Entretien avec Alberto Francese, Head of Corporate Broking Research, Intesa San Paolo
et Baptiste de Leudeville, Analyste financier actions, Kepler Cheuvreux

MĂȘme si vous ne vous intĂ©ressez pas au football, les acquisitions de grands clubs par des milliardaires amĂ©ricains, russes ou moyen-orientaux, les montants vertigineux des transferts de joueurs stars ou les remous considĂ©rables suscitĂ©s par le rĂ©cent projet « Super League » n’ont pu vous Ă©chapper. Mais savez-vous que certains clubs sont tout de mĂȘme cotĂ©s en bourse ? Variances.eu a interrogĂ© deux analystes financiers dont les domaines d’expertise touchent aux clubs de football. Alberto Francese suit entre autres la Juventus Turin, et Baptise de Leudeville l’Olympique Lyonnais (OL). Ils nous expliquent ici en quoi les clubs ne sont pas des entreprises comme les autres et en quoi le principe mĂȘme de leur cotation n’est pas si naturel.

Variances : En quoi les clubs de football se distinguent-ils des autres types d’entreprises que vous suivez ?

Baptiste de Leudeville : On peut d’abord souligner l’importance de la masse salariale. Pour les clubs professionnels, la masse salariale, essentiellement liĂ©es aux joueurs, est trĂšs significative, pouvant reprĂ©senter entre 50 Ă  80 % des revenus hors transferts. Certes, la vente de joueurs peut gĂ©nĂ©rer de grosses rentrĂ©es de cash mais cela reprĂ©sente un flux alĂ©atoire, malgrĂ© les efforts des clubs pour construire un modĂšle de rĂ©currence basĂ© sur la qualitĂ© de la formation et la recherche de talents (« scouting »). Le modĂšle des grands clubs est fortement capitalistique et les marges sont tĂ©nues pour accumuler et distribuer du capital aux actionnaires.

Ajoutons l’inĂ©vitable incertitude liĂ©e aux rĂ©sultats sportifs, dont la dĂ©gradation est susceptible d’entraĂźner une baisse des revenus. Par exemple, une non-participation Ă  la Ligue des champions peut reprĂ©senter un manque Ă  gagner annuel significatif de plusieurs dizaines de millions d’euros. Certes, l’évolution du format des compĂ©titions europĂ©ennes au cours des derniĂšres annĂ©es a sensiblement rĂ©duit cette incertitude, en permettant implicitement aux plus grands clubs de se qualifier plus rĂ©guliĂšrement pour la Ligue des champions, mais elle n’a pas disparu.

Par ailleurs, contrairement aux autres secteurs oĂč les grandes entreprises peuvent rĂ©aliser des Ă©conomies d’échelle, les grands clubs n’ont pas d’autres choix que de continuer Ă  investir dans des joueurs chers pour maintenir leurs performances sportives et leur attractivitĂ© commerciale. De plus, les grands clubs sont positionnĂ©s en bout de chaĂźne sur le marchĂ© des transferts. Ils consomment les joueurs davantage qu’ils ne les dĂ©veloppent, Ă  l’inverse des clubs de petite et moyenne taille qui peuvent espĂ©rer gĂ©nĂ©rer des plus-values consĂ©quentes en faisant Ă©merger des pĂ©pites et en les vendant assez cher Ă  de plus grands clubs.

Alberto Francese : Les Ă©quipes de football ont en effet l’option de pouvoir vendre leurs joueurs les plus chers, avec un effet positif en termes de rĂ©duction de dette (et donc de liquiditĂ©) et de renforcement de la structure de leur bilan via la plus-value rĂ©alisĂ©e.

