François Lequiller (ENSAE 1978) vient de publier son neuvième roman, Le loup du Cotentin. Depuis 2014, il a publié un roman par an. À l’occasion de la sortie de son dernier opus, Variances se penche sur cette surprenante deuxième carrière.

Peux-tu nous décrire le parcours qui t’a mené de l’ENSAE à l’écriture de romans ?

C’est un parcours de toute fin de vie professionnelle et, en fait, une totale reconversion ! Après une passionnante carrière à l’Insee et dans des organisations internationales, j’avais acquis une (petite) notoriété dans les milieux internationaux de statistiques macroéconomiques, notamment pour avoir rédigé un manuel édité par l’OCDE et intitulé « Understanding National Accounts ». À l’origine en français, il a été traduit en anglais, en espagnol, en chinois et, assez extraordinairement, en géorgien ! Il s’est d’ailleurs vendu mieux que mes romans. On pourra revenir là-dessus…

Alors, quand mes collègues ont appris que j’écrivais des romans, ils sont tombés de leur chaise. Et avec raison, car c’est  une reconversion à 180° ! En effet, mes romans n’ont rien à voir, mais alors rien du tout, avec ce que j’ai appris à l’ENSAE et avec mon métier d’origine. Une fois, j’avais essayé, dans l’un d’entre eux, d’introduire un épisode un peu statistique qui se passait à Bercy. J’ai vite renoncé. Même au sein d’une anecdote romancée et épicée (il y avait DSK !), la comptabilité nationale, c’est trop austère dans un roman.

Au total, c’est donc une deuxième vie. Chacun devrait avoir le droit d’avoir plusieurs vies. Qu’on peut d’ailleurs mener en parallèle, l’une n’empêchant pas l’autre. Je suis par exemple encore président de l’Association française de Comptabilité Nationale.

À quels types de littérature appartiennent tes romans ?

Ce sont des romans historiques. Comme je pense que c’est le cas pour beaucoup de prétendants auteurs, j’avais, pour mon premier roman, l’idée d’un polar. Mais, aujourd’hui, avec le recul de neuf volumes, je m’aperçois que ce qui structure profondément mes ouvrages c’est l’Histoire, avec un grand H.

Mon premier roman, au-delà de son côté policier, se passe ainsi pendant « la guerre des haies », cette bataille de deux mois en plein Cotentin, moins connue que le débarquement de juin 1944 mais bien plus meurtrière. Ma première trilogie, une saga familiale, couvre tous les grands évènements du vingtième siècle, depuis la première guerre mondiale jusqu’à Mai 68 en passant par la crise de 29 et la seconde guerre mondiale. Dans mon septième roman, on se retrouve en Argentine à la fin du dix-neuvième siècle, au moment de la « campagne du désert », quand une tribu amérindienne, les Mapuches, est massacrée. Dans mon huitième, on est plongé dans l’arsenal de Cherbourg, au début des années soixante, en pleine crise de Cuba. Dans mon neuvième, celui qui vient de paraître, on fait un saut de deux siècles en arrière, au paroxysme de la Révolution.

Mes romans sont faciles à lire et sont conçus pour être des « page turners » mais je suis convaincu que les lecteurs apprennent aussi pas mal de choses. La phrase qui revient d’ailleurs souvent chez la plupart d’entre eux est : « c’est très documenté ». J’espère qu’ils pensent aussi : « et bien romancé en plus ! ».

Quelles sont tes sources d’inspiration et quelle est ton intention d’auteur ?

Outre l’Histoire, ma deuxième source d’inspiration est ma région de cœur, le Cotentin. J’y suis classé « écrivain régional » et j’en suis très fier. Toutes mes histoires sont enracinées dans la presqu’île, bien que je n’en sois pas originaire. Certains Manchots[1] auraient d’ailleurs gentiment tendance à me le reprocher. Je leur réponds hardiment que c’est mon pays d’adoption… J’y possède une maison depuis vingt-deux ans, je commence à bien le connaître et je conseille chaudement à tous ceux qui ne l’ont pas encore visité de le faire. Le titre de mes romans y fait souvent référence et la trame de mes récits provient de véridiques histoires locales que me racontent les gens que je croise dans les salons du livre.

Ma trilogie, Les dunes du Cotentin, s’appuie ainsi sur le destin hors du commun d’une famille de la côte ouest. Mon dernier roman, Le loup du Cotentin, se passe même dans mon village. Cet ancrage me permet d’ajouter un riche contexte géographique à mes récits historiques. Les dizaines de kilomètres de plages sauvages, les falaises de la Hague battues par les vents, le bocage si tranquille du Sud Manche ou la sombre lande des marais du centre du département forment un magnifique décor naturel.

Que dire de mon intention d’auteur ? À un journaliste qui voulait relier un peu artificiellement un épisode historique de la « campagne du désert » à un fait actuel, j’ai répondu que je ne fais pas des romans à message. Je me contente de raconter une histoire. Quand mes enfants étaient très jeunes, je leur inventais une histoire en rentrant du travail. Dans mes romans, je raconte des histoires aux adultes.

Comment as-tu procédé pour être publié ?

Ecrire un roman est une chose, être publié par un éditeur est beaucoup plus difficile. C’est un lieu commun et j’en ai fait l’expérience comme beaucoup d’autres. Après avoir vainement sollicité les grandes maisons, j’ai eu la chance de tomber sur une très sympathique éditrice locale. Il faut être humble en littérature. En huit romans, elle a vendu environ six mille livres (et j’ai perdu plus d’argent que je n’en ai gagné…). Ce n’est rien par rapport aux « best-sellers » qui se vendent à des dizaines sinon des centaines de milliers d’exemplaires. Mais, pour moi, c’est déjà formidable car je vis comme un honneur, presque un privilège, le fait que quelqu’un se plonge dans une histoire que j’ai inventée ! Et que dire du bonheur de rencontrer un lecteur qui me demande instamment quand sort mon prochain. Et quelle fierté que l’un d’entre eux ait été traduit en espagnol par un éditeur argentin !

