Le fait que l’inflation ait été trop faible lors de la décennie 2010 a poussé un certain nombre de grandes banques centrales à adopter des politiques monétaires non-conventionnelles : forward guidance, politiques d’achats de titres à grande échelle (Quantitative Easing, QE), taux négatifs, opérations de refinancement des banques à long terme, etc. Cela a eu de grandes conséquences sur les marchés financiers mais aussi sur nos vies de tous les jours.

Mais après avoir été inscrite aux abonnés absents pendant près d’une décennie, l’inflation a fait son grand retour dans les pays développés en 2022 et 2023 et elle est désormais évoquée à tout bout de champ dans l’espace médiatique. Chacun y est confronté et tout le monde en parle. Mais on oublie souvent de rappeler ce qu’est l’inflation au juste et quelles sont ses causes.

Pour cette raison, nous avons essayé avec le livre « Linflation, cest quoi ? »* de donner au plus grand nombre des clefs de lecture pour comprendre le phénomène de l’inflation sous toutes ses formes. La cinquantaine de dessins de l’illustratrice Camille Aubry permettent de rendre le livre encore plus pédagogique.

Inflation : de quoi parle-t-on ?

Le livre s’attèle tout d’abord à expliquer comment sont calculés les taux d’inflation (nous nous focalisons ici sur les prix à la consommation) par les instituts de statistiques et quels peuvent être les problèmes de méthodologie (biens et services non pris en compte, différences de méthodologies d’un pays à l’autre et parfois même entre deux indices de prix d’un même pays). Il est important d’insister sur le fait que les mesures d’inflation sont imparfaites par construction. En outre, nous insistons sur le fait qu’une inflation faible n’est pas forcément contradictoire avec l’existence de prix élevés (très récemment, la contribution de l’énergie à l’inflation européenne a été négative alors que les prix de l’énergie restent très élevés par rapport aux années pré-covid).

Le livre détaille ensuite les trois principales théories des causes de l’inflation : l’inflation par la monnaie, l’inflation par la demande et l’inflation par les coûts. La première indique que l’excès de création monétaire par rapport à la production fait monter les prix. La deuxième indique que lorsque l’activité économique passe au-dessus de son potentiel, elle engendre des tensions sur les prix. Enfin, la troisième indique que la hausse du prix d’inputs nécessaires à la production (typiquement, l’énergie et les salaires) fait monter le niveau général des prix. Dans la réalité, aucune de ces trois théories ne suffit pour expliquer pour expliquer les fluctuations de l’inflation mais celles-ci se complètent bien et trouvent tour à tour de la pertinence en fonction du contexte. Certaines périodes historiques célèbres de hausses ou de baisses des prix peuvent s’expliquer par l’une ou l’autre de ces théories. Dans le cas particulier de la poussée d’inflation de 2022 et 2023, les trois théories jouent chacune un rôle.

Par ailleurs, les phases célèbres d’inflation trop élevée ou trop faible ont souvent débouché sur la création de termes en « flation » : hyperinflation, déflation, désinflation, stagflation, shrinkflation ou encore greedflation. Le livre apporte aussi un éclairage sur ces termes afin de clarifier les choses. L’époque actuelle évoque un peu la « stagflation » des années 1970. La stagflation désigne une phase prolongée d’inflation élevée et de croissance économique déprimée, voire de récession, associée à un chômage important. Cette configuration est atypique car il est peu courant que l’inflation et le chômage soient élevés en même temps. Le terme de stagflation est surtout associé aux années 1970 et au début des années 1980, qui avaient été marquées par les chocs pétroliers de 1973 et 1979. À l’époque, la forte hausse du prix de l’essence avait fait fortement augmenter l’inflation dans les pays développés et avait dans le même temps fortement pénalisé l’activité économique. C’est notamment parce qu’elle a été provoquée par une forte hausse des prix de l’énergie que la poussée d’inflation de 2022 et 2023 a été comparée à la période de stagflation des années 1970. Cependant, il s’agit actuellement d’une forme de stagflation édulcorée puisqu’en dépit de la morosité économique, le chômage n’a pas monté de façon significative. Le fait que le marché du travail ait aussi bien tenu le choc s’explique très vraisemblablement par le vieillissement de la population et les pénuries de main d’œuvre auxquelles il donne naissance.

