Cet article est la reprise avec due autorisation de celui dĂ©jĂ  publiĂ© par le blog de l’AFSE : https://www.blog-afse.fr/billet/pour-polluer-moins-faut-il-travailler-moins-ou-bien-travailler-plus


La question du « travailler plus » est de nouveau au cƓur du dĂ©bat sur la retraite. Mais le surcroĂźt de croissance que ses partisans en attendent semble aller Ă  rebours de l’objectif de dĂ©carbonation de l’économie, qui appellerait Ă  moins plutĂŽt qu’à davantage de croissance. Jusqu’oĂč va le dilemme ? Quels Ă©lĂ©ments prendre en compte pour dĂ©finir une croissance qui essaierait d’ĂȘtre Ă  la fois grise et verte ?

Vieillir et redevenir verts : chantiers parallÚles ou divergents ?

Toutes proportions gardĂ©es, plusieurs parallĂšles sont Ă  faire entre deux sujets majeurs du moment : vieillissement et rĂ©forme des retraites d’un cĂŽtĂ©, transition Ă©cologique de l’autre. MĂȘme horizon long dans les deux cas, mĂȘme enjeu intergĂ©nĂ©rationnel, et des problĂšmes qui pouvaient tous les deux ĂȘtre anticipĂ©s de longue date.

Beaucoup de diffĂ©rences en mĂȘme temps entre les deux sujets. L’appropriation a moins tardĂ© dans le cas des retraites car la hausse de l’espĂ©rance de vie est une tendance rĂ©guliĂšre observĂ©e de longue date et bien moins bruitĂ©e que la hausse des tempĂ©ratures, il Ă©tait moins difficile d’en faire partager le constat. RĂ©ponse bien plus avancĂ©e aussi dans ce domaine car le sujet reste plus simple. Le systĂšme de retraite est certes complexe et Ă©clatĂ©, mais le pilotage de ses diffĂ©rents segments peut quand mĂȘme s’appuyer sur un nombre rĂ©duit de paramĂštres sur lesquels le lĂ©gislateur a in fine la main. Une fois modifiĂ©s, ces paramĂštres affectent les comportements et l’équilibre du systĂšme de maniĂšre relativement prĂ©visible.  C’est grĂące Ă  cela que les projections du COR laissent envisager une stabilisation Ă  terme, voire un repli, de l’effort Ă  consacrer aux retraites, moyennant des hypothĂšses de croissance suffisamment soutenue. Ce qu’on qualifiait dans les annĂ©es 1990 d’impossible rĂ©forme aurait ainsi Ă©tĂ© accompli pour une bonne part, mĂȘme si « la » grande rĂ©forme de remise Ă  plat complĂšte a dĂ» ĂȘtre mise Ă  l’arrĂȘt et mĂȘme si la nĂ©cessitĂ© d’un nouvel ajustement paramĂ©trique est de nouveau en dĂ©bat.

CĂŽtĂ© transition Ă©cologique, on a plutĂŽt le sentiment d’ĂȘtre encore au pied de la montagne. La difficultĂ© Ă  faire partager le diagnostic se double de la difficultĂ© Ă  trouver les bons remĂšdes : c’est une beaucoup plus large gamme de comportements qu’il faut faire Ă©voluer, certains de façon radicale, et sans qu’on voie encore bien comment le faire d’une façon qui soit Ă  la fois efficace et socialement acceptable. À cela s’ajoute le caractĂšre trĂšs global du problĂšme : le climat est un bien public mondial. Le vieillissement est lui aussi un phĂ©nomĂšne mondial, mais chaque pays peut choisir de gĂ©rer le sien selon ses prĂ©fĂ©rences sociales sans gĂ©nĂ©rer trop d’effets de bord sur les options accessibles aux autres pays. Dans le cas du climat, les interactions sont massives et c’est un facteur de procrastination : chacun attend que l’autre bouge avant de consentir aux efforts qu’il serait pourtant urgent de mettre en place.

Un parallĂ©lisme qu’on doit donc relativiser. Mais on peut aussi parler de parallĂšle dans un autre sens du terme, appliquĂ© au fait que les deux sujets sont presque toujours traitĂ©s chacun de leur cĂŽtĂ©, en silo, sans que les rĂ©flexions sur l’un et l’autre aient beaucoup l’occasion de se croiser. Il en rĂ©sulte des injonctions dont il est facile de voir les contradictions. Aspiration Ă  de la croissance d’un cĂŽtĂ©, puisque c’est sur cela qu’on compte pour faciliter le financement du vieillissement, que cette croissance vienne de gains de productivitĂ© tombant du ciel ou d’un accroissement de la quantitĂ© de travail. Interrogations sur la viabilitĂ© Ă©cologique de cette croissance de l’autre, voire appels Ă  la dĂ©croissance. Peut-on sortir de cette contradiction ?

