Béatrice Hammer (Ensae 85) vient de publier son neuvième roman. À cette occasion, elle répond aux questions de variances.eu et nous dit ce qu’est l’écriture pour elle.

 Q1 : Béatrice, tu viens de publier ton neuvième roman, La petite chèvre qui rêvait de prix littéraires, aux éditions d’Avallon. Peux-tu nous décrire le parcours qui t’a menée de l’Ensae à la publication de ce roman ?

Enfant, j’étais une grande lectrice. Adolescente, je me suis mise à rêver d’être écrivain, tout en craignant de ne pas en être capable. J’ai décidé de m’en donner les moyens, même si je n’étais pas sûre d’y parvenir : de cette façon, je n’aurais pas de regrets. Comme je savais qu’il était très rare qu’un auteur puisse vivre de sa plume, j’ai décidé de trouver un travail intéressant, et de l’exercer à temps partiel pour pouvoir écrire en parallèle. Cela pouvait sembler un peu utopiste, mais pourtant, c’est ce que j’ai réussi à faire pendant plus de 30 ans, en me partageant entre la recherche en sciences sociales à EDF-R&D et l’écriture. Il y a eu des moments plus difficiles que d’autres, mais l’idée d’arrêter d’écrire ne m’a jamais effleurée : ce projet est au centre de ma vie. Depuis peu, grâce à un compte épargne-temps acquis au cours de mes années d’activité, je me consacre d’ailleurs entièrement à l’écriture.

À EDF, grâce à ma formation de statisticienne que j’ai complétée par un DESS de sociologie à Sciences Po, j’ai travaillé sur de nombreux sujets passionnants, en particulier l’opinion publique dans le domaine de l’environnement, les valeurs, la gestion des risques, la gestion de crise, et, plus récemment, la précarité énergétique.

Il y a une quinzaine d’années, j’ai profité de la possibilité que j’avais de prendre un congé individuel de formation pour me former aux techniques audiovisuelles dans une école de cinéma. En effet, écrire des histoires avec des images et du son était quelque chose qui m’attirait depuis longtemps, et que je regrettais de ne pas avoir expérimenté. C’est donc avec beaucoup d’intérêt que je me suis initiée à l’écriture de scénarios, au découpage, à la direction d’acteurs, à la réalisation et au montage. J’ai adoré cette expérience, qui est pour moi à mi-chemin entre l’écriture d’un roman et la direction d’un projet – deux activités que j’avais largement pratiquées.

À mon retour à EDF R&D, en marge de mon travail de chercheure, j’ai proposé de mettre à profit mes nouvelles compétences et de réaliser des films (fiction, documentaire, films d’animation) afin de présenter sous une forme originale et accessible les recherches en sciences sociales menées par mes collègues. Parallèlement à cela et hors EDF, j’ai développé mes propres projets, et, grâce à un producteur que j’avais rencontré pendant mon CIF, j’ai pu réaliser un moyen métrage de fiction, qui a été sélectionné dans une dizaine de festivals internationaux et a reçu plusieurs prix. J’ai d’autres projets de films que je serais ravie de réaliser, mais en attendant, je me suis remise à l’écriture de romans, qui dépend moins de problèmes de financement, et me satisfait pleinement.

Q2 : Tu as publié une quinzaine d’ouvrages, à quel(s) type(s) de littérature appartiennent-ils ? Peux-tu nous dire en quelques mots quelles sont tes sources d’inspiration et ton intention d’autrice ?

J’ai commencé par écrire des nouvelles, puis, à la faveur d’un prix au concours mondial de la nouvelle de langue française « Les Inédits de RFI – ACCT » et grâce aux encouragements d’Henri Lopes, le président du jury, je me suis lancée dans l’écriture de romans. En littérature générale, j’ai ainsi publié neuf romans et un recueil de nouvelles ; j’ai également publié cinq romans pour la jeunesse.

J’écris plutôt des romans psychologiques, souvent construits autour de secrets de famille, un thème qui m’est cher et que je trouve particulièrement fécond. C’est le cas de mon premier roman, Kivousavé, mais aussi de Soleil glacé ou de Ce que je sais d’elle, ainsi que de mon premier polar, sorti récemment : Une baignoire de sang. Certains de mes textes ont, en plus de la dimension psychologique, une dimension humoristique, voire satirique : c’est le cas de Cannibale Blues, qui décrit la communauté des expatriés, dans les années 80, en Afrique, de Green.com, qui parle du monde de la grande entreprise, des managers et des consultants, et, bien sûr, de La petite chèvre qui rêvait de prix littéraires, qui met en scène, sous la plume d’un narrateur, lui-même écrivain, les tribulations d’une jeune romancière.

De façon générale, j’écris les romans que j’ai envie de lire, et que je n’ai pas trouvés chez mon libraire !

Q3 : Parlons de l’édition, comment as-tu procédé pour être publiée et quels enseignements tires-tu de ton expérience ?

Si l’inspiration ne m’a jamais fait défaut, trouver un éditeur n’a pas été chose facile : les éditeurs croulent sous les propositions, et lorsque, comme moi, on envoie son manuscrit par la poste, on n’est jamais assuré qu’il sera lu. Le premier tri des manuscrits, c’est un peu la roulette russe ! J’ai le souvenir d’avoir rencontré, à un salon du livre, un éditeur suisse dont la femme, libraire, est venue me dire qu’elle avait lu mon premier roman et l’avait adoré. Or, j’avais envoyé le manuscrit de ce roman à cet éditeur, ce que je lui ai dit. « C’était l’été, c’est notre stagiaire qui a fait le tri », m’a-t-elle expliqué, désolée.

Mes romans sont assez différents les uns des autres, si bien que j’ai dû régulièrement trouver de nouvelles maisons d’édition dont la ligne éditoriale correspondrait à mon manuscrit en cours.

