Cet article est publiĂ© simultanĂ©ment sur « CPR – DĂ©cryptage », une publication de CPR Asset Management


Le 31 octobre 2019, le mandat de prĂ©sident de la BCE de Mario Draghi arrivera Ă  son terme. MĂȘme si la personnalitĂ© de Mario Draghi a profondĂ©ment pesĂ© sur la façon de communiquer et donc d’agir de la BCE, il est important de souligner que c’est une petite Ă©quipe au sein du Directoire de la BCE qui a pilotĂ© les grandes mutations de la politique monĂ©taire depuis 2011/2012 (premiers LTRO de plusieurs annĂ©es, 7 baisses de taux, taux nĂ©gatifs, programme de Quantative Easing). Parmi les architectes de cette politique, on trouve bien sĂ»r le prĂ©sident de la BCE Mario Draghi mais aussi le vice-prĂ©sident Vitor ConstĂąncio, l’économiste en chef Peter Praet et BenoĂźt CƓurĂ©. Les mandats de ces quatre membres du Directoire ont pris ou prendront fin entre mai 2018 et dĂ©cembre 2019. Vitor ConstĂąncio a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© remplacĂ© par l’ancien ministre des finances espagnol Luis de Guindos. Mais les postes de Draghi, Praet et CƓurĂ© seront Ă  pourvoir d’ici la fin de l’annĂ©e, leurs mandats prenant fin respectivement le 31 octobre, le 31 mai et le 31 dĂ©cembre.

Rappelons la procĂ©dure de dĂ©signation des membres du Directoire : les Etats-membres de la zone euro proposent des candidats pour les postes Ă  pourvoir et c’est ensuite l’Eurogroupe (ministres des finances de la zone euro) qui effectue un choix. Une fois que le choix d’un candidat est fait, le Conseil EuropĂ©en consulte Ă  la fois le Parlement EuropĂ©en et le Conseil des Gouverneurs de la BCE avant de le ou la nommer au Directoire.  La dĂ©signation des membres du Directoire de la BCE est donc trĂšs politique.

Plusieurs Ă©quilibres sont Ă  respecter, notamment en ce qui concerne les nationalitĂ©s. Depuis la crĂ©ation de la BCE, les quatre grands pays de la zone euro (Allemagne, France, Italie, Espagne) ont presque toujours eu un membre au sein du Directoire. La France n’y a pas eu de reprĂ©sentant de juin 2002 Ă  novembre 2003 mais un accord tacite voulait que Wim Duisenberg renonce Ă  son poste de prĂ©sident de la BCE Ă  mi-mandat au profit de Jean-Claude Trichet. L’Espagne n’a pas non plus eu de reprĂ©sentant au Directoire entre juin 2012 et juin 2018 et il est intĂ©ressant de constater que la premiĂšre nomination au Directoire depuis 2014 soit revenue Ă  un Espagnol (Luis De Guindos). Une rĂšgle implicite voudrait donc que les quatre grands pays soient presque toujours reprĂ©sentĂ©s. A l’exception de novembre et dĂ©cembre 2011, il n’y a jamais eu deux ressortissants d’un mĂȘme pays au Directoire (Lorenzo Bini Smaghi et Mario Draghi). AprĂšs le dĂ©part du Directoire de Draghi, Praet et CƓurĂ©, les trois membres restants seront luxembourgeois (Yves Mersch), allemand (Sabine LautenschlĂ€ger) et espagnol (Luis de Guindos), ce qui favorise notamment la dĂ©signation d’un Français ou d’une Française.

Les occupants des trois principaux postes au sein du Directoire de la BCE

La question de la reprĂ©sentation des femmes au Directoire se pose Ă©galement. Sur les six membres du Directoire, il n’y a jamais eu plus d’une femme. Pire, aucune femme n’y a siĂ©gĂ© de juin 2011 Ă  fĂ©vrier 2014. Par ailleurs, aucune femme n’a Ă©tĂ© prĂ©sidente de la Commission EuropĂ©enne et depuis 1979, seules deux des 15 prĂ©sidents du Parlement EuropĂ©en ont Ă©tĂ© des femmes (Simone Veil et Nicole Fontaine).

Ensuite, se pose – bien sĂ»r – la question des compĂ©tences. Sur ce point, Philip Lane, gouverneur de la banque centrale irlandaise depuis novembre 2015, a toutes les qualitĂ©s requises pour le poste d’économiste en chef. Lane est un macro-Ă©conomiste mondialement rĂ©putĂ© (qui a notamment publiĂ© dans la prestigieuse American Economic Review), qui a beaucoup travaillĂ© sur les flux de capitaux internationaux (la plupart de ses travaux ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s avec l’économiste du FMI Gian Maria Milesi-Ferretti). Il apparaĂźt donc comme le candidat idĂ©al pour reprendre le poste de chef Ă©conomiste de Peter Praet. Au passage, un autre point positif pour Lane, est qu’aucun Irlandais n’a jusqu’ici siĂ©gĂ© au Directoire.

Jusqu’ici, les trois prĂ©sidents de la BCE (Duisenberg, Trichet et Draghi) avaient tous une expĂ©rience de banquier central significative. Cela Ă©tait Ă©galement le cas des vice-prĂ©sidents Lucas Papademos et Vitor ConstĂąncio mais pas de Christian Noyer et Luis de Guindos, qui avaient occupĂ© diffĂ©rents postes dans les ministĂšres de l’économie et des finances de leurs pays sans jamais ĂȘtre passĂ©s par les banques centrales lorsqu’ils sont entrĂ©s au Directoire de la BCE. Il serait Ă©tonnant que le futur prĂ©sident de la BCE n’ait pas dĂ©jĂ  Ă©tĂ© banquier central.

