En novembre 2022, la Commission avait publié son projet de réforme des règles budgétaires européennes[1]. Appuyé sur les débats académiques, ce projet proposait de remplacer les règles existantes par une seule, différenciée selon les pays : chaque pays devra contrôler la trajectoire de ses dépenses publiques de façon à faire baisser le niveau de sa dette publique selon une trajectoire négociée avec la Commission. Ce projet s’est heurté à l’opposition de l’Allemagne et d’une coalition des pays dits « frugaux » (menée par l’Autriche et les Pays-Bas et comprenant aussi la Finlande, la Slovaquie, les pays baltes, le Danemark, la Suède, la République tchèque), qui craignaient que des négociations bilatérales entre un État membre (EM) et la Commission, aboutissent à des efforts budgétaires insuffisants et que l‘objectif de dette publique inférieure à 60% du PIB soit oublié. Ils ont réclamé que la surveillance soit multilatérale et que le principe d’un égal traitement de tous les EM soit réaffirmé. Ils ont obtenu que des garde-fous numériques soient réinstaurés. Le 20 décembre 2023, le Conseil européen a approuvé une nouvelle version, qui réduit les pouvoirs de la Commission au profit des EM et du Conseil. Le Parlement européen a fait ajouter des clauses accentuant la prise en compte des objectifs environnementaux et sociaux, mais sans modifier l’équilibre d’ensemble du projet. Le Conseil et le Parlement sont arrivé à un accord le 10 février 2024[2] (CUE, 2024). Le risque est grand que dès 2024, les règles réformées imposent des politiques budgétaires restrictives).

En raison de la pandémie, puis de l’agression russe contre l’Ukraine, les règles budgétaires ont été suspendues pendant quatre ans (de 2020 à 2023) ; leur réforme a été reportée à 2024. Les EM ont accumulé des déficits et des dettes publics importants ; en 2023, 8 des 20 pays de la zone euro ont des déficits publics dépassant 3% du PIB ; 7 seulement ont un déficit structurel inférieur à 1% du PIB ; 12 ont des dettes dépassant 60% du PIB, dont 6 les 100%. L’expérience des années 2011-13 montre qu’il serait contre-productif de leur demander de rentrer rapidement dans les clous. Par ailleurs, la transition écologique et numérique, la réindustrialisation rendent nécessaire une forte hausse des dépenses publiques, en particulier des investissements. Le vieillissement de la population et les ambitions sociales de l’UE rendent souhaitable une hausse des dépenses sociales.

Des objectifs contradictoires

L’accord se donne des objectifs ambitieux et contradictoires. Il contient des éléments précis et contraignants sur les politiques budgétaires des EM et demande plus vaguement des engagements sur des investissements et réformes, dont le contenu n’est pas précisé, mais qui devraient à la fois soutenir la croissance et satisfaire à des objectifs sociaux et environnementaux. Il prétend à la fois réduire les ratios de dette et être favorable à la croissance. Il autorise les EM à laisser jouer les stabilisateurs automatiques, mais leur interdit les politiques discrétionnaires. Il reconnait que le montant des investissements publics pour la transition écologique et numérique doit être élevé, mais celui-ci ne permet pas un allègement des contraintes budgétaires numériques.

Le projet maintient la limite de 3% du PIB pour le déficit public et l’objectif de 60% du PIB pour la dette publique, la Commission le justifiant par l’argument qu’ils figurent dans le Traité de Maastricht et qu’ils ne peuvent pas être mis en cause sans une réforme constitutionnelle (CE, 2022).

Une trajectoire technique ?  

La Commission ferait, pour chaque EM, une analyse de la soutenabilité de la dette publique (Debt sustainability analysis, DSA)[3]. En effectuant une projection de la dette publique sur une période d’ajustement couverte par un programme de moyen terme (4 ou 7 ans), puis en la prolongeant, à fiscalité inchangée, mais en tenant compte des hausses de dépenses nettes liées au vieillissement de la population, la Commission vérifierait que la dette publique de l’EM diminue et converge vers un niveau prudent et que le déficit public passera et sera maintenu en dessous de 3% du PIB. Autour de la trajectoire de référence, la Commission effectuerait des tests de résistance (stress tests) et des analyses stochastiques pour vérifier la plausibilité du maintien du déficit public en dessous du seuil de 3% et de la baisse du ratio de dette[4]. « A la fin de la période de référence, la dette devra être sur une trajectoire descendante ou resté à un niveau prudent, même dans le cas de scénario défavorable » (CUE, 2024).  La Commission définira ainsi une trajectoire de référence de la dette publique qui sera ensuite traduite en trajectoire de dépenses publiques nettes. Cette trajectoire ne serait contraignante que pour les EM dont la dette publique est supérieure à 60% du PIB ou le déficit public supérieur à 3% du PIB. Elle serait fournie aux autres EM à titre d’information.