V. : Expliquez-nous les méthodes que vous utilisez pour valoriser les clubs que vous analysez. 

A.F. : Les revenus proviennent des droits de retransmission tĂ©lĂ©visĂ©s, de la billetterie et des ventes de produits dĂ©rivĂ©s, tandis que les principales dĂ©penses, on l’a vu, viennent des salaires des joueurs. Du cĂŽtĂ© du bilan, le passif est assez simple. Les principaux actifs tangibles sont constituĂ©s par le stade, si le club en est propriĂ©taire, et le centre d’entraĂźnement ; les actifs intangibles, sous forme d’amortissement des contrats des joueurs, peuvent ĂȘtre importants.

Les clubs de foot sont gĂ©nĂ©ralement valorisĂ©s par la mĂ©thode des multiples des revenus (normalement considĂ©rĂ©s hors transferts de joueurs). Les principaux clubs (« Tier 1 ») sont valorisĂ©s 4 Ă  5 fois ces revenus hors transferts, les clubs de second rang (« Tier 2 ») de 2 Ă  3 fois les revenus. On peut ajouter une petite prime pour les clubs trĂšs bien gĂ©rĂ©s, comme l’OL dont les charges salariales ne reprĂ©sentent « que » 45 % des revenus. A titre d’illustration, l’acquisition de l’AS Roma par l’AmĂ©ricain Freidkin en aoĂ»t 2020 s’est faite sur la base d’une valeur d’entreprise d’environ 600 millions d’euros, soit un multiple des revenus 2019-2020 – qui Ă©taient de 144 millions d’euros – d’environ 4,2, tandis qu’en octobre 2020 Juventus se traitait sur le marchĂ© Ă  un ratio de 3,5 fois les revenus 2019-2020 : comme dans toute activitĂ©, les transactions sont habituellement rĂ©alisĂ©es Ă  des valorisations supĂ©rieures Ă  celles du marchĂ©.

On peut Ă©galement appliquer la mĂ©thode des cash-flows actualisĂ©s (DCF) avec une normalisation des flux de long terme, mĂȘme si elle est entachĂ©e d’une forte incertitude sur les revenus futurs liĂ©e notamment aux rĂ©sultats sportifs.

Dans le cas de la Juventus, je projette les estimations sur un horizon de trois ans, en spĂ©cifiant les hypothĂšses sous-jacentes. En matiĂšre de revenus, le sponsoring, dĂ©fini dans les contrats, le « merchandising », et les recettes du stade – quasiment tous les billets des matches de la Juventus sont vendus pour l’ensemble de la saison – ne sont pas trop difficiles Ă  estimer. Il en est de mĂȘme de la majeure partie des droits tĂ©lĂ©visuels : ceux liĂ©s aux matches de championnat national et aux compĂ©titions europĂ©ennes ; pour ces derniĂšres, je retiens l’hypothĂšse que le club atteindra les huitiĂšmes de finale, puis j’ajuste en fonction du parcours rĂ©alisĂ©. En matiĂšre de dĂ©penses, les coĂ»ts salariaux et les amortissements sont Ă©galement faciles Ă  prĂ©voir. Les plus-values constituent l’élĂ©ment le plus dĂ©licat. Pour les estimer, je projette habituellement une valeur rĂ©currente basĂ©e sur l’historique, en excluant les donnĂ©es aberrantes (par exemple en liaison avec la vente d’un joueur star une annĂ©e donnĂ©e).

J’effectue enfin une vĂ©rification en utilisant un panel de pairs, avec des clubs tels que Manchester United ou le Borussia Dortmund.

V. : Vous Ă©voquez les transferts de joueurs, expliquez-en nous le fonctionnement et les objectifs.

A.F. : Les clubs s’engagent dĂšs qu’ils le peuvent dans des opĂ©rations de transfert car une indemnitĂ© de transfert est enregistrĂ©e comme capital intangible au bilan et dĂ©prĂ©ciĂ©e sur la durĂ©e du contrat du joueur.

