Mais pourquoi posséder un club de football ?

Nous avions déjà abordé avec Alberto Francese et Baptiste de Leudeville dans l’article [ICI] les raisons qui pouvaient pousser un club à entrer en bourse et la question des motivations des investisseurs attirés par ces clubs. Mais nous avons aussi identifié dans l’article [ARTICLE1] que posséder un club est l’assurance d’absence de profits, ou d’absence de gloire, ou les deux en même temps. Alors pourquoi un propriétaire de club de football peut-il persister à vouloir détenir ce club ?

Qui sont les propriétaires des clubs ? Que recherchent-ils ?

Il y a en fait de tout. En termes de structure, les clubs de Premier League sont des sociétés commerciales ; les clubs français sont des SASP (Société Anonyme Sportive Professionnelle), un statut créé en 1999, voir [DRUT (2011)]), souvent l’émanation d’une association ; en Italie et en Espagne, on retrouve souvent un équivalent de la SASP, avec une particularité pour l’Espagne, puisque quatre clubs (FC Barcelone, Real Madrid, Athletic Bilbao, Osasuna) sont en modèle ouvert et appartiennent à leurs supporters. Le cas le plus surprenant est celui de l’Allemagne où l’association joue un rôle majeur et doit toujours détenir au moins « 50 % + 1 » actions, et ce en droits de vote, non sur les parts financières. Ainsi il est impossible en Allemagne pour un investisseur privé de prendre « par l’argent » le contrôle du conseil d’administration. [BANCEL et al. (2019)] précise la nature de l’actionnariat des principaux clubs européens : les investisseurs nationaux représentent environ 40 % des situations (personnes physiques, associations) ; un peu moins de 20 % sont détenus par des investisseurs internationaux (personnes physiques, fonds souverains ou fonds d’investissement) ; le reste est détenu en multipropriété via des holdings, des investisseurs privés ou… d’autres clubs (Manchester City via City Group détient par exemple Troyes en France).

Pourquoi détenir un club ?

Historiquement, beaucoup de clubs avaient un ancrage local, soutenus par une entreprise régionale ou nationale (Peugeot à Sochaux, Gazprom pour le Zenith Saint-Petersbourg). Comme [SZYMANSKI, KUPER (2015)] le précise, détenir un club est en général un moyen de faire parler de soi, de récupérer des contrats, d’entrouvrir les portes de milieux financiers ou politiques, de s’adosser à un projet immobilier ou, tout simplement, de permettre au propriétaire de se faire plaisir. Dans les faits, ce qui importe plus que le mode de détention est le mode de gouvernance (selon les termes de Luc Dayan, podcast de l’After Foot du 20 avril 2021), l’intention finale du propriétaire et sa conjugaison avec le projet sportif. Les situations gagnantes sont celles où ce mode de gouvernance permet un lien identitaire avec les supporters.

QUELQUES EXEMPLES

Si un club est voué à l’absence de profit tout en jouant les funambules budgétaires, quel est l’intérêt d’en posséder un ? Pour certains clubs, les intentions des propriétaires (du reste très dépensiers dans certains cas) peuvent être très personnelles. On prêtait à Frank McCourt, propriétaire de l’Olympique de Marseille, d’avoir des vues sur le Stade Vélodrome et ses terrains attenants pour un projet immobilier. De même, une rumeur prêtait pour intention indirecte au propriétaire de l’AS Monaco, celle de faire vivre le club pour obtenir à terme une naturalisation monégasque. Mais il ne s’agit pas de la règle. Explorons quelques cas illustratifs.

Le bon élève (à portée internationale) : le Bayern Munich

Le Bayern Munich est un cas particulier et finalement le meilleur exemple de ce que devrait être un club de football. Contrôlé par l’association, il s’appuie sur ses très puissants sponsors (Adidas et Audi) au fort ancrage local, qui sont de plus présents depuis longtemps et qui sont intimement liés à l’histoire du club. Il s’agit d’une marque internationale, aux infrastructures modernes, dont l’organigramme est pour l’essentiel composé de ses anciens joueurs, jusqu’au président. Quand il intègre l’organigramme, un cadre passe par toutes les strates du club, du terrain au marketing, avant de prendre son poste. Les comptes sont sains (la masse salariale n’est que de 40 % des revenus contre… 115 % à Barcelone), les coûts maîtrisés (voir [LES ECHOS (2020)]), aucun joueur n’est plus fort que l’institution, quelques coups sur les transferts sont tentés sur des opportunités de marché, le centre de formation fonctionne et l’armoire à trophées est pleine. La pandémie 2020-2021 a fait chuter les revenus mais pas au point de mettre le club en faillite. Un équilibre parfait entre identité, histoire, gestion, et succès.