En fait, sous le nom de soutenabilité de la dette, la Commission désigne une exigence injustifiée de baisse continuelle de la dette vers les 60% du PIB. Elle ne tient pas compte des facteurs économiques qui justifient une hausse du déficit public ou de la dette publique. Le niveau des dettes publiques a augmenté dans la plupart des pays développés. A l’avenir, un niveau de dette publique plus élevé peut être nécessaire pour financer la transition écologique ; il peut être soutenable si l’épargne des ménages reste élevée. En cas de choc important (comme en 2020), les dettes publiques augmentent, mais elles restent soutenables grâce au soutien de la BCE.

Ces projections reposent toujours sur une estimation de la croissance potentielle de l’EM considéré. Celle-ci reste contestable et arbitraire. Supposons que la croissance potentielle en valeur soit estimée être de 3% l’an. Avec une dette initiale de 100 % du PIB, la baisse du ratio de dette demande de faire passer le déficit en dessous de 3%, mais le solde primaire peut être à l’équilibre si le taux d’intérêt est durablement égal au taux de croissance en valeur, peut être déficitaire (excédentaire) de 2 points de PIB si le taux d’intérêt est inférieur (supérieur) de 2 points au taux de croissance. Faut-il imposer un objectif d’un excédent budgétaire primaire de 2 points de PIB pour se prémunir du cas le moins favorable ? La stabilité à 100 % du ratio de dette sera-t-elle jugée soutenable ou les instances européennes imposeront-elles toujours un objectif de baisse vers les 60% ? Ce qui aboutirait à réclamer un excédent primaire d’au moins 2 points de PIB pendant 20 ans (et même de 3 pour assurer une marge de sécurité). Faut-il pratiquer aujourd’hui une politique restrictive pour garantir la baisse du ratio de dette dans tous les risques envisagés dans les stress tests, sans tenir compte de la situation présente du pays ? La logique du processus aboutit obligatoirement à préconiser des politiques restrictives.

Un Plan budgétaire et structurel ?

Après un débat technique avec la Commission, chaque EM devrait présenter un Plan budgétaire et structurel de moyen terme, à horizon de quatre ans, regroupant les actuels programmes de stabilité et programmes nationaux de réforme. Pour les pays dont la dette dépasse 60% du PIB ou le déficit les 3%, ce Plan devra garantir que le ratio de dette suive la trajectoire d’ajustement agréée avec la Commission, une trajectoire descendante, continue et plausible vers un niveau prudent ; que le déficit public passera ou sera maintenu sous les 3% du PIB (et éventuellement que les déséquilibres macroéconomiques seront corrigés), d’abord sur une période de 4 ans avec les politiques envisagées, période prolongée sous l’hypothèse de politiques inchangées. Les efforts budgétaires devront être linéaires (ne pas être reportés en fin de période). Le Plan sera décliné sous la forme d’une trajectoire des dépenses publiques nettes.

Selon ses partisans, la réforme permettrait un traitement différencié des EM ; la contrainte de réduction de la dette est maintenue, mais elle est crédibilisée en étant ajustée à la position de départ du pays. Ses opposants keynésiens estiment que cette contrainte n’a guère de fondements économiques, qu’elle ne tient pas compte de la situation macroéconomique. Ses opposants néolibéraux craignaient que l’objectif de convergence de la dette vers 60% du PIB soit oublié. En fait, le dispositif était ambigu ; faute d’un chiffrage précis de l’objectif de dette publique et de la vitesse de convergence, il pouvait être rigoureux ou laxiste. Aussi, les pays frugaux l’ont fait évoluer vers une interprétation rigoureuse (voir infra).