Dans le cas de transferts domestiques (en tout cas en Italie), contrairement aux transferts internationaux, il existe une forme de compensation entre les achats et les cessions de joueurs, de sorte qu’aucun mouvement de cash n’est enregistrĂ© d’un club Ă  l’autre. Toutefois, ces transferts peuvent dans certains cas gĂ©nĂ©rer de plus-values, avec un effet positif sur le compte de rĂ©sultat. Il s’agit donc d’une bonne opĂ©ration financiĂšre mĂȘme si son efficacitĂ© en termes de rĂ©sultats sportifs est plus difficile Ă  prĂ©voir.

V. : Il semble que la marque commerciale constitue un élément important de la valorisation des clubs. Dites-nous en plus.

B.L. : Les valorisations des clubs de foot en bourse sont principalement liĂ©es Ă  la marque, et celle-ci se construit sur le long terme. La marque est une source de revenus rĂ©currents Ă  travers les recettes de la billetterie, le sponsoring et les produits dĂ©rivĂ©s. On peut distinguer des marques globales telles que Manchester United, la Juventus de Turin, et d’autres plus locales, telles que l’Olympique Lyonnais, Dortmund ou Porto. Les grands clubs, en gĂ©nĂ©ral, gĂ©nĂšrent des revenus commerciaux bien plus Ă©levĂ©s de par leur attractivitĂ© auprĂšs du public, des annonceurs et des sponsors. Les clubs « de seconde catĂ©gorie » gĂ©nĂšrent moins de revenus commerciaux mais peuvent, s’ils sont bien organisĂ©s pour cela, faire de belles plus-values sur les transferts joueurs.

L’acquisition de Cristiano Ronaldo par la Juventus de Turin est l’investissement le plus marquant fait par un club de foot listĂ©. A l’époque, la Juventus, mĂȘme s’il a Ă©tĂ© toujours Ă©tĂ© un club extrĂȘmement populaire Ă  travers le monde, se faisait distancer par les clubs anglais et espagnols. Ce transfert a Ă©tĂ© un moyen formidable de remettre la marque Juventus au centre du jeu.

V. : Quelles sont les stratĂ©gies des clubs de football face Ă  l’incertitude sur leurs revenus ?

B.L. : La principale stratĂ©gie passe par la diversification. L’OL, par exemple, se dĂ©finit davantage comme une sociĂ©tĂ© d’« entertainment » que comme un simple club de foot. Son objectif est de maximiser les revenus liĂ©s Ă  la marque et aux infrastructures et, in fine, rĂ©duire la dĂ©pendance aux simples rĂ©sultats sportifs. A titre d’illustration, le club a un projet d’Arena pour l’organisation de spectacles sportifs et musicaux. Le club a Ă©galement fait l’acquisition d’un club de football fĂ©minin aux Etats-Unis[1] pour capitaliser davantage sur sa marque Ă  l’étranger. C’est le mĂȘme raisonnement qui a conduit l’OL Ă  licencier sa marque en l’échange de redevances pour l’ouverture d’un salon de coiffure (OL Coiffure), d’une auto-Ă©cole (OL Conduite) ou d’un magasin de disques (OL Musique) entre autres.

V. : Quels sont les avantages attendus d’une cotation sur le marchĂ© boursier, et qu’est-ce qui conduit au contraire certains clubs Ă  se retirer de la cote ?

A.F. : Le principal avantage attendu d’une cotation, comme pour toute autre entreprise, est l’ouverture du capital Ă  des investisseurs minoritaires intĂ©ressĂ©s Ă  soutenir son dĂ©veloppement. Si l’on considĂšre les clubs de football comme des marques ou des producteurs de contenus, ces investisseurs devraient en bĂ©nĂ©ficier Ă  travers des recettes de sponsoring plus avantageuses. De plus, l’apport de ces investisseurs minoritaires peut aider au dĂ©veloppement de l’entreprise, par exemple pour construire un rĂ©seau de distribution en Asie ou en AmĂ©rique, pour financer la production d’un contenu coĂ»teux, ou en achetant un grand joueur.

