Variances a un vrai public en Afrique francophone. La preuve : les deux articles de notre revue qui ont eu le plus de succès (plus de dix mille vues) sont des articles consacrés à l’Afrique ! Nous nous en félicitons. Ce succès est probablement dû, au moins en partie, au réseau des anciens élèves des écoles de statistique africaines (ESA) qui cultivent une étroite relation avec le GENES.

En saluant la réussite de cette filière, cet article s’affiche ainsi comme une marque de reconnaissance plus que méritée. Il est le résultat d’un riche échange avec François Coquet, enseignant-chercheur à l’ENSAI et directeur du CAPESA[1], ainsi qu’avec trois brillants alumni africains, Ababacar Ba, Sandra Djuffo Djudda et Fallou Niakh, et un étudiant actuellement en scolarité à l’ENSAE, Hervé Gnonlonfoun.

Quelques rappels sur les ESA et le rôle du GENES

François Coquet

Il y a quatre ESA en Afrique francophone : l’ENSEA à Abidjan, l’ENSAE à Dakar, l’ISSEA à Yaoundé et l’ENEAM à Cotonou. Les trois premières ont une longue expérience (l’ENSEA a fêté ses soixante ans), la quatrième a intégré le réseau en 2019. Ces écoles formaient jusqu’à il y a peu des Ingénieurs des Travaux Statistiques (ITS) et des Ingénieurs Statisticiens Économistes (ISE) dans une dualité qui correspondait aux deux anciennes divisions françaises, avant la création de l’ENSAI. Cette dualité est en train d’évoluer avec la convergence des niveaux de formation dans la plupart des pays africains sur le modèle L/M/D qui prévaut internationalement et la mise en place de ponts avec les autres formations supérieures.

Mais la caractéristique première de ces écoles est la reconnaissance de l’excellence de leurs élèves. Le mot n’est pas trop fort et ceci n’est pas dû au hasard. Il y a bien sûr le bon niveau scolaire dans certains lycées de ces capitales. Mais il y a deux raisons fondamentales.

La première est l’existence d’un concours d’entrée pan-Afrique francophone extrêmement sélectif (220 admis pour 6000 candidats d’une vingtaine de pays), qui crédibilise fortement la filière : ne rentrent dans ces écoles que les meilleurs éléments. L’organisation de ce concours, pour un coût annuel de 200 000 euros (y compris les actions de formation ponctuelles dans les écoles), est transparente et centralisée en France par le CAPESA avec l’appui d’Afristat. Le CAPESA, hébergé à l’ENSAI depuis septembre 2017 et placé sous l’autorité de la DG du Genes, a en effet pour mission principale d’organiser les concours d’entrée et d’assurer un appui pédagogique aux ESA, notamment par le biais de missions d’enseignement sur des matières ciblées pour lesquelles la ressource locale est rare.

Ababacar Ba

La seconde est la rigueur avec laquelle leurs directions et leurs équipes enseignantes imposent le maintien de ce niveau pendant toute la scolarité. Ababacar et Sandra s’en félicitaient d’ailleurs pendant notre rencontre : « ce n’est pas une moyenne de 10 qui est exigée, mais une moyenne de 12 ! », « interdiction de triplement », « des élèves sont régulièrement exclus quand ils se laissent aller ». Comme le souligne également Sandra, « on sait que si l’on veut être admis ensuite à l’ENSAE Paris ou l’ENSAI, il faut être parmi les meilleurs de son école, cela crée une forte émulation ». Hervé renchérit et conseille aux étudiants des ESA de « donner le meilleur d’eux-mêmes au cours de leur scolarité pour pouvoir profiter de l’opportunité d’apprendre ensuite dans les écoles prestigieuses que sont l’ENSAE Paris et l’ENSAI ». Enfin, de nouvelles perspectives s’ouvrent : initialement focalisées sur l’excellence de leur formation, les ESA commencent à réaliser l’importance d’une forte assise en matière de recherche et de formation continue. Une école doctorale a ainsi été créée au sein de l’ENSEA d’Abidjan.

Une formation de plus en plus reconnue internationalement

Ces dernières années, la réputation des ESA a ainsi franchi les frontières du continent, brisant les préjugés, y compris en France, sur le niveau des études supérieures en Afrique. Les universités canadiennes, toujours à l’affût de bonnes prises, multiplient les appels du pied. On ne peut que se féliciter que le GENES ait construit une politique de recrutement active, permettant à ces jeunes Africains de parfaire leurs études en France sur la base d’un accord de double-diplôme (deux années dans l’école d’origine suivies de deux années dans une école du GENES).