Il est précisé que « le Plan budgétaire et structurel à moyen terme devra définir la trajectoire budgétaire ainsi que les investissements publics prioritaires et les réformes qui, ensemble, garantissent une réduction soutenue et progressive de la dette et une croissance durable et inclusive ». Le texte n’explicite pas le contenu de ces réformes. Il oublie que l’objectif essentiel devrait être la transition écologique et non la croissance, de sorte que les réformes nécessaires devraient avoir pour but de lutter contre le changement climatique, au prix éventuellement d’une certaine baisse de la croissance.

Le Parlement européen a fait rajouter : « Les Plans devront également prévoir des réformes et des investissements plus larges, notamment en ce qui concerne les priorités communes de l’Union, à savoir la transition verte, y compris le Pacte Vert européen et la transition vers la neutralité climatique d’ici à 2050, la loi européenne sur le climat et sa traduction au niveau national par les plans nationaux pour l’énergie et le climat, la transition numérique, y compris le programme politique de la décennie numérique à l’horizon 2030, la résilience sociale et économique et la mise en œuvre du Pilier Européen des Droits Sociaux, y compris les objectifs en matière d’emploi, de compétences et de réduction de la pauvreté d’ici à 2030, la sécurité énergétique et le renforcement des capacités de défense ».  On peut se féliciter de voir les objectifs européens, y compris les objectifs sociaux, ainsi intégrés à l’examen des règles budgétaires ; on peut aussi déplorer de voir s’élargir le champ de cette procédure technocratique et peu soucieuse des principes de subsidiarité.

La Commission serait plus indulgente pour les pays qui se plient à ses consignes : « Afin d’assurer une réduction plus progressive de la dette, la période d’ajustement peut être prolongée de trois ans au maximum si l’État membre étaye son Plan budgétaire et structurel à moyen terme par un ensemble de réformes et d’investissements qui renforcent la croissance et la résilience, soutiennent la viabilité budgétaire et répondent aux priorités communes de l’Union, tiennent compte des recommandations adressées à l’État membre dans le cadre du semestre européen, y compris, le cas échéant, des recommandations émises dans le cadre de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques ».

Un seul indicateur ?

Tenant compte du débat académique, les divers indicateurs seraient remplacés par un seul : chaque pays devra contrôler la trajectoire de ses « dépenses publiques primaires nettes financées au niveau national[5], c’est-à-dire les dépenses, déductions faites des mesures structurelles en matière de recettes[6], des dépenses d’intérêt et des dépenses conjoncturelles de chômage ». L’indicateur semble exprimé en termes de dépenses publiques (et non de solde budgétaire), pour inciter les pays à réduire leur dette par la baisse des dépenses plutôt que par la hausse des impôts. Le nouvel indicateur aurait le mérite d’éviter de faire jouer un rôle direct à l’estimation de la production potentielle et du solde structurel, des variables construites et difficiles à évaluer. Son évolution serait contrôlée par le gouvernement[7]. Les EM pourraient laisser jouer les stabilisateurs automatiques du côté des recettes et des prestations chômage. Toutefois, ils ne pourraient pas entreprendre des politiques discrétionnaires. La crise sanitaire a pourtant montré que les dépenses conjoncturelles nécessaires allaient bien au-delà des dépenses directes de prestations chômage.

Le texte précise : « Le Conseil, sur recommandation de la Commission, adoptera une recommandation fixant la trajectoire des dépenses nettes de l’État membre concerné. Le Conseil, sur recommandation de la Commission, pourra demander à l’État membre de présenter un Plan révisé.  La Commission surveillera la mise en œuvre du Plan structurel budgétaire national à moyen terme et, en particulier, l’évolution des dépenses nettes Le Conseil est censé, en règle générale, suivre les recommandations et propositions de la Commission ou expliquer publiquement sa position ». La Commission aurait ainsi un contrôle direct de la politique budgétaire des pays. Pourtant, selon les Traités européens, chaque pays doit rester maître de sa politique budgétaire, même si une certaine coordination est nécessaire. Pour la France, le principe constitutionnel d’annuité interdit un engagement contraignant sur quatre ans.