B.L. : Dans le cas de l’OL, la cotation a Ă©galement Ă©tĂ© une occasion d’aider au financement du nouveau stade, alors qu’un seul recours Ă  l’endettement bancaire n’était pas forcĂ©ment Ă©vident pour cette opĂ©ration. La cotation peut donc ĂȘtre thĂ©oriquement un processus vertueux.

V. : En dehors du marchĂ© boursier, qui sont gĂ©nĂ©ralement les propriĂ©taires des clubs ?  Et comment anticipez-vous l’évolution de leur dĂ©tention ?

A.F. : La structure de dĂ©tention des clubs a nettement Ă©voluĂ© ces derniĂšres annĂ©es. Aujourd’hui les propriĂ©taires de clubs de foot sont essentiellement des milliardaires (Manchester United, Arsenal, AS Roma) qui cherchent un effet d’image ou certains avantages pour d’autres de leurs activitĂ©s (comme l’immobilier dans le cas, selon la rumeur, du propriĂ©taire de l’Olympique de Marseille), et attachent moins d’importance aux rĂ©sultats sportifs. On peut Ă©galement citer le Qatar qui Ă  travers la propriĂ©tĂ© du Paris Saint-Germain essaie de construire du « soft power ».

En Italie, en dehors de Juventus qui est un cas atypique car depuis longtemps propriĂ©tĂ© d’un groupe familial, beaucoup de clubs sont dĂ©tenus par des entrepreneurs qui voient cet investissement comme l’une des composantes de leur groupe, international (dans le cas de l‘Inter, de l’AS Roma, de Bologne, de La Spezia) ou italien (Napoli, Lazio, Genoa, Sampdoria, Torino). Les propriĂ©taires internationaux sont gĂ©nĂ©ralement plus enclins Ă  investir dans leur club, notamment parce que le football est pour eux un moyen de renforcer la stratĂ©gie d’expansion de leur groupe sur le marchĂ© europĂ©en (voir par exemple l’acquisition de l’Inter Milan par le groupe chinois Suning), ou parce que cela contribue au dĂ©veloppement de leur marque ou de leurs activitĂ©s immobiliĂšres (Friedkin pour l’AS Roma). Les propriĂ©taires italiens s’efforcent davantage d’équilibrer les comptes, y compris via la vente de joueurs. Certains peuvent mĂȘme rĂ©aliser de belles opĂ©rations, comme l’entrepreneur Aurelio de Laurentiis qui a achetĂ© le club de Naples (l’ancien club de Diego Maradona) alors que celui-ci Ă©voluait en troisiĂšme division. A prĂ©sent, le Napoli est de nouveau l’un des principaux clubs italiens, qui s’appuie sur le gros potentiel de la ville de Naples et bĂ©nĂ©ficie d’une large base de fans et d’une notoriĂ©tĂ© internationale.

A l’avenir, les clubs de football pourraient ĂȘtre de plus en plus les cibles des fonds de capital investissement et des entrepreneurs internationaux, en tout cas s’agissant des grands clubs ou de ceux situĂ©s dans des pays oĂč ces entrepreneurs disposent dĂ©jĂ  d’intĂ©rĂȘts Ă©conomiques ou projettent d’en dĂ©velopper. On a dĂ©jĂ  vu des fonds spĂ©culatifs s’intĂ©resser aux clubs de football en France, par exemple avec Colony Capital au PSG jusqu’en 2011, King Street Ă  Bordeaux, Merlyn Partners Ă  Lille.