Le croissanciste sobre et les deux décroissancistes

PlacĂ© en face de cette contradiction, un premier dĂ©croissanciste rĂ©pondrait qu’il n’y a pas Ă  balancer. Les perspectives de dĂ©couplage entre production et Ă©missions de gaz Ă  effets de serre sont trop limitĂ©es, la seule façon de sauver le climat est de dĂ©croitre. Or produire moins Ă  technologie donnĂ©e implique bien de travailler moins. La remontĂ©e de l’ñge de la retraite serait donc totalement Ă  contre-courant, il y aurait mĂȘme des arguments pour le rĂ©-abaisser. Bien entendu, puisque que vieillissement il y a, et parce qu’il faut bien maintenir une certaine paritĂ© de niveaux de vie entre actifs et retraitĂ©s, il faudrait augmenter le taux de prĂ©lĂšvement sur les actifs, tout cela pour des niveaux de vie globalement en baisse pour tout le monde. Il faudrait tenter d’en limiter les effets pour les moins favorisĂ©s, mais le mouvement aurait nĂ©anmoins besoin d’ĂȘtre trĂšs partagé : ne baisser les niveaux de vie que des plus riches ne suffit pas, loin s’en faut, Ă  rĂ©soudre l’équation climatique.

Mais un second dĂ©croissanciste pourrait donner la rĂ©ponse exactement inverse Ă  cette question du travailler plus. Si dĂ©carboner veut dire repasser Ă  l’envers le film de la croissance passĂ©e, il faut rappeler que nos aĂŻeux n’émettaient que peu de carbone, mais, sauf quelques privilĂ©giĂ©s, ils ne savaient pas non plus ce qu’était la retraite. C’est en trĂšs large partie le recours aux Ă©nergies fossiles qui a libĂ©rĂ© l’homme du travail et qui a permis d’en rĂ©duire la part sur l’ensemble de son temps de vie, ce dont l’invention de la retraite a Ă©tĂ© un des aspects. Refaire l’histoire Ă  l’envers supposerait ainsi de re-substituer du travail humain Ă  ces Ă©nergies fossiles. Il faudrait davantage, et mĂȘme bien davantage, de ce travail plutĂŽt que moins.

Si ce besoin de plus de travail devait conduire Ă  une forte remontĂ©e de l’ñge de la retraite, on soulagerait du mĂȘme coup la tension entre taux de cotisation des actifs et niveau de vie relatif des retraitĂ©s, mais sans rĂ©soudre Ă©videmment la question du niveau de vie absolu, puisqu’on serait toujours dans un monde de dĂ©croissance. Et, par ailleurs demandera-t-on aux livreurs de pĂ©daler sur des vĂ©los-cargos jusqu’à des Ăąges avancĂ©s ? Tel n’est probablement pas le plan non plus.

Sur quoi tablera alors le croissanciste sobre ? D’abord sur la possibilitĂ© de substituer aux Ă©nergies fossiles d’autres formes d’énergie qui nous Ă©viteront de revenir aux formes ancestrales de mobilisation du travail humain, en mĂȘme temps que de basculer, cĂŽtĂ© demande, Ă  ce qui pourrait rester une forme de croissance, mais recentrĂ©e sur d’autres types de besoins moins gourmands en toutes formes d’énergies, quelles qu’elles soient.

Travailler plus certes, mais à quoi ?

En toute hypothĂšse, ceci nous laissera quand mĂȘme sur une trajectoire de croissance basse, Ă  prendre en compte dans nos projections de l’équilibre des retraites. Mais quel message en tirer en matiĂšre d’ñge de la retraite ? La rĂ©ponse devient Ă  l’évidence plus nuancĂ©e puisqu’il faudra Ă  la fois du travail en moins et du travail en plus. Moins de travail dans les activitĂ©s qu’il faudra rĂ©duire, davantage dans celles qu’on voudra promouvoir, et davantage aussi de travail pour que ce qu’il faudra quand mĂȘme garder des premiĂšres et dĂ©velopper des secondes soit le moins carbonĂ© possible, car tout cela suppose des investissements verts Ă©galement coĂ»teux. On voit que la question ne se rĂ©duit plus Ă  celle d’un volume global de travail traitĂ© comme un tout indiffĂ©renciĂ©, c’est aussi celle de la rĂ©partition de ce travail. On peut continuer Ă  dire qu’il en faut davantage, mais il faut aussi dire pour faire quoi exactement.

Se pose alors la question de ce que cela peut impliquer en termes de restructurations, et comment celles-ci peuvent se gĂ©rer en mĂȘme temps qu’on voudrait allonger la durĂ©e moyenne des carriĂšres. Pour mĂ©moire, les grandes restructurations industrielles des annĂ©es 1970-1980 avaient plutĂŽt Ă©tĂ© gĂ©rĂ©es en raccourcissant les vies actives dans les secteurs en dĂ©clin, aprĂšs quoi, ce qui n’était au dĂ©part que sectoriel et d’ailleurs pas si bien vĂ©cu que cela par les intĂ©ressĂ©s Ă©tait devenu l’aspiration et la norme pour l’ensemble de la population. Le mouvement s’est ensuite inversĂ© mais non sans mal. Peut-on Ă©viter que le verdissement ne nous fasse passer par les mĂȘmes Ă©tapes ? Ce n’est pas d’un claquement de doigt qu’on peut convertir en occupants d’emploi verts ou gris tous les occupants d’emplois bruns, a fortiori s’ils sont en fin de carriĂšre. Le scĂ©nario de la bonne coordination entre gestion du vieillissement et rĂ©ponse Ă  l’urgence climatique est un scĂ©nario qui reste Ă  construire.

 

Mots-clĂ©s : retraites – travail –  Ă©cologie

Didier Blanchet