Un nouveau gouvernement pourra soumettre un Plan révisé couvrant une nouvelle période de 4 ou 5 ans en fonction de la durée normale de la législature nationale. Mais, le texte précise : « Compte tenu de l’ajustement passé de l’État membre concerné ou de son absence, la nouvelle trajectoire technique ne permettra pas de reporter l’effort d’ajustement budgétaire et ne conduira pas, en règle générale, à un effort d’ajustement budgétaire moindre. »

Les garde-fous numériques

L’Allemagne et les pays frugaux ont obtenu des garde-fous numériques (CUE, 2024).

  • Les EM dont la dette publique est supérieure à 90% du PIB (comprise entre 60 et 90%) devront la réduire d’au moins 1 point de PIB par an (0,5 point par an), en moyenne sur la période d’ajustement.
  • Les pays dont le déficit est supérieur à 3% du PIB devront faire baisser leur déficit structurel de 0,5 point par an. Seules les dépenses de défense permettraient une certaine indulgence. Cependant, de 2024 à 2027, c’est la baisse du déficit structurel primaire qui sera considérée, ce qui devrait permettre à la France d’être dans les clous.
  • Les EM devront se fixer un objectif de déficit structurel inférieur à 1,5% du PIB ; ils devront réduire leur déficit structurel primaire d’au moins 0,4 point de PIB par an pour s’en approcher (0,25 point pour les pays bénéficiant d’une période d’ajustement de 7 ans).
  • Un compte de contrôle serait établi pour chaque EM cumulant les écarts entre les dépenses nettes effectives et celles prévues dans la trajectoire budgétaire ; une PDE (procédure de déficit excessif) sera déclenchée si l’écart dépasse 0,3 % du PIB une année ou 0,6 % en cumulé.

Ces garde-fous détruisent la logique de la réforme initiale, telle que proposée par la Commission. Ils réintroduisent la notion de déficit structurel et de variation du déficit structurel, dont le calcul est incertain. La contrainte porte parfois sur le déficit structurel primaire, parfois sur le déficit structurel, et non plus sur les dépenses primaires nettes, ce qui complique encore le dispositif.

Un pays dont la dette publique est de 100% du PIB et la croissance nominale de l’ordre de 3% devra avoir un déficit inférieur à 2% du PIB pour réduire sa dette d’un point de PIB par an. En supposant que le taux d’intérêt moyen sur la dette soit égal au taux de croissance et que la hausse éventuelle des dépenses sociales soit financée par la hausse des cotisations, la baisse du ratio de dette au rythme de 1 point de PIB par an nécessite un solde budgétaire primaire excédentaire de 1 point de PIB. L’effort ex ante à réaliser par rapport à la situation de 2023 serait de 4 points de PIB pour la France, 3,8 points de PIB pour la Belgique, de 3,3 points pour l’Italie, de 3,1 points pour l’Espagne, de 1,9 point pour l’Allemagne.

L’objectif de déficit structurel de 1,5% du PIB est certes plus satisfaisant que le précédent objectif de 0,5%, mais il impliquerait à terme une dette publique de 50% du PIB pour un pays dont la croissance est de 3% l’an.  Rien ne garantit que l’équilibre de moyen terme est compatible avec un déficit structurel de 1,5% du PIB (donc un excédent primaire de 1,5% si le taux d’intérêt sur la dette est de 3%) et une dette de 50% du PIB.

Finalement, les EM perdraient le contrôle de leur politique budgétaire et seraient contraints de pratiquer pendant longtemps, automatiquement de politiques restrictives.

Une surveillance renforcée.

La surveillance serait renforcée par rapport à la situation actuelle. Les États membres devraient présenter des rapports d’étape annuels. La PDE ne serait pas changée pour la règle des 3 %. Elle serait renforcée pour les pays qui s’éloigneraient des trajectoires projetées de la dette ou des dépenses publiques nettes, qui n’entreprendraient pas les réformes ou les investissements annoncés. Il est précisé que la Commission tiendra compte « d) des progrès réalisés dans la mise en œuvre de réformes et d’investissements, y compris, en particulier, de politiques destinées à prévenir et à corriger les déséquilibres macroéconomiques et de politiques visant à mettre en œuvre la stratégie commune de l’Union pour la croissance et l’emploi ; e) de l’augmentation des investissements publics dans le domaine de la défense » (CUE, 2024).

