 .
Maintenant je ne comprends pas d ou vient cette statistique ? « une très petite fraction du peuple français (1 % tout au plus) ».
Et la discipline dans les pays occidentaux, malgre la mobilisation de la police dans les plus autoritariens d entre eux (Espagne, Italie, France) n est pas celle des dictatures (politiques ou culturelles) que sont Chine, Corée du Sud, Japon, Taïwan, Singapour et Vietnam. Il est loisible (pour combien de temps encore ?) aux asymptomatiques de ne pas se faire tester ou contacter. Le Portugal a essaye de rendre l appli de tracing obligatoire, mais outre le fait que cela aurait ete inconstitutionnel, les obstacles pratiques sont trop grands, meme pour un pays en guerre, en conseil de defense, en obsession du controle comme la France. Rien n empeche la population de ne pas avoir de smartphone avec un OS moderne. Rien ne l oblige a declarer ses smartphones. Rien ne l empeche d avoir un smartphone d ancienne generation pour montrer a la police si celle ci veut verifier que l application a ete chargée. Et comment obliger les utilisateurs a etre en Bluetooth ou connecte tout le temps ? etc etc
donc de bonnes idees. L idee du rationnement des soins est sans doute encore plus porteuse. Elle s applique sans nul doute au Bresil, Mexique et USA. Elle n a rien de nouveau, en particulier elle s applique sur le champ de bataille. On est bien en guerre ?
Pourquoi devrait-on isoler 1 % tout au plus de la population française ?
Le nombre des personnes à isoler est très difficile à estimer. En principe, il convient d’isoler toutes les personnes infectées, ainsi que tous les cas contacts négatifs (absence de contamination à confirmer au bout de quelques jours).
Le 26 octobre, Jean-François Delfraissy, néanmoins, sur la base du nombre connu (après test) des personnes nouvellement infectées chaque jour en France (soit 50 000 environ), a estimé le nombre total des nouvelles contaminations à 100 000 par jour. Nous pouvons ainsi retenir le rythme de 700 000 nouvelles contaminations (personnes testées ou non) par semaine, période d’isolement nécessaire selon notre hypothèse. À cela, il faut ajouter le nombre des cas contacts négatifs en attente de confirmation. Cela ferait en définitive un peu plus de 1 % de la population française à isoler.
Mais si l’actuel confinement abaissait le total des cas positifs quotidiens (après test) de 50 000 à 3 000 ou 5 000 personnes testées positives par jour (objectif fixé par E. Macron), il y aurait de 6 000 à 10 000 personnes nouvellement contaminées par jour, soit de 42 000 à 70 000 personnes contaminées (maximum à isoler avant guérison) par semaine. Cela représenterait de 0,06% à 0,10% de la population française. Cela, sans compter néanmoins les cas contacts négatifs avant confirmation.
Le nombre des personnes à isoler serait donc probablement toujours bien inférieur à 1 % de la population française (670 000 personnes), sauf si le nombre quotidien des personnes infectées devenait trop élevé chaque jour, dépassant la capacité de soin des hôpitaux français.
L’isolement strict permettrait de briser les chaînes de contamination en réduisant rapidement le nombre de cas infectés, évitant ainsi tout nouveau confinement, dont les conséquences économiques et sociales sont dramatiques.
Le comité éditorial vous signale que nous avons inclus aujourd’hui à la fin du texte de cet article un commentaire que ses auteurs ont souhaité y apporter en fonction des évolutions récentes.
Bonjour,
libre à chacun d’exprimer son point de vue. Mais cet article adopte un angle de vue qui me pose problème sur plusieurs point:
– sur les finalités: l’objectif exprimé est bien d’endiguer la crise économique et pas la crise sanitaire, comme si la première avait prééminence sur la deuxième. Or si nous sommes face à une vraie crise, sociale, politique et économique bien sûr, le PIB doit-il être encore et toujours l’autel sur lequel tout sera sacrifié ? Au point de sous-entendre que finalement le problème serait notre attachement à la « liberté individuelle » qui devrait donc par ricochet s’effacer ici devant l’indicateur de PIB.
