Alors que les Jeux Olympiques d’hiver viennent de s’achever à Pékin, Alexandre Faure revient pour nous sur les évolutions importantes en cours dans l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques, et sur l’évaluation de leurs impacts économiques et sociaux. Cet article vient compléter celui qu’il nous a déjà proposé l’an dernier sur la comparaison des Jeux de Tokyo 2020 et Paris 2024 (https://variances.eu/?p=6060).
Bonne lecture.
Introduction. A Tokyo en 2021, les règles des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) ont profondément changé, remettant en cause l’organisation de la compétition interurbaine et internationale pour l’accueil du plus grand des événements que Martin Müller (2015) a décrit comme un giga-event. Désormais, le Comité International Olympique (CIO) n’organisera plus un processus de sélection fondé sur la libre compétition de villes souhaitant devenir olympiques, mais en ciblant à l’avance une ou plusieurs villes avec lesquelles le CIO négociera les conditions d’organisation. Cette modification est une réponse à une nette diminution de l’attractivité de cet événement avec une baisse du nombre de candidatures et une crise de son système lors de l’élection conjointe de Paris et Los Angeles en 2017 à Lima (Fabry, Zeghni, 2020 ; Bourbillères, Gasparini, Koebel, 2021).
Ce déclin de l’aura des Jeux pour les villes est le résultat d’un questionnement sur le bénéfice qu’elles peuvent tirer de cet événement, tant sur le plan de l’image que sur le plan économique. Si quelques villes historiques de l’olympisme sont toujours à l’affût pour accueillir les Jeux (Londres, Tokyo, Paris et Los Angeles concentrent 12 des 32 éditions des Jeux depuis 1896, dont 4 entre 2012 et 2028), d’autres villes et pays moins regardants sur l’environnement et les droits de l’homme ternissent l’image de cette marque lucrative. En effet, que ce soit Sotchi, Pékin, Rio de Janeiro ou encore Athènes, toutes ces éditions ont participé à une détérioration de la réputation des Jeux sur les plans sociaux, environnementaux, économiques et des relations internationales.
Le CIO a tenté de répondre aux critiques en mettant en place des conditions et des outils pour mesurer l’impact des Jeux sur la société et la ville hôte, valorisant de ce fait la notion d’héritage, d’abord pour caractériser l’utilisation à venir des installations sportives construites lors de la préparation des Jeux, puis de manière extensive, les autres éléments associés aux Jeux, à savoir les villages olympiques et des médias, le centre des médias, les infrastructures de transports, les parcs et abords de l’ensemble de ces sites. La ville olympique n’est plus seulement le cœur battant du sport mondial clôturant une olympiade, mais la standardisation et la diffusion d’un idéal de la ville événementielle à la croisée entre les attentes des partenaires du CIO et les singularités des territoires hôtes. Dans ce contexte, l’évaluation de la réussite ou de l’échec des Jeux, toutes relatives que soient ces notions, apparaît d’une grande difficulté à la hauteur de la complexité de la préparation, de l’organisation et de la mise en héritage d’un événement réunissant plus de quinze mille athlètes, des dizaines de milliers de journalistes et membres des délégations sportives et diplomatiques, et plusieurs millions de spectateurs aux attentes, contraintes et comportements parfois fondamentalement différents.
Comparer l’incomparable. La comparaison des villes candidates et hôtes est un défi pour les sciences sociales et en tout premier lieu concernant les données et leur utilisation. Chaque ville candidate réunit un comité de candidature identifié comme tel auprès du CIO, mais qui prend des habits institutionnels spécifiques à chaque cadre national et en fonction des objectifs politiques d’une candidature. Le CIO n’impose pas qu’une ville candidate seule, et ne met pas de limites concernant le niveau administratif en charge de la candidature. Ainsi, les comités de candidatures peuvent être fondés par des acteurs publics ou privés, et peuvent être composés de manière très différente d’une ville à une autre. Traditionnellement, une ville phare est identifiée (Paris, Pékin, Sydney, etc.) comme épicentre de la candidature, autour de laquelle orbitent un certain nombre de collectivités territoriales et de sites sportifs parfois distants de la ville hôte de plusieurs dizaines de kilomètres ou même situés à l’autre bout du monde comme pour le surf en 2024.
