Lors d’une récente réunion de notre comité, on a inévitablement parlé de ChatGPT. L’un de nous a suggéré de faire un test. Très sceptique, j’ai proposé d’interroger cette moderne, mais fausse, pythie sur le concept du PIB. La réponse, obtenue en quelques secondes, figure ci-dessous. Elle m’a d’abord bluffé ! Je vous livre mes commentaires plus élaborés dans les paragraphes qui suivent. Mais, avant de me lire, parcourez-la. C’est court. Après, n’hésitez pas à commenter mes commentaires qui sont peut-être aussi « cliché » que ChatGPT lui-même !

Ex-chef du département des comptes nationaux de l’Insee, de l’OCDE et de la Commission Européenne, j’ai publié un manuel, Understanding National Accounts (OCDE 2014), qui a été largement diffusé dans les offices statistiques du monde entier et qui a été traduit en français, espagnol et, même, chinois. Depuis plusieurs années, ceci m’a conduit à donner un cours basé sur ce manuel à l’université Paris Dauphine. C’est avec cette casquette pédagogique, et elle seule, que je vous livre mes réactions. Il y a probablement d’autres dimensions de ChatGPT qui m’échappent.

La première réaction est que ce robot aurait eu une très bonne note à l’examen que j’organise chaque année. Sûrement la meilleure si on la pondère par le temps mis à répondre ! Son texte est totalement pertinent, centré sur le sujet, équilibré, documenté et, last but not least, bien écrit et sans faute d’orthographe… Il s’appuie sur une bibliographie, certes courte, mais tout à fait appropriée[1]. Honnêtement, de nombreux étudiants des Masters dans lesquels j’enseigne n’auraient pas remis une réponse aussi bien construite. Ma seconde réaction, plus à froid, est néanmoins que la réponse est, comment dire… « bateau ». Il n’y a pas d’approche originale. Il n’y a pas de jugement personnel. Sans parler d’éléments de recherche novatrice. En d’autres mots, elle est totalement scolaire.

D’où une conclusion évidente. ChatGPT va faire un malheur dans les universités. Un malheur dans les deux sens. Le premier, d’ailleurs déjà largement documenté, est qu’il va être massivement utilisé par les étudiants pour tricher, gagner du temps et obtenir des bonnes notes sans se fatiguer. Le second, qui va de pair, est qu’il ne va pas contribuer à les faire réfléchir. Déjà, cette génération disait : à quoi sert d’apprendre l’histoire et la géographie, Google nous donne les réponses détaillées en un clic ! Maintenant, elle va même se passer d’effectuer l’effort de synthèse critique qui est ce qu’on espère des études universitaires.

Il va en tout cas falloir une révolution dans les modalités de l’organisation des cours et des examens à l’université, au lycée et, qui sait, en primaire… Les devoirs à la maison vont devenir complètement vains. L’oral va devoir systématiquement se substituer à l’écrit, ce qui n’est pas forcément bon pour l’égalité des chances. Je fais néanmoins confiance à nos institutions éducatives pour trouver la parade.

Voici la question posée à ChatGPT et la réponse que le robot a produite :

Pourriez-vous, en 5000 signes, expliquer en quoi la notion de PIB (Produit intérieur brut) est une notion dépassée et en quoi elle ne l’est pas ? Des références bibliographiques sont souhaitées, les citations sont autorisées.

Le Produit Intérieur Brut (PIB) est un indicateur économique largement utilisé pour mesurer la richesse et la performance économique d’un pays. Cependant, cette notion est de plus en plus critiquée en raison de ses limites et de son inadéquation pour mesurer la qualité de vie de la population et l’état réel de l’environnement.

En premier lieu, le PIB ne prend pas en compte les activités économiques informelles, telles que les travaux domestiques non rémunérés, ce qui peut donner une image erronée de la performance économique réelle d’un pays. De plus, le PIB ne tient pas compte de la distribution des richesses, ce qui signifie qu’une croissance économique élevée ne garantit pas une amélioration du bien-être économique pour tous les habitants.

En second lieu, le PIB ne mesure pas les coûts environnementaux des activités économiques, tels que la pollution, la déforestation et la dégradation des sols, ce qui peut entraîner une survalorisation de la performance économique réelle. Le PIB ne reflète pas non plus les externalités négatives associées à certaines activités économiques, telles que les coûts sociaux et environnementaux des énergies fossiles.

Cependant, le PIB reste un indicateur utile pour mesurer la performance économique d’un pays en termes de production de biens et de services. Il permet également de comparer la performance économique de différents pays et de mesurer l’évolution de celle-ci au fil du temps. De plus, le PIB est facilement quantifiable et peut être utilisé pour établir des politiques économiques et budgétaires.

En conclusion, le PIB est une notion qui peut être considérée comme dépassée en raison de ses limites, mais il reste un indicateur important pour comprendre la performance économique d’un pays. Il est donc important de le compléter par d’autres indicateurs, tels que l’Indice de Développement Humain (IDH) et les indicateurs environnementaux, pour avoir une image plus complète et plus précise de la situation économique et environnementale d’un pays.

Références :

  • Stiglitz, Joseph E., Amartya Sen, and Jean-Paul Fitoussi. « Misleading measures of progress. » The European Economic Review 46, no. 4-5 (2002): 697-717.
  • « Beyond GDP: Measuring progress in a changing world. » Organisation for Economic Co-operation and Development, (2010).
  • « Indicators of sustainable development. » United Nations, (2018).

 

Mots-clés : IA – ChatGPT – PIB – pédagogie

[1] A noter que les références bibliographiques avaient été demandées dans la question. Evidemment, je ne peux que regretter qu’il n’ait pas mentionné mon propre manuel. Mais personne n’est parfait, même ChatGPT

François Lequiller