V. : Qui investit dans les clubs de football cotés ?

A.F. : Les investisseurs institutionnels sont rarement intĂ©ressĂ©s par ce type de placement. Certains d’entre eux sont nĂ©anmoins obligĂ©s d’investir dans le cadre de leur activitĂ© de gestion passive. C’est le cas pour la Juventus qui fait partie des indices reprĂ©sentatifs de la bourse italienne (actuellement de l’indice FTSE MID des valeurs moyennes). On peut aussi mentionner que la sociĂ©tĂ© d’investissement britannique Lindsell Train, dĂ©jĂ  premier actionnaire privĂ© du club Manchester United, dĂ©tient actuellement plus de 10 % du capital de la Juventus dans le cadre d’un renforcement de ses placements dans le secteur des loisirs et de l’« entertainment ».

Un autre segment de marchĂ© est constituĂ© par les investisseurs privĂ©s fortunĂ©s, qui interviennent habituellement Ă  travers des dĂ©pĂŽts bancaires administrĂ©s. Ainsi, la progression rapide du titre Juventus qui a suivi l’achat de Cristiano Ronaldo a entraĂźnĂ© des flux en provenance de ce type d’investisseurs.  On trouve enfin de « petits » investisseurs particuliers, qui dĂ©tiennent peu de titres mais sont, sous le coup de l’émotion, capables de faire bouger le cours de l’action en fonction des rĂ©sultats sportifs. Avec l’acquisition de Cristiano Ronaldo, le titre Juventus a pu bĂ©nĂ©ficier d’une forte liquiditĂ©, avec un volume de transactions supĂ©rieur certains jours Ă  celui enregistrĂ© sur le pĂ©trolier ENI ou le groupe automobile Fiat Chrysler, lui permettant d’intĂ©grer momentanĂ©ment l’indice FTSE MIB des 40 plus grandes capitalisations italiennes, dont la composition est ajustĂ©e mensuellement.

La raison pour laquelle nombre de clubs se sont retirĂ©s de la cote est probablement liĂ©e Ă  la faible liquiditĂ© des titres, en raison de leur capitalisation modeste et de leur modĂšle d’affaires non conventionnel. La cotation est aussi porteuse de complexitĂ© en termes de reporting et de transparence. A contrario, on peut souligner que la cotation pousse Ă  la transparence, et qu’elle peut permettre d’attirer un peu plus facilement les sponsors. Dans le contexte actuel d’engouement pour l’investissement ESG, le rĂŽle d’insertion sociale que jouent les clubs de foot peut Ă©galement, modestement il est vrai, ĂȘtre valorisĂ© par certains investisseurs.

 V. : Qu’en est-il des rĂšgles du « Fair Play Financier» ?

A.F. : Je ne suis pas un expert des rĂšgles du fair-play financier, mais je pense qu’elles ont eu peu d’impact. Elles peuvent ĂȘtre facilement contournĂ©es, par exemple via des contrats de sponsoring en lieu et place d’augmentations de capital.

V. : Quelques mots du projet Super League ?

B.L. : les plus grands clubs se rendent bien compte de la fragilitĂ© de leur modĂšle Ă©conomique. Ils n’arrivent pas Ă  gĂ©nĂ©rer des profits de maniĂšre rĂ©currente et Ă  la hauteur de leur statut de marque internationale. Le projet « Super League» Ă©tait une maniĂšre pour les grands clubs de crĂ©er une ligue a priori plus attractive pour le public et les partenaires et ainsi de capter une plus grande part du gĂąteau. Par ailleurs, un format de ligue fermĂ© ou semi-fermĂ© aurait eu l’avantage de rĂ©duire fortement l’incertitude liĂ©e aux rĂ©sultats sportifs. Le projet s’est heurtĂ© aux rĂ©actions nĂ©gatives des mĂ©dias, des supporters et des gouvernements, mais pourront-ils longtemps empĂȘcher l’émergence d’un football Ă©litiste sur le long terme si rien ne change par ailleurs, notamment via un plafonnement des salaires ou une limitation des transferts de joueurs ?