Lorsque l’inflation est trop faible ou trop élevée, c’est aux banques centrales que revient la tâche d’agir. Il est donc important de rappeler le fonctionnement des banques centrales. Dans le cadre de leur mission de maintien de la stabilité des prix, leur principal levier est le pilotage des taux d’intérêt de court terme qui sont appliqués par les banques, qui ont des conséquences directes pour l’économie et donc pour l’inflation. Mais il leur est arrivé aussi d’employer des politiques « non conventionnelles » dans les années 2010 afin de lutter contre l’inflation trop basse et contre le risque de déflation. Le livre accorde évidemment une attention particulière à la Banque centrale européenne.

L’inflation, directement liée aux autres grandes questions de société

Un livre sur l’inflation ne peut pas faire l’impasse sur l’évolution des prix immobiliers et sur celle des prix des actifs boursiers. Il consacre donc quelques chapitres à ces autres formes d’inflation. En effet, si l’évolution des prix immobiliers n’est pas directement prise en compte dans l’inflation, elle est extrêmement importante pour la population puisque l’achat d’un logement est pour quasiment tout le monde le plus gros achat qui sera effectué au cours d’une vie. Pour cette raison, il est important de passer en revue les facteurs qui jouent sur leur évolution : démographie, revenus des ménages, niveau des taux d’intérêt, incitations fiscales, coûts de construction, disponibilité et coût des terrains.

Enfin, il est important de souligner que l’évolution de l’inflation est intimement liée à de grandes questions de société, comme le changement climatique, la transition énergétique, la mondialisation et les questions de souveraineté économique, les évolutions démographiques, la santé publique, la digitalisation ou encore les phénomènes de starisation.

Prenons le cas de la mondialisation. Que l’on voit celle-ci d’un bon œil ou non, elle est omniprésente car une grande partie des biens que nous consommons est fabriquée soit à l’étranger, soit à partir de composants fabriqués à l’étranger. Les mutations de la mondialisation ont donc des répercussions importantes sur la dynamique des prix. Elle a clairement pesé sur l’inflation à la fin du XXe siècle et jusqu’à la crise du covid en 2020. La mondialisation a souvent été pointée du doigt par les banques centrales pour expliquer la (trop) faible inflation lors des années 2010. En réalité, elle a rendu l’inflation beaucoup moins volatile car elle a joué un rôle d’« absorbeur de chocs » sur les dernières décennies : la main-d’œuvre disponible au niveau mondial est devenue si abondante et les capacités de production si larges que même les périodes de forte augmentation de la demande n’ont pas conduit à des pressions haussières persistantes pour les prix et les salaires. Depuis la crise covid, le lien entre la mondialisation et les prix n’est plus aussi clair et les bouleversements des échanges commerciaux internationaux ont parfois mené à des hausses de prix significatives. De nombreux secteurs ont fortement pâti dans la durée de pénuries de composants. Un exemple frappant est celui de l’automobile, qui a souffert du manque de semi-conducteurs et d’autres pièces. La production de voitures s’est effondrée dans de nombreux pays et les prix se sont envolés. C’est notamment ce qui a amené la présidente de la BCE Christine Lagarde à déclarer : « Il y a des signes que l’économie mondiale devienne de plus en plus une source de chocs pour lEurope, plutôt quun stabilisateur contre la volatilité. […] À lavenir, la volatilité importée devrait augmenter, pas baisser. »

 

* « L’inflation, c’est quoi ? Pourquoi les prix montent », aux éditions De Boeck Supérieur

Mots-clés : Inflation – Monnaie – Demande – Coûts – Banque centrale

Bastien Drut