En janvier 2019, Variances ouvrait un nouveau dossier centré sur la mesure des indicateurs économiques. J’avais alors écrit une introduction qui commençait ainsi :

Pour que, comme on en parle tant ces jours-ci, le peuple puisse vraiment débattre démocratiquement de l’état de la Nation ou, plus prosaïquement, pour faire et évaluer une politique économique, il faut un consensus sur ce qu’il faut mesurer et une confiance dans ceux qui le mesurent. Les indicateurs macro-économiques calculés par les statisticiens sont cités quotidiennement par la presse, utilisés fiévreusement par les marchés financiers qui sont même allés jusqu’à faire de leur anticipation un métier, envoyés par les politiques à la figure les uns des autres comme des boules puantes dans leurs combats de boxe électoraux, contestés régulièrement comme pas « assez écologiques », ou « dépassés » ou même « manipulés ». On en parle beaucoup, peu savent vraiment de quoi ils parlent.

Je ne pensais pas, à l’époque, que ce sujet resurgirait aussi rapidement sur le devant de la scène. Je n’avais bien sûr, comme tous, pas prévu l’impact inédit du coronavirus sur l’économie et, surtout, les problèmes décuplés de mesure que cela allait poser. Mais, saisissant le problème au bond, nous avons publié dans Variances plusieurs articles sur ce sujet.

Fin mars, nous avons publié la première note de conjoncture exceptionnelle de l’Insee, félicitant  au passage « l’Insee qui joue ainsi pleinement son rôle dans ce malheureux contexte. Il y a des circonstances exceptionnelles où les statisticiens doivent improviser pour informer sans déformer. » En mai, en réaction aux élucubrations de prophètes du malheur, j’ai publié, célébrant la résilience de l’Insee, une prévision annuelle raisonnable de croissance. En juillet, François Meunier, saluant son innovativité, a montré comment l’institut a mobilisé de nouvelles sources pour continuer à assurer, coûte que coûte, son rôle de phare dans la tempête.

Nous avons aussi publié récemment un article d’Alexandre Milicourtois qui parle, au contraire, de « grande pagaille des statistiques » en évoquant le terme fort de « garbage ». À mes yeux, il aurait été plus constructif de proposer des solutions plutôt que d’alimenter, en utilisant des mots chocs, une méfiance publique si facile à accroître. Mais Variances n’a pas peur de la controverse et même de la polémique.

Deux choses devraient être toutefois reconnues avant toute poursuite d’un débat que nous encourageons.  La première est que les statisticiens ne restent pas les bras croisés. Contrairement à ce que beaucoup croient, ils sont en permanence en train de se poser des questions sur la pertinence des indicateurs qu’ils calculent. Variances a montré la richesse de ces discussions : sur la digitalisation, l’utilisation du big-data, les multinationales, la mondialisation du commerce extérieur ou les statistiques d’éducation. La crise actuelle n’a fait que décupler l’acuité de problèmes qui lui préexistaient et l’urgence de leur trouver des solutions. La communauté statistique doit absolument s’y employer rapidement. J’espère que nous aurons dans les mois qui viennent des contributions à Variances qui confirmeront une fois de plus son innovativité.

La deuxième est qu’on a besoin de nos chiffres, et les économistes professionnels, qui font souvent de la prévision leur métier, en premier. Sans eux, ils seraient au chômage… Prévoir à six mois, ce que l’Insee fait régulièrement, est déjà un exercice audacieux surtout dans le contexte exceptionnel que nous connaissons. D’habitude, on juge de la qualité d’une prévision en la comparant avec l’observation a posteriori et ces différences se mesurent en dixièmes de points de croissance. Il est clair que, au moins cette année et l’an prochain, cette jauge sera inatteignable. Encore plus audacieux, prévoir à un an reste cependant un exercice indispensable pour l’élaboration de la loi de finances. Prévoir à deux ans, comme le fait la Banque de France dans l’article que nous publions aujourd’hui, devient plus aventureux, et, probablement, assez convenu. L’article, soulignant l’intérêt et le sérieux méthodologique de cet exercice, n’en cache pas pour autant les limites. Il est dans ce contexte bienvenu dans ce dossier.

François Lequiller