Le bon élève (à plus petite échelle) : l’Atalanta Bergame

L’Atalanta Bergame ne peut prétendre au titre en Italie mais la « Déesse » est régulièrement présente au plus haut niveau européen. Le club a fait le choix de la survie par le jeu. L’entraîneur depuis 2016, Gasperini, a la mainmise sur tous les aspects sportifs. Il valorise sportivement des joueurs revendus très cher, et aussitôt remplacés par de nouveaux joueurs, substituables dans une organisation de jeu très précise. Si le club n’a pas vocation à tout gagner, il survit bien économiquement, séduit ses supporters par une philosophie de jeu affirmée. Le propriétaire Antonio Percassi est un ancien joueur (fait rarissime) ; il a racheté le club en 1990 pour en faire une place forte de l’identité bergamasque. Chaque nouveau-né de la province reçoit à sa naissance un petit maillot du club. Même si la portée est régionale, c’est l’illustration qu’en trouvant sa place, et en « racontant une histoire adaptée », les clubs peuvent fleurir à une échelle modeste (écouter le Podcast Big 5 – Le Jeu de l’Atalanta, Réconfort de Bergame du 7 août 2020). En France, avec des fondamentaux certes très différents, le cas de Lyon pourrait être cité dans ce paragraphe.

Les projets géopolitiques : PSG et Manchester City

Changeons de dimension. Même si différents, les cas de ces deux clubs sont finalement un peu liés. Leurs projets sont très divergents. Le PSG est la propriété du fonds souverain du Qatar, quand Manchester City est principalement la propriété du cheikh Mansour bin Zayed al Nayan des Emirats Arabes Unis, via le City Group.

Pour le Qatar, à l’orée des années 2010, l’objectif était de faire du soft power, de s’écarter de la dépendance énergétique au gaz, et trouver sa place sur la carte du monde, en s’identifiant à de grands évènements internationaux. Le sport était un bon moyen pour cela car porteur de valeurs universelles et positives. L’objectif est mondial, et ne vise en aucun cas la profitabilité. Le choix de Paris était très spécifique et très calculé. L’idée était de trouver une ville qui permette de se rapprocher d’acteurs majeurs politiques, financiers et culturels, dans un pays à même de les soutenir et d’offrir au Qatar des opportunités économiques différentes. Paris offre cette centralité et cette concentration de décideurs politiques et médiatiques, et permet de se rapprocher de démocraties internationales et de se faire connaître de leurs opinions publiques. Le fait que le PSG n’entre pas dans la Super League en est la preuve : il n’était pas question de mettre à mal une stratégie étatique pour économiser quelques dizaines de millions d’euros (1).

Le cas de Manchester City est différent car le but de l’achat du club est plus directement économique : fournir un grand levier d’influence, permettre de rechercher des opportunités et faire de l’optimisation fiscale. Il répond aussi à une logique de compétition par rapport à Dubaï. Contrairement au PSG, le City Group a une logique faîtière, est parrain de nombreux clubs « filiales », avec un projet sportif et des équipes techniques communes entre ses clubs. A titre indicatif, Qatar Sport Investment est seul actionnaire du PSG quand China Media Capital est aussi actionnaire de Manchester City. Mais dans les faits, l’argent déversé dans ces deux clubs a tout de même permis de nombreux succès sportifs (excepté la Champions League qui se refuse encore aux deux clubs). Pour une vue complète du sujet, conseillons le passionnant podcast Big 5 – L’autre PSG-Manchester City du 22 avril 2021.

La machine à cash : Manchester United

Manchester United était le club le plus riche du monde en 2005 lors de son rachat par la famille Glazer via une LBO et un fonds dédié portant la dette du club. A l’époque, il s’agissait probablement de la marque sportive la plus forte du monde. Ses recettes étaient extrêmement fortes, stables et régulières. Seize ans plus tard, c’est toujours le cas, un peu indépendamment du manque de résultats sportifs. La marque « ManU » perdure de manière autonome en dépit du fait que la politique sportive du club est illisible par les supporters comme par les observateurs. Les supporters ont certes grondé mais la situation s’est stabilisée car le propriétaire, s’il ne coule pas le club, n’a pas de relation affective avec lui ou ses supporters et n’a pas non plus cherché à enterrer le passé. Un lecteur intéressé pourra se référer au podcast Big 5 – L’énigme Manchester United du 26 septembre 2019.

