A loccasion du récent krach des crypto-monnaies et des autres artefacts issus de la blockchain, on peut se demander si cet effondrement signe la fin dune mode ou si, malgré tout, il y a là des technologies qui auront un impact à plus long terme sur nos vies.  

Une fois la folie spéculative retombée, les technologies liées à la blockchain ont un potentiel pour devenir des outils de société.

BLOCKCHAIN

La blockchain permet de créer de grandes bases de données partagées, des consensus unanimes d’informations pour des personnes ou des entités. Certains l’ont décrite comme une architecture de confiance (https://fr.wikipedia.org/wiki/Blockchain).

Plus prosaïquement, c’est une technologie de certification comme un tampon sur un formulaire. Une officialisation.

Avec l’autorité d’un tampon vient rapidement la tentation de s’enrichir ou d’établir des droits de propriété.

Cette technologie est encore embryonnaire, nul ne sait ce qu’elle consomme vraiment. L’Université de Cambridge évalue sa consommation mondiale autour de la consommation d’électricité d’un pays comme les Pays-Bas (https://ccaf.io/cbeci/index). L’impératif climatique semble avoir doucement influencé les ingénieurs spécialistes de la blockchain pour qu’ils dirigent leurs efforts vers un fonctionnement plus frugal, donnant naissance à des alternatives moins énergivores grâce à de nouveaux mécanismes de validation des transactions. Les questions énergétiques ont aussi incité les mineurs, avec leurs fermes d’ordinateurs, à investir dans du matériel plus performant écologiquement.

Cet écosystème n’est ni plus ni moins qu’un marché et ce sont, en l’absence de réglementations, les choix des acteurs de ce marché qui décideront quelles technologies prendront l’ascendant. Ceci ne laisse présager rien de bon, au vu des précédents résultats des marchés en la matière. Peut-être que la manifestation du dérèglement climatique jusque dans nos contrées privilégiées ou les pressions politico-économiques sur l’énergie, forceront des choix de société plus contraignants et des rationnements énergétiques qui, de fait, excluraient ce type de technologies.

CRYPTO-MONNAIES

Les crypto-monnaies n’existent encore que sous forme de prototype, elles n’ont pas su s’inclure dans nos quotidiens comme un outil fonctionnel. Si un cœur d’utilisateurs revendique une sécession avec le système monétaire des FIATs (monnaies créées par les gouvernements) et l’utilisation de ces monnaies alternatives comme un acte politique, c’est sans doute un engouement spéculatif loin des convictions politiques qui en crée le volume.

Malgré tout, ces crypto-monnaies ont permis de poser des questions nécessaires sur la création et les mécanismes de l’argent dans nos économies. Elles ont aussi mis les Etats devant l’impérieuse réalité du chantier digital et l’évolution de l’ergonomie du numéraire, forçant les dirigeants à considérer en catastrophe la création de devises digitales afin de ne pas se laisser déborder par les acteurs de ce secteur.

SMART CONTRACT

La technologie blockchain dans sa qualité de super-tampon permet aussi la création de contrats intelligents. Ce sont des protocoles informatiques qui facilitent, vérifient et exécutent la négociation ou l’exécution d’un contrat (https://fr.wikipedia.org/wiki/Contrat_intelligent). Ces algorithmes permettent l’automatisation de la vérification des conditions contractuelles et des transactions liées. Ils doivent permettre de se passer d’intermédiaires et d’économiser sur les frais dus à ces frictions.

L’utilisation qui en sera faite sera fonction de qui s’en emparera. Un Etat ou une organisation pourraient en faire un contrat-type, juste et transparent, les grands groupes pourraient continuer à consolider des positions dominantes. La digitalisation ne fait qu’amplifier les leviers déjà en place, comme tous les outils le font. Si cet aspect de cette technologie parait prometteur, il n’est pourtant pas celui qui attire l’attention des médias.

