Cet article a été initialement publié sur le site de Xerfi, le 22 septembre dernier.
La crise de la Covid-19 donne du fil Ă retordre aux statisticiens et aux Ă©conomistes. Non seulement les modĂšles de prĂ©vision sont caducs, mais de gros doutes sont apparus sur la rĂ©elle fiabilitĂ© des indicateurs, mĂȘme les plus robustes.
Des doutes sur le niveau dâinflation et la remontĂ©e de la consommation
Prenons le cas de lâinflation. Pour mesurer la hausse des prix, lâInsee suit lâĂ©volution de lâindice des prix Ă la consommation, un indice basĂ© sur l’observation d’un panier fixe de biens et services, actualisĂ© chaque annĂ©e. En dâautres termes, la structure du panier est stable Ă court terme. Lâalimentaire compte ainsi pour 16,1%, les produits manufacturĂ©s pour un peu moins de 25% et les services pour 49% environ, le solde concerne lâĂ©nergie et le tabac. Pendant le confinement, cette structure a complĂ©tement volĂ© en Ă©clats du fait des fermetures administratives et on est loin du retour Ă la normale avec des mesures sanitaires et des effets de sous-activitĂ© qui se prolongent. DifficultĂ© supplĂ©mentaire : aux modifications de la structure de la consommation sâajoute celle des lieux et modes dâachats. La mesure de lâinflation est donc faussĂ©e.
Autre champ dâincertitudes, lâĂ©volution de la consommation des mĂ©nages. Pour rendre compte le plus rapidement possible de son Ă©volution, lâInsee exploite dĂ©sormais les donnĂ©es sur les transactions par carte bancaire et les donnĂ©es de caisse pour complĂ©ter les statistiques traditionnelles de consommation construites Ă partir de ses sources traditionnelles. Sur cette base, la consommation serait revenue en aoĂ»t Ă 2 points seulement de son niveau normal, avec des Ă©carts importants entre la consommation de biens, supĂ©rieure Ă son niveau dâavant-crise, et des services, toujours trĂšs en deçà . Le hic, câest que toute modification de lâusage de la carte introduit un biais. Son recours plus intense en raison des conditions sanitaires et du relĂšvement du plafond sans contact fausse les vraies tendances. LâInsee lâa dĂ©jĂ constatĂ©. Dans lâhĂ©bergement, la restauration, lâĂ©quipement du foyer, le ratio du montant des transactions par carte bancaire sur le chiffre dâaffaires du secteur a augmentĂ© entre janvier-fĂ©vrier et juin donnant lâillusion dâune remontĂ©e plus vive quâelle ne lâĂ©tait. Les chiffres ont depuis Ă©tĂ© redressĂ©s mais a posteriori et laissent planer un doute sur lâĂ©tat de santĂ© actuelle de la consommation.
Un baromĂštre de lâemploi difficile Ă dĂ©chiffrer
CĂŽtĂ© marchĂ© du travail, le baromĂštre de lâemploi est difficile Ă dĂ©chiffrer. PrĂšs de 715 000 emplois ont Ă©tĂ© supprimĂ©s au 1er semestre, des pertes concentrĂ©es sur les CDD courts saisonniers et lâemploi intĂ©rimaire dont les effectifs ont Ă©tĂ© divisĂ©s par deux au plus fort de la crise. Depuis mai, la remontĂ©e est spectaculaire, donnant lâimpression dâune reprise en V. Les agences dâintĂ©rim estiment ĂȘtre revenues Ă 85% de leur niveau normal dâactivitĂ©. Mais des chiffres nous parlent juste ici de la rĂ©ouverture des restaurants, des magasins, du redĂ©marrage des chantiers. Ils nous apprennent rien ou trĂšs peu sur la trame de fond des CDI. Une trame bien difficile Ă dĂ©terminer compte tenu des mesures provisoires prises pour sauvegarde lâemploi, notamment de chĂŽmage partiel. Et les chiffres du chĂŽmage ne sont dâaucune aide. Magie de la statistique, ils ont baissĂ© au moment mĂȘme oĂč la France entrait dans sa pire rĂ©cession et dĂ©truisait en masse des emplois. A 7,1%, il est Ă un niveau plancher depuis 1982 ! Et pour cause, il faut ĂȘtre en recherche active pour ĂȘtre considĂ©rĂ© comme chĂŽmeur⊠difficile en pĂ©riode de confinement. Et lâon risque dâĂȘtre dans cette situation paradoxale : aprĂšs un 1er semestre marquĂ© par le dĂ©crochage de lâemploi et une baisse du taux chĂŽmage suivra un rebond de la croissance, le maintien de lâemploi et une remontĂ©e violente du taux de chĂŽmage.
Fonction publique : un traitement trÚs différent selon les pays
Et puis, il y a la question du traitement de la fonction publique qui reprĂ©sente en temps normal plus de 20% du PIB. Certes, les salaires ont bien Ă©tĂ© versĂ©s. Mais quâen est-il vraiment de la production rĂ©elle des administrations ? En France, on a fait une estimation trĂšs approximative de la sous-activitĂ©. Mais dans beaucoup de pays, comme en Allemagne, on a fait comme si de rien nâĂ©tait. Difficile de calculer, difficile de comparer malgrĂ© une Ă©vidente perte dâactivitĂ© !
Et la liste des problĂšmes statistiques est bien trop longue pour tenter ici dâĂȘtre exhaustif. Câest donc la grande pagaille dans lâappareil statistique. Difficile dâanalyser, difficile de prĂ©voir dans ces conditions. Les modĂšles Ă©conomĂ©triques volent en Ă©clats. Une situation que les Anglo-saxons appellent lâeffet GIGO : « garbage in, garbage out », que nous traduirons avec toute lâindulgence quâimposent les circonstances : des dĂ©fauts de donnĂ©es Ă lâentrĂ©e, des erreurs Ă la sortie.
- La grande pagaille des statistiques de la crise - 28 septembre 2020
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