Le trading : les fonds d’investissement

Un grand fantasme est celui de fonds spéculatifs qui achètent des clubs pour faire du trading (2). L’intérêt de ces fonds est compréhensible au vu des montants engagés (avant la pandémie de Covid du moins), de la passion des supporters, des liens toujours grandissants entre football, marketing et réseaux sociaux, et du potentiel de rentabilité du secteur (si les opérations sont bien menées). Chose amusante, le City Group, dont nous parlions plus haut, a récemment lui-même investi dans un fonds, comme quoi il n’y a pas que les fonds qui investissent dans les clubs, les clubs peuvent aussi lancer l’offensive inverse (voir [ECOFOOT (2021)]).

Pour le moment, si nous prenons l’exemple de la France, si certains clubs ont commencé à sortir gagnants de ce modèle (c’est le cas de Lille, champion de France 2021, mais au prix d’une grande instabilité institutionnelle), d’autres clubs comme Bordeaux se sont retrouvés en très grande difficulté, financière et sportive. Il faut comprendre que les fonds qui investissent sont souvent des fonds de capital risque pour lesquels le football constitue une « poche » marginale dans le portefeuille, un pari additionnel pour chercher du rendement diversifié. Outre la difficulté pour un fonds non spécialiste de structurer de A à Z un club (problème rencontré à Bordeaux) pour optimiser sa fonction de réponse financière, les sommes engagées au regard du reste de leur portefeuille sont faibles, et les gérants préfèrent couper leurs pertes plutôt que de maintenir le club en vie trop longtemps. Songez que le rachat d’un club français moyen se négocierait typiquement entre 20 et 100 millions d’euros. Pour poursuivre cette discussion, renvoyons à [Contribution AFTER FOOT (2021)].

Conclusion

Dans les années 80, quand le légendaire patron de la Juventus Giovanni Agnelli demandait à Michel Platini à qui appartenait le football, et que le meneur français répondait « Aux footballeurs », l’homme d’affaire lui aurait répondu « Non Michel, aux supporters et aux télés. » Après avoir passionné les foules pendant des années, le football se vit désormais différemment. L’époque où la télévision était le seul moyen de suivre un match a peut-être vécu et une révolution culturelle est en marche. Le football se suit désormais en pointillés, par morceaux, par résumés, par Youtube ou sur Twitch. L’industrie du football n’est finalement pas si grande et ne survivrait que difficilement à un changement de ses modes de consommation. Les principaux défis de cette industrie, outre la rationalisation forcée de son modèle économique, résident aussi dans une révolution de la diffusion, des interactions et des contenus médiatiques.

Notes

(1) Le transfert à 222 millions de Neymar, de Barcelone au PSG à l’été 2017, a par exemple été pensé en pleine crise du Golfe pour (re)donner de la visibilité au Qatar par rapport à ses puissants voisins dont l’Arabie Saoudite, détourner l’attention et en faire parler autrement dans une période complexe.

(2) Le terme de trading est utilisé un peu abusivement dans la presse et amalgame deux situations. Il recouvre à la fois les situations où des fonds spéculatifs achètent des clubs pour réaliser un profit par le biais d’achat / vente de joueurs ; et les situations où des clubs, quels que soient leurs propriétaires, intègrent comme source récurrente de revenus le fait de systématiquement dénicher des talents pour les valoriser peu de temps après.

Références

[Contribution AFTER FOOT (2021)] – https://afterfoot.media/o/Content/co516184/clubs-francais-endettes-operation-rachat

[BANCEL et al. (2019)] BANCEL, PHILIPPE, BELGODERE – Créer de la valeur dans le football, Comment évaluer les clubs et leurs actifs – Revue Banque (2019)

[DRUT (2011)] DRUT – Economie du football professionnel – La Découverte (2011)

[ECOFOOT (2021)) – https://www.ecofoot.fr/city-football-group-investissement-capital-risque-4474/

[LES ECHOS (2020)) – https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/football-le-bayern-munich-un-modele-de-gestion-financiere-en-europe-1234617

[SZYMANSKI, KUPER (2015)] SZYMANSKI, KUPER – Les attaquants les plus chers ne sont pas ceux qui marquent le plus – DE BOECK SUP (2015)

Guillaume Simon
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