NFT

De leur côté, les NFT (https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeton_non_fongible) sont l’exploration chaotique du sens et de la valeur de la propriété virtuelle. Sur quoi pourrait-on coller un tampon ? La valeur de ces produits est intrinsèquement liée à la communauté qui les accompagne : plus ses membres sont nombreux à croire en sa valeur, plus cette valeur existe.

Les initiatives les plus populaires dans le monde des NFT sont celles qui se sont adossées à des produits originellement collectionnables, les cartes de football Panini, les itérations de Pokémon et l’art de manière plus générale. Car tant que la plateforme unifiée n’existe pas pour permettre aux gens d’avoir une expérience pratique de ces biens virtuels, l’utilité du NFT reste floue.

Il ne suffit que de quelques minutes sur opensea.io, la principale plateforme d’échange de NFT, pour se rendre compte de l’imposture : l’immense majorité des produits mises aux enchères sont moches, incompréhensibles ou inintéressants. D’ailleurs la plus grande partie n’est jamais vendue. N’importe qui peut aujourd’hui créer un NFT, et c’est exactement ce qui se passe. Une exploration de la plateforme invite à se questionner sérieusement sur les intentions de ces créateurs et la validité de ce marché.

Mais est-ce que pour autant cela disqualifie ce genre de produits dans un futur dans lequel réalité et virtuel sont de plus en plus intégrés ?

La dématérialisation de l’argent est d’ores et déjà un fait avéré depuis quelques décennies. Le paiement sans contact finit d’entériner le symbole de l’échange de valeurs comme un flux de fluides virtuels invisibles.

Cette digitalisation, cette virtualisation qui semble vouloir continuer à se dessiner et ne saurait être entravée par une planète exsangue ou un sens de la vie de plus en plus vaporeux, nécessitera des outils de propriété virtuels qui permettent une unification des écosystèmes réels et virtuels.

VIRTUALISATION

Au début des années 2000, lorsque le web 2.0 arrivait, les augures technologiques avaient prédit “l’explosion” de l’aspect social de l’internet, expliquant que la distribution des contenus digitaux passerait par une nouvelle dimension sociale. A l’époque, cette prophétie semblait obscure et ce n’est qu’après avoir vu Facebook, Youtube ou les autres plateformes sociales fonctionner et devenir ce qu’elles sont, que cette notion de web 2.0 a pris son sens. Nous consommerions les images, les textes ou les videos que d’autres utilisateurs auraient mis en ligne, qui nous auraient été recommandés par nos amis ou nos connaissances.

Aujourd’hui, nous sommes dans cette même position avec le 3.0 : les ingrédients nous sont donnés mais la recette reste mystérieuse.

Le monde qu’imaginent pour nous les Zukermusk, Steve Cook et James Gate, le 3.0, pourrait ressembler au film de Spielberg : Ready Player One, la série Alter Carbon ou peut-être les survivants dans Wall-E, l’animé de Pixar et Disney. Un monde dans lequel notre réalité (communément appelée IRL « in real life ») et la réalité virtuelle se superposent. Réalité augmentée, mixed reality, réalité virtuelle, sont des nouvelles réalités dans lesquelles le réel et le digital se mélangent allègrement. Acheter en ligne et en magasin sont deux expériences qui sont amenées à se ressembler et nos apparences réelles et virtuelles pourraient tendre à s’aligner.

Demain, la notion d’avatar, l’alter-ego digital, deviendra peut-être une réalité de notre quotidien avec des optiques telles que les feus google glass, les NFT permettant de monétiser cette nouvelle dimension.

C’est en regardant derrière le strass que certaines mécaniques des NFT semblent porter un autre potentiel que ceux de collection, vanité ou spéculation.

Le concept de jeton, le token, tout d’abord comme carte de membre, carte d’accès ou abonnement en tout genre; mais aussi comme un jeton de participation auquel sont adossés des droits ou des privilèges. Demain l’accès à votre chambre d’hôtel pourra peut-être se faire à l’aide d’un token qui vous aura été transféré sur votre téléphone.