Ainsi se pose la question du périmètre d’une comparaison : doit-on comparer les villes centres et phares ou les agglomérations ? Si un site est lointain, comment l’intégrer dans ce schéma comparatif ? Doit-on retirer les sites des sports les plus compliqués à adjoindre à la ville phare pour mieux réaliser la comparaison (voile, surf, kayak…) ? Peut-on comparer les Jeux d’hiver et d’été en mettant au même plan Lillehammer, Albertville, Atlanta, Rio et Londres ? La diversité des villes candidates, des contextes urbains, régionaux et nationaux, et des modes de gouvernement obligent à une grande précaution dans les travaux de recherche et à une prudence accrue pour éviter les raccourcis, les clichés et les transpositions d’un contexte social et politique d’une candidature à une autre (VanWynsberghe, 2016). De ce fait, si le CIO favorise l’homogénéisation des candidatures et des publications produites dans ce cadre, il ne parvient pas à gommer les profondes différences entre les territoires candidats.
Chevauchement des temporalités olympiques. Une autre contrainte à la comparaison est temporelle. Les Jeux ont lieu tous les 4 ans, l’élection de la ville hôte a lieu 7 ans avant les Jeux et les candidatures interviennent en général entre 12 et 10 ans avant l’événement. Ainsi, la candidature de Tokyo pour 2020 a été initiée en 2011, quelques mois après le tremblement de terre entrainant l’accident nucléaire de Fukushima et un tsunami dévastateur, mais la candidature reprenait dans les grandes lignes celle pour 2016 initiée en 2008, quelques mois avant la crise financière. Les candidatures ont chacune leur propre temporalité qui dépend non seulement du calendrier du CIO, mais aussi des anciennes tentatives de la ville candidate d’obtenir les Jeux, ou même d’autres méga-événements (Coupe du Monde de la FIFA, Expo universelle, etc.) pouvant ainsi former des grappes d’événements à l’image de celle qui avait été initialement imaginée par les élus franciliens avec la Coupe du Monde de Rugby à XV en 2023, les Jeux en 2024 et l’Exposition Universelle en 2025. Une candidature peut aussi enjamber les décennies en proposant d’utiliser les sites d’une ancienne candidature échouée pour une candidature récente, comme c’est le cas de Tokyo 2020 qui utilise des terrains initialement prévus pour accueillir l’Exposition Universelle de 1994.
S’ajoutent à ces temporalités propres aux villes candidates et aux méga-événements, les transformations du CIO et des Jeux. Entre chaque édition des JOP interviennent des modifications des attentes concernant le dossier de candidature, le projet urbain olympique et les sports présents. Ces modifications sont notamment significatives sur la façon d’établir le dossier de candidature. Par exemple, les dossiers pour les Jeux de 1996 ont eu pour la première fois l’obligation d’intégrer un budget en dollars américains. Puis en 2000 il a été demandé d’ajouter la nature des sites choisis, et en 2008 de préciser clairement si les constructions sont additionnelles, déjà planifiées ou temporaires, ou si les sites sont existants et nécessitent plus ou moins de travaux. Ainsi, ce n’est qu’au début des années 2000 que le CIO a réussi à imposer un format relativement uniforme aux dossiers de candidatures.
Les tentatives pour évaluer l’impact olympique
Les interrogations sur l’évaluation des Jeux et de leur impact sur les villes hôtes sont étroitement corrélées à l’émergence de la notion d’héritage olympique au tournant des années 2000. Auparavant, l’évaluation était purement économique et budgétaire selon le modèle nord-américain, notamment après le scandale du coût des Jeux de Montréal pour les habitants et la volonté des organisateurs de Los Angeles en 1984 d’afficher une forme de rentabilité. Pour résumer, la question était de savoir quelle était la plus-value des Jeux en matière de PIB et combien d’emplois étaient imputables à l’événement.