– sur la méthode: l’article reprend un point de vue déjà exprimé ailleurs comme quoi le problème serait l’isolement des cas identifiés et pas la détection. Ceux qui ont été confrontés à la réalité de la politique de test ces derniers mois savent que c’est faux. Une semaine pour avoir un rendez-vous en cas de suspicion, deux semaines supplémentaires pour les résultats, c’est le lot de la majorité. Les seuls qui sont testés en un temps acceptable sont ceux qui présentent déjà des symptômes suffisamment clairs pour que le médecin soit presque sûr qu’ils sont contaminés… d’un point de vue informatif, l’efficacité de cette politique est proche de zéro (mais pas son coût malheureusement). Comme le souligne l’urgentiste Gérald Kierzek (https://www.lefigaro.fr/vox/societe/hopitaux-tests-ce-qu-emmanuel-macron-n-a-pas-dit-20201029), la clé de l’enrayement de l’épidémie c’est justement la détection des cas asymptomatiques. Son raisonnement parle forcément à un statisticien. A quoi servirait de rendre une appli smartphone obligatoire (jusqu’à créer une discrimination entre les détenteurs de smartphone et les autres) si de toutes façons 90% des contaminés passent sous les radars ?
– sur la comparaison avec l’Asie: mon épouse étant Taïwanaise, je sais déjà que tout ce qui est déployé en Asie ne se transpose pas forcément aisément en France. Même si nos modes de vie ont des points communs, les fonds culturels diffèrent, le rapport à l’image et à l’intime entre autres. Mais surtout la stratégie a été efficace là-bas (et au Moyen-Orient sans doute aussi pour les mêmes raisons) parce que ces pays avaient déjà connu un épisode de SRAS il y a quinze ans. Ils étaient donc préparés, à la fois en matière de tests, de masques (Taïwan a gelé les exportations de masques dans les premiers temps de l’épidémie alors que c’est un des principaux pays producteurs) et en plus culturellement prêts à voir l’essentiel de la population filmée et tracée en permanence. Même comme cela, l’efficaicté de la stratégie repose d’abord sur la capacité à tester très tôt, cad au moment où le virus n’est pas encore trop disséminé. Ce qui explique pourquoi la Chine, pourtant préparée, a dû confiner tout de même la région de Wuhan. A part le Chine, qui est un continent, les pays cités sont aussi des pays extrêmement urbanisés et donc la transposition serait surtout pertinente pour les grandes villes françaises, alors que 40% de la population vit dans zones périurbaines et rurales.
– sur le point de vue (au sens littérale du terme): nous sommes des élèves issus de grandes écoles (au prix d’un financement important de l’Etat), porteurs d’un bagage culturel que l’essentiel de la population n’a pas. Nous avons donc accès à des informations et une capacité à interpréter ces informations qui sort très largement de la moyenne. Pour autant, nous vivons en démocratie et un homme=une voix, quelle que soit l’origine sociale. Il me semble donc que notre rôle n’est pas de proposer des solutions toutes faites, en passant outre la réalité de notre société, mais d’abord d’expliquer dans un langage à la fois compréhensible et rigoureux les choix qui sont possibles. Une leçon de cette crise c’est la désinvolture coupable avec laquelle de nombreux « expertes » traitent les chiffres statistiques devant des millions de téléspectateurs pour leur faire dire tout et n’importe quoi. La position du « sachant » semble permettre toutes les dérives et c’est une des raisons qui pousse une partie de la population désorientée vers des théories « complotistes » ou « conspirationnistes », pour se donner le sentiment d’avoir enfin prise sur quelque chose.
Les choix ne sont pas simples, ils n’engagent pas seulement l’économie et le PIB, ils engagent nos modes de vie, notre démocratie, le bien-être moral et psychologique de chacun. Donc ils ne peuvent être faits que collectivement, et pas délégués à un panel d’experts, aussi compétents fussent-ils.