Sandra Djuffo Djudda

Aujourd’hui, environ trente anciens élèves des ESA sont intégrés chaque année à l’ENSAE ou à l’ENSAI. Ababacar, Sénégalais, a été attiré par la formation en mathématiques, statistique et informatique de l’ENSAI, où, il donne d’ailleurs maintenant des cours ! C’est l’actuariat qui a été la motivation de Sandra, Camerounaise, de Fallou, Sénégalais, et de Hervé, Béninois, pour intégrer l’ENSAE Paris. Après son double diplôme ENSAE-HEC, Sandra va bientôt rejoindre un cabinet de conseil réputé. Tant elle que Ababacar soulignent qu’il faut saluer la politique d’ouverture des bourses ASTE[2] accordées aux élèves des ESA sur critères sociaux. Fallou et Hervé ont de leur côté bénéficié d’une bourse d’excellence Eiffel octroyée par le gouvernement français à des étudiants internationaux de haut niveau, et relèvent que, même si son octroi est très sélectif, un nombre croissant d’étudiants des ESA en bénéficient désormais pour poursuivre leurs études à l’ENSAE ou l’ENSAI. Ababacar, Sandra et Fallou et Hervé ajoutent que, grâce à l’aide du service administratif de l’ENSAE, ou à la proximité du campus de Rennes, ils n’ont pas rencontré de difficultés majeures pour se loger à un prix raisonnable pendant leur scolarité. Malgré les difficultés de certains autres, ils affirment ainsi qu’ils n’ont pas eu de véritable problème pour vivre assez confortablement pendant leur scolarité, grâce il est vrai aux stages rémunérés qu’ils ont pu mener dans le cadre de leurs études. Avis aux futurs amateurs… Malgré tout, l’intégration n’est pas toujours évidente, et cela a conduit Fallou à participer lorsqu’il est arrivé sur le plateau de Saclay à la création d’un Bureau Des Internationaux (BDI), pour organiser des événements et faciliter les démarches des étudiants. Moins facile en tout cas pour Hervé que celle qu’il avait déjà vécue en quittant son Bénin natal pour étudier à l’ENSEA d’Abidjan, en raison de la proximité culturelle entre les deux pays.

Fallou Niakh

Résultat : d’après François Coquet, les anciens des ESA se situent régulièrement dans le premier tiers de leur promotion à l’ENSAI ou l’ENSAE ! Il ajoute, malicieusement, que ces dernières commencent à se rendre compte que les élèves africains contribuent à les faire rayonner au niveau international. Les organisations multinationales (FMI, Banque Mondiale, Banque Africaine de Développement, BEAC, etc.) s’y intéressent de plus en plus pour renforcer leurs équipes sur le continent et au-delà. L’ENSEA bénéficie ainsi du label « Centre d’Excellence Africain » délivré par la Banque Mondiale.

Un succès aussi directement pour l’Afrique

On entend parfois que l’excellence de ces filières aurait deux désavantages. Le premier serait que le secteur privé, qui offre de bien meilleures rémunérations, bénéficierait beaucoup plus que le public, notamment les instituts de statistique (pourtant co-organisateurs de ces écoles), de ces brillants élèves. Au cours de cet échange, nous avons été réconfortés d’apprendre que le secteur public, au moins au Sénégal et au Cameroun, recrutait toujours au sein de ce vivier, même si les étudiants des ESA ont également vocation à essaimer vers le secteur privé local, lorsque le marché le permet. La seconde critique porte sur le fait que ce serait la France, ou les pays riches, qui, involontairement, prélèveraient ainsi sur le continent la crème de sa jeunesse. Autre leçon captivante de notre échange, tous les quatre affirment leur intention, une fois qu’ils auront acquis suffisamment d’expérience, de retourner dans leur pays pour y travailler ! Comme le remarque Hervé, « il est important de rendre à notre pays un maximum de ce que nous en avons reçu ». Avec l’ambition de travailler dans une grande entreprise, dans le secteur du conseil ou, comme l’envisage Fallou, dans le développement de l’assurance collaborative, sujet auquel il consacre actuellement sa thèse, dans le cadre du CREST[3]. En attendant, Fallou manifeste son attachement à son école d’origine en prodiguant un cours d’« Introduction au machine learning » à l’ENSAE de Dakar.

Hervé Gnonlonfoun

Quant à François Coquet, il souligne avec une évidente flamme la politique particulièrement bienvenue de promotion des jeunes femmes africaines menée par les écoles. Une politique pleinement justifiée par leur succès dans les écoles concernées, puisque les femmes se retrouvent souvent en tête des classements des écoles, alors qu’on sait les difficultés particulières qu’elles ont parfois à se faire reconnaître dans leurs cultures… ! Il reste toutefois encore du chemin puisque leur proportion demeure encore en dessous de l’objectif de 33 % dans les promotions des ESA.

Pour finir, on a noté avec un plaisir non retenu que l’on parle désormais d’envisager une mobilité étudiante réciproque, à savoir permettre à des élèves des écoles du GENES d’aller passer un semestre d’échange académique dans une ESA ! La coopération pourrait également s’élargir à d’autres domaines : recherche, formation continue ? Que peut-on rêver de mieux pour enrichir les échanges entre les jeunesses brillantes des deux continents ?

 

Cet article a été initialement publié le 2 mai 2022.

 


[1] Centre d’APpui aux Ecoles de Statistique Africaines

[2] Admis Sur Titres Etrangers.

[3] Centre de Recherche en Économie et Statistique (unité mixte de recherche commune avec le CNRS, ENSAE Paris, ENSAI et l’École polytechnique).

François Lequiller & Éric Tazé-Bernard
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