Le CIO et les cabinets de consultants. Dès la fin des années 1990, le CIO propose un ensemble d’indicateurs obligatoires pour les villes hôtes, comprenant plus d’une centaine d’éléments regroupés dans un outil de communication nommé « Olympic Games Impact ». Cela a amené les organisateurs à créer de nombreuses données et à se tourner vers des universitaires ou des cabinets de consultants afin d’écrire des rapports visant à justifier les dépenses et à légitimer les travaux induits par l’événement. Pékin, Vancouver, mais surtout Londres signent des partenariats de recherche avec de nombreuses universités et participent à l’inflation de la littérature sur les Jeux (Girginov, 2013). Cette littérature n’est pourtant pas parvenue à proposer un cadre comparatif susceptible d’apporter des réponses à long terme sur l’efficacité des mesures prises avant et pendant les Jeux afin de limiter les impacts négatifs sur l’environnement et les populations. Ces travaux de recherche et les études menées par les cabinets de consultants sont avant tout des monographies concentrées sur un événement et sur un aspect de celui-ci comme le tourisme, l’urbanisme, la pratique sportive, l’engagement des bénévoles, etc. (Chappelet, 2019). Dans ce contexte, il semblerait que seule une ville hôte (Vancouver) ait utilisé l’instrument du CIO dans son ensemble (VanWynsberghe, 2014). Londres, de son coté, n’a pas totalement adhéré à l’ambition du CIO et a préféré utiliser une méthode d’évaluation différente, inspirée par le « Global Reporting Initiative », destinée d’abord aux entreprises privées et non pas spécifiquement aux événements (Pelham, 2011).
Dans un rapport paru en 2015, AMION Consulting Limited, un cabinet de consultant travaillant sur Londres 2012 propose en conclusion des pistes pour étudier comment les Jeux ont changé la ville, quels sont les effets combinés, mais aussi la durabilité des Jeux, l’influence sur les habitants, l’efficacité de la planification de l’héritage, ou encore la rénovation des quartiers hôtes des sites. Le travail réalisé par ce cabinet a une portée très faible puisqu’il ne répond à aucune question de manière scientifique, ni ne propose une méthode. Il est le reflet de l’état de l’évaluation de l’impact olympique au milieu des années 2010, à savoir l’existence d’un grand nombre de questionnements et une absence d’instruments, d’indicateurs, d’outils systématiques pour les mesurer et les analyser quantitativement et comparativement.
Cette inflation des rapports et des évaluations, mais aussi l’augmentation des conditions émises par le CIO pour les villes candidates, entrainent dans le même temps un net accroissement du coût d’organisation des Jeux, tant dans la phase de candidature qu’après la tenue de l’événement. Le système olympique intègre désormais un ensemble de cabinets privés proposant leurs services aux villes prétendantes pour les aider dans la constitution des dossiers de candidatures, ainsi que pour mener des missions de conseil et d’appui lors de la préparation et de l’évaluation des Jeux. Le transfert d’expérience d’une ville hôte aux villes candidates suivantes est un marché lucratif.
Critiques et dépassements par le milieu académique. Au cours des décennies 2000 et 2010, de nombreuses recherches en sciences sociales ont tenté d’évaluer des segments de l’héritage olympique. Tout d’abord, il faut noter dès le milieu des années 2000 une critique venue du monde scientifique concernant la définition même de la notion d’héritage (Preuss, 2007). L’héritage pose non seulement la question de savoir ce que l’on entend par ce mot et ce concept, mais aussi celle de son interprétation aux différents stades de la candidature et de l’organisation des Jeux. Il regroupe aussi bien un héritage matériel (stades et équipements sportifs, village olympique, infrastructures), que social (volontariat, pratique sportive, droits humains, handicap), environnemental (espaces verts, chantiers, empreinte carbone), ou politique (image à l’international, diplomatie, gouvernance).