Ceci étant, j’ai toujours fini par trouver un éditeur pour chacun de mes textes. J’ai ainsi publié au Mercure de France, au Serpent à plumes, chez Arléa et au Rouergue, ainsi que dans plusieurs petites maisons d’édition aujourd’hui disparues.

Il y a deux ans, j’ai croisé la route des éditions d’Avallon, une structure associative dont l’intelligence m’a séduite : une poignée de passionnés de littérature, parmi lesquels figurent quelques écrivains confirmés, a décidé d’utiliser les possibilités offertes par le numérique et l’impression à la demande afin de lancer une maison d’édition plus respectueuse de l’environnement. Sans but lucratif, cette structure est au service de la littérature, et accorde des droits d’auteur plus justes – car il faut savoir que, d’un point de vue financier, les auteurs sont les moins bien rétribués de la chaîne du livre, et les seuls à ne pas vivre de leur métier.

Je me suis investie dans cette petite maison d’édition, tout d’abord en y republiant ceux de mes romans dont j’avais récupéré les droits, puis, les choses se passant extrêmement bien du côté des ventes, en reprenant les droits de ceux de mes romans qui vivotaient encore chez un éditeur « classique », pour les leur confier. Comme les choses ont continué de très bien se passer (en moyenne, j’ai vendu plus de 4500 exemplaires de chacun de mes romans), j’ai décidé de leur confier un inédit, et je ne regrette pas de leur avoir fait confiance.

Q4 : Pour finir, peux-tu nous dire quelques mots de ton dernier roman publié ? et du prochain s’il est déjà en préparation ?

Mon dernier roman publié est justement cet inédit, La petite chèvre qui rêvait de prix littéraires.

Lorsque je rêvais d’être écrivain, j’idéalisais beaucoup cette expérience. Quand le rêve est devenu réalité, je me suis rendu compte que certaines choses étaient très différentes de l’image que j’en avais. En échangeant avec des personnes qui, comme moi, publiaient des romans, je me suis aperçue que je n’étais pas la seule à avoir perçu un tel décalage. C’est de ce constat qu’est née l’idée d’un roman humoristique, car il m’a semblé que bon nombre de situations que l’on rencontre, lorsque l’on évolue dans cet univers, avaient un fort potentiel comique.

Pour ce roman qui parle d’écriture, j’ai eu envie de jouer avec les notions de narrateur et de personnage, comme avec des poupées russes. Ainsi, mon personnage principal est-il un narrateur, qui lui-même a pour personnage principal une romancière, qui elle-même crée des personnages… Je me suis amusée à mettre en place des passerelles entre ces différents niveaux de narration, des correspondances entre la vie de chacun et ce qu’il écrit ; je me suis également amusée à faire en sorte que le personnage échappe à son auteur – une expérience que j’ai moi-même vécue en tant que romancière.

En ce qui concerne mon prochain roman, À la lisière des vagues, il s’agit d’un texte très différent. Il sortira au mois de février 2023, toujours aux éditions d’Avallon. C’est un texte assez court, qui met en scène une femme au moment où sa vie bascule, où tout ce qu’elle pense avoir construit s’effondre. J’ai beaucoup travaillé la forme de ce roman, et en particulier le rythme de la langue, auquel je suis très attentive. J’espère que, comme mes précédents textes, ce roman trouvera son public.

Extrait de La petite chèvre qui rêvait de prix littéraires

« Pour excessive qu’elle soit, la terreur de Blanchette nous transporte au cœur du problème auquel nous autres romanciers sommes universellement confrontés dans l’exercice de ce métier : nous pouvons inventer les histoires les plus tordues, les plus morbides, les plus nauséabondes, les plus échevelées, les plus déjantées, l’immense majorité de ceux qui nous connaissent, ne serait-ce qu’un peu, seront persuadés, malgré toutes nos dénégations, que ce que nous avons raconté, c’est notre histoire, notre histoire et rien d’autre.

Il n’y a rien à faire.

Il faut en prendre son parti, et quand on décide d’écrire une scène de sexe, il faut savoir que les lecteurs, tous les lecteurs, en fait, vont tous penser que nous décrivons scrupuleusement une expérience que nous avons vécue. »

Propos recueillis par Catherine Grandcoing

 

Bibliographie (littérature générale)

Kivousavé, Critérion, 1995 et Rouergue, 2008 (Prix Goya du premier roman, prix du Festival du premier roman de Chambéry, prix du premier roman de l’Université d’Artois, prix Tatoulu), réédition aux éditions d’Avallon, 2021

Cannibale Blues, éditions Pétrelle, 1999, réédition les éditions d’Avallon, 2020

Soleil glacé, le Serpent à plumes, 1999, réédition les éditions d’Avallon, 2022

Lou et Lilas, Pétrelle, 2000, réédition les éditions d’Avallon, 2021,

Green.com, A Contrario, 2004, réédition les éditions d’Avallon 2021

Les Violons de Léna, Pocket, 2006, réédition les éditions d’Avallon, 2021

Ce que je sais d’elle, Arléa, 2006, réédition les éditions d’Avallon 2021

L’homme-horloge, le Mercure de France, 2006

Une baignoire de sang, Alter Real, 2020, réédition les éditions d’Avallon 2022

La petite chèvre qui rêvait de prix littéraires, les éditions d’Avallon, 2022

À la lisière des vagues, les éditions d’Avallon, 2023 (à paraître en février)

 

Pour plus d’informations sur Béatrice Hammer : https://linktr.ee/Beatrice_Hammer

Si vous souhaitez un exemplaire dédicacé d’un livre de Béatrice, vous pouvez la contacter directement par mail : beatricehammer.ecrivain@gmail.com