Soit dit en passant, le nombre d’exemplaires vendus dépend, bien sûr, de la qualité intrinsèque du roman mais surtout de la puissance de frappe de l’éditeur. Or, mon éditrice est on ne peut plus modeste. Elle ne diffuse que dans les librairies du département de la Manche et en ligne sur son propre site ! Je me plais à penser que si mes livres étaient diffusés dans toute la France, j’aurais plus de lecteurs.

Quels enseignements tires-tu de ton expérience d’auteur publié ?

La première chose est qu’il ne faut pas écrire pour soi mais pour les autres. Sinon, il ne faut pas écrire un roman mais un journal intime. Peut-être que les très grands écrivains peuvent écrire sans penser à leurs lecteurs, mais, pour d’humbles scribouilleurs comme moi, il faut écrire en essayant de faire en sorte que quand le lecteur arrive à la fin d’un chapitre, il ait envie de lire le suivant ! Donc, il faut un récit qui tienne la corde. Ainsi, je fais des romans qu’on peut qualifier d’« historiques » mais il y a toujours un fil rouge dont le but est de maintenir le lecteur en haleine.

La deuxième chose est d’avoir de la ténacité. Écrire, c’est du travail. Souvent, on me demande quand j’écris : le jour ? la nuit ? combien ? Je n’écris pas plus de deux heures par jour, mais régulièrement. Et ce n’est pas toujours de gaieté de cœur. Mais je m’y astreins.

La troisième chose est de ne pas avoir la grosse tête. Évidemment, tout romancier rêve (tout en, hypocritement, le critiquant) d’être autant vendu que Guillaume Musso. Mais, honnêtement, c’est une illusion. Car pour vendre beaucoup (sans parler de gagner de l’argent…), il faut être promu par un grosse maison d’édition. Et là, il y a un mur que seuls quelques rares privilégiés arrivent à franchir.

La quatrième chose peut paraître un détail mais a son importance quand on ne part de rien, comme moi. Rentrez dans une librairie et regardez autour de vous. Il y a des centaines de romans écrits par toutes sortes de gens. Quand vous êtes un auteur inconnu, demandez-vous humblement pourquoi un client s’intéresserait à votre ouvrage sachant que votre nom lui est totalement étranger. Il faut qu’il ait une « accroche ». Pour ma part, j’ai choisi l’accroche régionale. Un titre et une couverture qui attirent un lecteur du coin en espérant qu’il aimera et que le bouche à oreille amènera des lecteurs d’autres origines à le lire. J’ai beaucoup de chance car il se trouve que mes romans sont illustrés par les magnifiques aquarelles originales d’Élisabeth, mon épouse. On peut les voir sur le site : www.francoiselisabeth.fr

François et Elisabeth Lequiller

Pour finir, peux-tu nous dire quelques mots de ton dernier roman ? Et du prochain s’il est déjà en préparation ?

On est, en septembre 1792, en pleine Révolution, dans un petit hameau du Cotentin. Une adolescente est violée et étranglée. Un jeune et fringant officier de police de la ville voisine de Coutances se jure de la venger. C’est le fil rouge dont je parlais plus haut. Son enquête va se heurter aux divisions politiques exacerbées entre les « ci-devants », les « sans-culottes » et les sages paysans et artisans provinciaux, républicains modérés. Chacun de ces trois camps est personnifié par une figure haute en couleur : le camp contre-révolutionnaire par une fascinante égérie, prête à tout pour remettre la monarchie sur le trône ; le camp des radicaux, par un Danton local au petit pied qui profite de son pouvoir pour assouvir des désirs inavouables ; et le camp des modérés par une jeune mercière de Coutances, amoureuse et décidée à sauver son amant des griffes des sans-culottes régionaux. Ainsi, cette enquête est le fil conducteur d’une plongée vivide et personnifiée dans cette période extraordinaire qui a inspiré nombre de romanciers.

Pour moi, l’écriture de ce neuvième roman a été un défi : celui de comprendre cette complexité historique tout en la situant, non pas à Paris, mais dans un endroit reculé de la province. La Révolution vue par les paysans ! J’ai dit plus haut que ce sont des rencontres locales qui m’inspirent. Cela a été le cas pour Le loup du Cotentin. En effet, c’est à l’occasion de la lecture fortuite d’une brochure écrite par l’ancien maire de mon village que j’ai appris qu’un petit Fouquier-Tinville local avait sévi dans le hameau dans lequel j’ai ma maison !

Depuis plus d’un an, je me suis donc plongé dans la Révolution ! Je n’ai lu que sur elle. J’ai visité les musées qui lui sont consacrés. Et j’ai appris énormément de choses, notamment sur les évènements locaux, comme le siège de Granville par les Vendéens. J’espère qu’il en sera de même pour mes futurs lecteurs.

Quant à moi, je commence déjà mon prochain… Eh oui ! C’est un deuxième métier… Cette fois-ci, chose extraordinaire, cela ne se passera pas en Normandie, mais très loin, au Liban. Je puise dans mes souvenirs personnels de gamin pour raconter une histoire qui va plonger le lecteur au sein d’une communauté au destin tragique, les Arméniens.


[1] Les journalistes d’aujourd’hui préfèrent, pour être politiquement correct, « Manchois », mais le vrai terme historique pour les habitants du département de la Manche est « Manchot ». 

François Lequiller