Les critiques des années 2010 portent aussi bien sur les travaux scientifiques que sur les rapports venant des organisateurs et partenaires des JOP. Elles reflètent le débat mis en avant au début de cet article, à savoir le manque de vision à long terme, l’absence de grandes comparaisons et la prédominance des monographies, et les faiblesses méthodologiques liées à l’accumulation de données difficilement comparables. Face à ce constat, plusieurs groupes de chercheurs ont tenté de proposer un nouveau cadre comparatif et d’évaluation. C’est le cas concernant l’évaluation de la pratique sportive dans les pays hôtes des Jeux en s’attachant à mesurer l’influence des Jeux sur la mise à disposition d’équipements sportifs pour les habitants et le déploiement de politiques publiques favorisant le sport à tous les âges (Jung, Legg, Chappelet et Tajima, 2020). D’autres chercheurs ont essayé de mesurer la qualité des projets urbains olympiques en étudiant simultanément les impacts écologiques, sociaux et économiques des Jeux d’hiver et d’été depuis 1992 (Müller, Wolfe, Gaffney, Gogishvili, Hug et Leick, 2019). Enfin, un travail exploratoire a été réalisé sur l’influence des Jeux sur le prestige à l’international et les succès sportifs (Haut, Grix, Brannagan, van Hilvoorde, 2018).
Les enjeux pour Tokyo, Paris, Los Angeles et Brisbane
Tokyo, Pékin et la gestion de la pandémie. Si les travaux comparatifs émergeant depuis quelques années sont prometteurs, les futures recherches devront avoir affaire avec de nouveaux enjeux inédits dans les études olympiques. Tokyo et Pékin sont confrontés à de grandes incertitudes avec la pandémie. Aucun visiteur, peu de spectateurs, voire aucun en vue à Pékin, des délégations diminuées, une opacité dans les coûts liés au protocole pandémique, de grands doutes sur le retour à la normale et donc sur la pérennité des installations construites qui avaient vocation à devenir des lieux dédiés à l’événementiel international culturel ou sportif, etc. En 1920, les Jeux d’Anvers avaient déjà été décrits comme les Jeux de la reconstruction (ceux de Tokyo 2020 ont été décrits par le Premier Ministre japonais comme « les Jeux de la reconstruction »), ou plutôt les Jeux du rétablissement, mais dans le contexte contemporain, c’est la première fois que des Jeux se déroulent sans célébration populaire. Cela questionne non seulement la rentabilité de l’événement, mais aussi son caractère festif. D’un autre côté, cette situation va nettement améliorer l’empreinte carbone de l’événement.
Paris ou l’anti-Londres. Pour 2024, la pandémie sera peut-être un enjeu, mais au-delà de l’aspect sanitaire, ces Jeux parisiens, venant un siècle après la dernière édition, seront avant tout l’expression d’un changement parfois radical dans la façon d’organiser l’événement. Paris propose un modèle fondé sur un très faible nombre de nouvelles constructions, peu ou pas d’infrastructures de transports, l’absence d’un parc olympique dédié, et une célébration plus ouverte sur la ville. Ces éléments sont opposés au modèle londonien de 2012 et participent à une compétition interurbaine ancienne mais d’actualité entre les deux métropoles européennes.
Los Angeles face à son mythe. Los Angeles, candidate pour 2024 a finalement obtenu les Jeux de 2028. La candidature est fondée sur le modèle londonien avec la promesse de développer les transports en commun et les modes actifs (promesses qui répondent à une urbanisation tentaculaire et pleinement dédiée au trafic automobile), tout en affichant un objectif de rentabilité propre à l’héritage de 1984. A l’époque, l’organisation des Jeux avait été décrite comme les premiers de l’histoire à avoir produit un résultat budgétaire positif, bien que de nombreux postes de dépenses n’aient pas été entièrement pris en compte, particulièrement la sécurité.
Brisbane, le bénéfice du long terme ? L’Australie accueillera l’édition de 2032 en ayant été élue 11 ans avant l’événement (tout comme Los Angeles). L’évaluation de ces Jeux permettra de savoir si le fait d’accorder plus de temps à une ville hôte permet ou non de diminuer les coûts de la construction des sites qui étaient jusqu’alors produits dans une relative urgence avec un délai très court de 7 années. Cet allongement devrait aussi favoriser une meilleure définition des conditions d’accueil des athlètes en collaboration avec le CIO et une meilleure capacité à anticiper les besoins post-olympiques.
Mots-clefs : Jeux Olympiques et Paralympiques – Tokyo – Pékin – Paris – Los Angeles – évaluation
Cet article a été initialement publié le 21 février 2022.
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