Des DAO (organisation autonome décentralisée) sont nés un peu partout autour de centres d’intérêt divers et de l’obsession de la décentralisation. Si une partie de ces DAO est constituée de groupes organisant des “pump & dump” (https://fr.wikipedia.org/wiki/Pump_and_dump) ou d’autres malversations afin de s’enrichir, certaines de ces organisations utilisent les NFT comme des outils d’expérimentation de démocratie participative. Expériences dans lesquelles le jeton n’est pas seulement un droit d’accès à la conversation, mais également un droit de vote.

Le DAO – Proof of good, par exemple, permet à des organismes caritatifs reconnus de récompenser les bonnes actions de leurs participants (volontariat, don de sang, shared computing…) avec un token qui leur permet de prendre part aux assemblées, appelées town hall, d’y proposer des règles ou de voter les amendements des autres participants (https://www.proofofgood.io/). Avec pour objectif de créer une communauté décentralisée, dédiée à construire un monde meilleur, et de pouvoir motiver financièrement les actions que le groupe considère comme positives pour la planète ou l’humanité. Les conversations codifiant ce qu’est une bonne action et comment la rémunérer occupent une grande partie des Town halls.

C’est cette dimension de la technologie blockchain qui me semble la plus importante pour notre futur. Dans un monde qui se digitalise à un rythme effréné, les technologies de certifications institutionnelles peinent à évoluer. Les institutions doivent s’emparer de ce type de technologies afin que les tampons encore employés partout dans nos systèmes passent au sans contact. Cartes d’électeurs, permis de conduire, baux locatifs, cartes d’identité sont autant de technologies qui pourraient aujourd’hui s’aligner davantage avec le monde digital et permettre le développement d’outils d’administration ou de démocratie participative digitale.

LE TAMPON

Le tampon est une technologie dont on retrouve les premières traces en Mésopotamie 4000 ans avant notre ère, ou peut-être en Inde ou en Mongolie 4000 ans encore plus tôt. Il servait à authentifier la provenance de produits ou à identifier le propriétaire du bétail. Cette technologie a dû contribuer à l’expansion du commerce.

Il a tenu bon à travers les âges mais il semble aujourd’hui de plus en plus déconnecté des écosystèmes dans lesquels il intervient. Il force l’intervention d’humains dans des processus automatisés (pensez au douanier dans sa cabine), ou le développement de technologies spécifiques afin de le rattacher à un fonctionnement digital (les signatures numériques par exemple).

Comme le tampon, la blockchain n’est qu’un outil. Ni bon, ni mauvais, il sera ce que nous en ferons. Qui aurait idée de se méfier d’un tampon ? Jusqu’au jour où quelqu’un imagine l’utiliser pour marquer un visage ou un bras avec.

Si la dynamique de notre société à vouloir aller plus vite, plus loin, plus fort, ne s’écroule pas d’ici là, la blockchain permettra peut-être une meilleure certification des produits que nous consommons, ou une expérience administrative plus fluide, une refonte de nos mécaniques démocratiques. Elle pourrait rendre plus transparents les contrats ou les transactions et pourrait être un puissant outil fiscal. Ou alors elle sera un verrou d’oppression par une classe dirigeante, un outil de marquage de populations ou encore un voile d’opacité pour des privilèges, tout comme son aïeul le tampon l’a été.

L’impression que laissent aujourd’hui ces secteurs d’innovations est que la majorité de ses acteurs sont focalisés sur le court terme, cherchant une valorisation rapide. Les acteurs à plus long terme ont mis plus de temps à s’impliquer (E-Yuan, BCE…) et semblent se contenter d’essayer de rattraper le retard accumulé afin de contrôler les flux d’argent plutôt que de s’approprier ces technologies et d’inventer de nouveaux modèles de sociétés plus transparents et démocratiques.

Antoine Minczeles
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