En cas de PDE non suivie d’effet, le montant de l’amende serait de 0,05% du PIB, tous les 6 mois, cette baisse devant assurer la crédibilité de la sanction[8]. L’amende ne sera plus remboursée au pays fautif, mais entrera dans les ressources communautaires.

Des clauses dérogatoires permettant de s’écarter du Plan budgétaire et structurel de moyen terme en raison des circonstances exceptionnelles (soit globales, soit nationales), avec l’autorisation du Conseil, sont maintenues, mais ces écarts « ne doivent pas compromettre la soutenabilité budgétaire à moyen terme ».  C’est une formulation vague comme la montré la hausse des ratios de dette publique de 2019 à 2022.

Le rôle des Comités Budgétaires Nationaux serait renforcé ; ils seront chargés d’apprécier les prévisions macroéconomiques et budgétaires du gouvernement, d’évaluer la soutenabilité de la dette, d’évaluer l’impact des politiques publiques sur la viabilité de la dette et sur la croissance durable et inclusive, de contrôler leur conformité au cadre budgétaire de l’Union (CUE, 2024).  Leur avis serait joint à l’envoi à la Commission du Plan budgétaire et structurel national de moyen terme. Par contre, il n’est pas prévu que le CBN puisse mettre en cause la pertinence économique de la politique réclamée par l’UE. Mais quelle est la légitimité des CBN, en France, par exemple, où le Haut Conseil des finances publiques est entre les mains de la Cour des Comptes ? La politique économique est-elle un enjeu démocratique ou une affaire de magistrats ou d’experts désignés ?

Le parlement national, les partenaires sociaux, les collectivités locales et diverses organisations devraient être consultés lors de l’élaboration du Plan. Ainsi, selon la Commission, les règles européennes devraient bénéficier d’une plus forte appropriation nationale. C’est peu probable, compte-tenu de leur complexité et de leur manque de pertinence économique : la baisse du ratio de dette publique n’est pas considérée comme une priorité dans la plupart des EM

Ni la Commission, ni le Conseil n’ont voulu ouvrir la boîte de Pandore d’un traitement spécifique des investissements publics. De nombreux économistes avaient plaidé pour que les investissements publics validés par la Commission comme s’inscrivant dans la transition écologique soient ôtés des contraintes de déficit publics. Certes, la Commission souhaite que les EM développent leurs investissements impulsant la croissance, s’inscrivant dans la transition écologique et numérique ou renforçant les capacités de défense, mais elle refuse qu’ils permettent explicitement d’alléger les contraintes numériques.  Elle refuse de prendre en compte l’urgence pour l’Europe de la transition écologique et de politiques industrielles vigoureuses. Toutefois, ces investissements seraient pris en compte dans l’évaluation des Plans budgétaires et structurelles et dans la mise en place des PDE.

La surveillance des déséquilibres macroéconomiques serait renforcée. Elle tiendrait davantage compte de la situation globale de l’UE. Certains pays pourraient être mis en cause si leurs déséquilibres nuisent à l’ensemble de la zone euro. Des variables liées à la transition écologique ou énergétique seraient prises en compte. Les pays soumis à une PDM (Procédure de déséquilibre macroéconomique) devront indiquer dans leur Plan de moyen terme comment ils comptent la corriger. Mais, il ne semble pas que cette surveillance devrait amener à préconiser des politiques plus expansionnistes aux pays trop excédentaires, dont les excédents publics nuisent aux autres EM de la zone. On voit mal comment les négociations bilatérales entre la Commission et chacun des EM prendrait en compte la situation globale de la zone.

La situation française

La projection figurant dans le Programme de stabilité français 2023-2027 ne permet pas une baisse sensible du ratio de dette publique avant 2027. La France, qui dépasse le plafond de 3% de déficit public, serait soumise à une PDE dès 2025. Cependant, le Programme comporte déjà une baisse importante du déficit structurel primaire, 0,525 point de PIB, en moyenne par an, de sorte que, si le programme est réalisé, le solde structurel primaire serait en équilibre en 2027. L’effort budgétaire nécessaire aurait été fait.  Mais, un tel effort est-il crédible ? est-il compatible avec la croissance prévue, 1,7% l’an ?

