Cet article est la reprise d’une publication de CPR Asset Management dans son bulletin mensuel de Juillet 2018.
En février 2018, la banque centrale de Russie a indiqué qu’elle s’attendait à un impact positif de la Coupe du monde 2018 sur l’économie nationale : « Il y a aura un effet positif de courte durée aux 2ème et 3ème trimestre de 2018, grâce à une augmentation de l’emploi et à une hausse de la demande de produits de consommation et des services. » En revanche, les dernières prévisions économiques de la Commission Européenne et du FMI ne mentionnaient aucunement le tournoi comme un facteur susceptible d’influer sur la croissance en 2018. Même si la projection de la banque centrale s’avérait juste, l’accélération de la croissance serait à mettre en balance avec les 660 Mds de roubles officiellement dépensés dans le cadre de l’organisation de l’événement, qui en font la Coupe du monde la plus chère de l’histoire (ce montant correspond à 9,4 Mds € au taux de change prévalant fin 2017).
L’organisation de grands événements sportifs (Coupes du monde, Jeux Olympiques) est souvent l’occasion de réfléchir à la pertinence de l’utilisation de l’argent public. Il est désormais bien établi dans la littérature académique qu’il n’y a généralement pas de « boom économique » (c’est-à-dire accélération de la croissance et/ou de l’emploi) lié à l’organisation des grands événements sportifs, contrairement à ce qui est « vendu » dans les dossiers de candidature.
Les retombées économiques liées à l’organisation des grands événements sportifs sont de plusieurs ordres :
- Les retombées privées directement liées à la participation à l’événement (ventes de billets, droits de retransmission, recettes de sponsoring, vente de produits dérivés liés à l’événement).
- Les retombées privées indirectement liées à la participation à l’événement (recettes liées aux transports, hôtellerie, ventes de boissons et de nourriture, recettes de tourisme annexes).
- Les retombées privées liées à la préparation de l’événement (emploi dans le secteur de la construction et dans les industries associées).
- Les retombées privées perçues après l’événement (valeur d’usage des nouvelles installations construites pour l’événement).
- Les retombées publiques (stimulus de l’économie généré par l’investissement et par l’augmentation de la consommation liée au tourisme, plus grande productivité causée par l’amélioration des infrastructures, amélioration de l’image du pays amenant davantage de commerce et d’investissement).
Les sociétés de construction sont généralement les grandes gagnantes de ces grands événements car les autorités publiques leur commande des chantiers de grande ampleur. Les clubs de football professionnels sont également gagnants de l’organisation des tournois internationaux de football car ils peuvent bénéficier de stades flambants neufs souvent financés avec de l’argent public. En revanche, les contribuables ressortent souvent perdants des grands événements sportifs car l’Etat et les collectivités locales en prennent en charge l’essentiel du financement alors que les effets sur la croissance et l’emploi sont souvent non significatifs statistiquement.
Pour la CDM 2018, les dépenses réalisées ont été largement concentrées sur les constructions de stades or un certain nombre d’entre eux sont largement surdimensionnés et il est très probable que leur utilité sera très limitée une fois la compétition passée (ce que l’on appelle des « éléphants blancs »). Quatre stades de la Coupe du monde avaient des clubs résidents en 2ème division russe lors de la saison 2017-2018 (Samara, Novgorod, Kaliningrad, Volgograd) et un stade avait un club résident en 3ème division (Mordovie). Le Rostov Arena et le Kazan Arena ont bien un club résident en 1ère division mais l’affluence moyenne récente (aux alentours de 10 000 spectateurs par match) est largement inférieure à leur capacité (respectivement 40 000 et 45 000 places). Les stade Otkrytie (Moscou) et Krestovski (Saint-Pétersbourg) font figure d’exception et leur taux d’utilisation devrait s’avérer relativement bon.
L’un des possibles effets positifs de la CDM 2018 pour l’économie russe pourrait être l’accélération du développement du secteur touristique, pour lequel la Russie accuse un grand retard. Il s’agit clairement d’un axe de développement pour le gouvernement russe puisque celui-ci a mis en place au début de l’année 2018 un système de remises de taxes pour les touristes étrangers. En 2015, seuls 26,8 millions de touristes internationaux se sont rendus en Russie, ce qui est faible par rapport aux 84,4 millions de touristes ayant visité la France par exemple et comparable aux chiffres de l’Autriche, un pays presque cinquante fois plus petit. Le potentiel de développement du tourisme de la Russie est donc important et la CDM 2018 peut constituer une opportunité d’améliorer l’image du pays hors de ses frontières. En effet, la Russie est perçue très négativement dans la plupart des grands pays du monde et surtout dans les pays européens proches (Allemagne, Pologne), ce qui ne peut que s’améliorer. Mais pour cela, il faudra qu’aucun incident majeur ne soit à déplorer…
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