Au-delĂ  du CV, une adhĂ©sion aux politiques menĂ©es par la BCE et des qualitĂ©s de communication exceptionnelles semblent requises pour la prĂ©sidence de l’institution. Le hasard a fait que le mandat de Mario Draghi a correspondu Ă  une phase d’assouplissement de la politique de la BCE et que celui de son successeur devrait correspondre – au moins au dĂ©but – avec une phase de resserrement de la politique monĂ©taire, qui sera plus compliquĂ©e que d’ordinaire, Ă  cause des incertitudes Ă©conomiques et politiques au niveau global. L’exemple de la Fed montre que le dĂ©but du cycle de remontĂ©e des taux aprĂšs de longues annĂ©es de politique monĂ©taire non-conventionnelle peut ĂȘtre trĂšs difficile : la Fed avait longuement attendu avant d’effectuer sa premiĂšre hausse de taux en dĂ©cembre 2015 et avait attendu encore un an pour en effectuer une deuxiĂšme. Une parfaite comprĂ©hension des mĂ©canismes Ă©conomiques et financiers et une certaine minutie seront donc nĂ©cessaires. Il est important que le futur prĂ©sident de la BCE incarne cette souplesse et ne soit pas dĂ©passĂ© par des questions idĂ©ologiques.

Dans ce cadre, il n’est pas inutile de rappeler l’Ă©pisode « Axel Weber » : en 2011, Axel Weber, qui Ă©tait prĂ©sident de la Bundesbank depuis 2004, faisait partie des favoris pour prendre la succession de Jean-Claude Trichet (il avait notamment le soutien d’Angela Merkel) mais sa candidature Ă©tait controversĂ©e, notamment car il avait affichĂ© publiquement son hostilitĂ© envers le programme SMP, qui consistait en des achats de titres des pays en difficultĂ©. Pour rappel, le programme SMP a portĂ© sur un volume de titres d’environ 220 Mds € alors que le programme PSPP lancĂ© sous Mario Draghi a portĂ© sur un volume presque dix fois plus important
 Axel Weber devait avoir conscience qu’ĂȘtre prĂ©sident de la BCE nĂ©cessite Ă  la fois d’accepter l’hĂ©ritage des politiques passĂ©es et d’ĂȘtre globalement en phase avec les politiques actuelles.

MĂȘme si des candidats « surprise » pourraient Ă©videmment apparaĂźtre, quatre personnes paraissent avoir une longueur d’avance pour la prĂ©sidence de la BCE : Erkki Liikanen, BenoĂźt CƓurĂ©, François Villeroy de Galhau et Jens Weidmann[1]. Il existe des points nĂ©gatifs pour chacune de ces quatre personnes. Si Liikanen, CƓurĂ© et Weidmann disposent d’une expĂ©rience significative de banquier central, c’est moins le cas de Villeroy de Galhau, qui ne dirige la Banque de France que depuis trois ans. Le dĂ©savantage de Erkki Liikanen serait son Ăąge puisqu’il aurait 69 ans Ă  sa prise de fonction s’il Ă©tait choisi. BenoĂźt CƓurĂ©, lui, fait dĂ©jĂ  partie du Directoire de la BCE or les mandats de 8 ans sont thĂ©oriquement non-renouvelables et un amĂ©nagement ou contournement des rĂšgles serait nĂ©cessaire pour le voir succĂ©der Ă  Draghi. DĂ©signer Jens Weidmann aurait l’inconvĂ©nient de faire monter le nombre d’Allemands au Directoire Ă  deux (avec Sabine LautenschlĂ€ger), ce qui serait vraisemblablement mal perçu dans les capitales du sud de l’Europe. Enfin, Liikanen, CƓurĂ©, Villeroy de Galhau ou Weidmann sont tous des hommes.

Quoi qu’il en soit, il faudra vraisemblablement attendre les Ă©lections europĂ©ennes de mai pour que la dĂ©cision soit prise. Plusieurs articles de presse ont fait mention du fait qu’Angela Merkel prĂ©fĂ©rerait s’assurer qu’un Allemand prenne la tĂȘte de la Commission EuropĂ©enne (Manfred Weber ?) plutĂŽt que de la BCE.

Au-delĂ  du choix du prĂ©sident ou de la prĂ©sidente de la BCE, la nouvelle Ă©quipe du Directoire qui sera formĂ©e pour les 8 ans qui arrivent devra trouver une nouvelle dynamique de travail pour aborder les trĂšs nombreux dossiers qui les attendent : sortie des taux nĂ©gatifs, normalisation de la politique de taux, pĂ©rennisation et/ou adaptation des LTRO, dĂ©gonflement du bilan (si on considĂšre le retard de cycle monĂ©taire de quatre ans par rapport Ă  la Fed, celui-ci devrait commencer fin 2021 pour la BCE), rĂŽle international de l’euro



[1] Voir l’enquĂȘte du Financial Times rĂ©alisĂ©e auprĂšs de 24 Ă©conomistes en dĂ©cembre 2018 ou celle rĂ©alisĂ©e par Bloomberg en dĂ©cembre Ă©galement.

Bastien Drut