Le ratio de dette publique ne diminuerait que de 1,8 point de PIB sur la période 2023-2027, au lieu des 4 que demanderaient les nouvelles règles budgétaires. Avec l’hypothèse d’un multiplicateur de 0,75, un effort budgétaire supplémentaire de 0,73 point de PIB chaque année serait nécessaire pour satisfaire cette exigence. Il induirait 0,55% de croissance annuelle en moins.

Pour conclure

La réforme des règles budgétaires se conclut par un échec. Le dispositif proposé initialement permettait à chaque pays de négocier sa politique budgétaire avec la Commission. Cependant, Il a été compliqué par le projet de la Commission de renforcer sa position en passant par un instrument technique contestable, l’analyse de soutenabilité de la dette. La Commission restait dans la problématique de contrôle technocratique des politiques budgétaires avec l’objectif arbitraire de faire baisser le niveau des dettes publiques et l’objectif politique d’imposer des réformes à des EM réticents. Son projet n’assurait pas une coordination des politiques économiques des EM de la zone euro tenant compte de la situation économique de chaque pays et de l’ensemble de la zone ; il ne permettait pas les efforts d’investissement public nécessaires pour la transition écologique. L’Allemagne et les pays frugaux ont refusé de faire confiance à la Commission. Ils ont imposé le retour de règles numériques portant sur la baisse du ratio de dette, le solde effectif, l’effort budgétaire de sorte qu’au final le système est encore plus compliqué et rigide.  Appliqué strictement, il interdirait toute marge de manœuvre aux politiques budgétaires.  « Beaucoup de bruit pour rien ». La mise en œuvre de ces dispositifs se traduira par des négociations opaques entre les technocraties européennes et nationales qui convergeront sur la nécessité d’imposer aux peuples des réformes structurelles néolibérales et la baisse des dépenses sociales. Le risque est grand que dès 2025, les règles réformées imposent des politiques budgétaires restrictives dans l’UE, au détriment de l’activité et d’objectifs plus importants (transition écologique, réindustrialisation, droits sociaux).

 

Mots-clés : Règle budgétaire – Europe – Investissements publics – Soutenabilité –  Politique budgétaire – UEM

 

*Cet article prolonge :  Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak (2022) : « Règles budgétaires dans la zone euro : l’état du débat », https://variances.eu/?p=6356 


[1] Commission européenne (2022) : « Communication sur les orientations pour une réforme du cadre de gouvernance économique de l’UE », 9 novembre.

[2] Council of the European Union (2024): Proposal for a relation of the European Parliament and of the Council on the effective coordination of economic policies and multilateral budgetary surveillance and repealing Council Regulation.

[3] La méthode est définie dans le Debt Sustainability Monitor (European Commission, 2023). Elle repose sur des hypothèses contestables : un certain taux de croissance potentielle, un écart de production initial qui se résorbe progressivement, une inflation qui converge vers 2%, les taux d’intérêt anticipés par les marchés, des dépenses nettes liées au vieillissement de la population telles qu’annoncées par l’EM avec, innovation heureuse, un multiplicateur budgétaire de 0,75. Ainsi, pour la France, la croissance potentielle ne serait que de 0,5% l’an de 2025 à 2033 (page 188). La méthode pourrait être remise en cause par un comité d’experts, selon CUE (2024).

[4] Augmentation permanente de 0,5 point de PIB du déficit budgétaire, hausse permanente de 1 point du taux d’intérêt, attaque spéculative, variabilité du taux de croissance et du taux d’intérêt.

 [5] Les dépenses cofinancées avec l’UE ou celles financées par l’UE ne sont pas prises en compte, ce qui n’a aucun sens du point de vue économique, mais vise à inciter les pays à communautariser leurs dépenses. Eurostat serait chargé de les mesurer.

[6] Cette notion est ambiguë. L’indexation (la non-indexation) du barème de l’IR est-elle une mesure structurelle ?

[7] Ce n’est pas tout à fait vrai car il existe des dépenses de guichet (santé, prestations familiales). L’indicateur incite à un contrôle par l’État des dépenses des collectivités locales et des organismes de Sécurité sociale.

[8] Dans les règles précédentes, le montant de l’amande était de 0,5% du PIB, remboursable à la fin de la PDE, mais aucun EM n’y a été soumis.

 

Catherine Mathieu & Henri Sterdyniak
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