Il est trĂšs vraisemblable que le projet rĂ©apparaitra prochainement sous une forme ou une autre, dans le cadre de cette Ă©volution inĂ©vitable vers un football Ă©litiste. La formule actuelle des championnats nationaux intĂ©resse de moins en moins de monde. On le voit bien en France avec la baisse des audiences et les problĂšmes que l’on connaĂźt pour la distribution des droits TV de la ligue 1.

Propos recueillis par Guillaume Simon et Eric Tazé-Bernard

 

Mots-clĂ©s : Valorisation clubs de football – DĂ©tention clubs de football – Transferts de joueurs – Marque commerciale clubs de football – Super League


Glossaire : PlongĂ©e dans le compte de rĂ©sultat d’un club de football

Actifs tangibles : Les clubs n’ont que rarement des actifs tangibles Ă  dĂ©clarer au bilan. Dans ce cas ce sont des clubs possesseurs de leur stade, de leurs boutiques, de leur centre d’entraĂźnement.

Actifs intangibles : Les indemnitĂ©s de transfert dĂ©pensĂ©es pour « acheter » un joueur auprĂšs d’un autre club, peuvent ĂȘtre introduites dans le bilan comme actif intangible ou immobilisation incorporelle, puis considĂ©rĂ©es comme une charge dans le compte de rĂ©sultat. L’amortissement s’effectue sur toute la durĂ©e du contrat (les contrats sont limitĂ©s dans le temps ; au-delĂ  du terme prĂ©vu, ils sont libres de s’engager oĂč ils le souhaitent). [DRUT (2011)] dĂ©crit ce mĂ©canisme comme « l’impact nĂ©gatif du transfert, dĂ©calĂ© dans le temps sur le compte de rĂ©sultat ». Une rĂšgle de comptabilitĂ© stipule de plus que « les fruits de la vente d’un actif inscrit au bilan sont gĂ©nĂ©ralement dĂ©posĂ©s sur les comptes, l’intĂ©gralitĂ© de la somme Ă©tant rĂ©cupĂ©rĂ©e comptablement mĂȘme si le paiement s’effectue en plusieurs fois » (Pierre Rondeau, [AFTER FOOT (2021)]. Citons ici l’exemple de la page 53 de [BANCEL et al. (2019)]. Si un club achĂšte un joueur 20 millions d’euros sur un contrat de 4 ans, le contrat est amorti chaque annĂ©e Ă  hauteur de 5 millions. La valeur nette comptable est diminuĂ©e d’autant Ă  chaque exercice. Si le joueur est vendu Ă  deux ans de la fin de son contrat pour 25 millions (1), sa valeur comptable Ă©tant alors de 10 millions, la plus-value de cession est de 15 millions, et contribue alors aux rĂ©sultats comptables du club lors de la revente. Un joueur acquis libre ou formĂ© au club n’apparaĂźt donc pas dans le bilan comptable.

Plus-value fictive : Les clubs peuvent « échanger » des joueurs tout en payant des indemnitĂ©s de transferts trĂšs importantes (voir les multiples exemples donnĂ©s et l’article complet Ă©crit sur le sujet par Pierre Rondeau dans [AFTER FOOT (2021)]). Il ne s’agit pas de prĂȘt ou d’échange, mais bien de deux transferts payants, distincts mais simultanĂ©s. Des joueurs non essentiels changent de club et un flux est gĂ©nĂ©rĂ©. Surtout si le transfert n’est pas payĂ© tout de suite, lors de la premiĂšre saison, l’actif (joueur achetĂ©) est inscrit au bilan et la recette de transfert (joueur vendu) est ajoutĂ©e au compte d’exploitation. L’avantage instantanĂ© est clair, c’est un moyen de prĂ©senter un bilan Ă©quilibrĂ©, mais la situation ne doit pas changer pour que l’idĂ©e s’équilibre sur les saisons suivantes. Ce mĂ©canisme s’appelle la plus-value fictive et n’a rien d’illĂ©gal, le football ne constituant pas une exception comptable dans la lĂ©gislation europĂ©enne.

MĂ©thode des multiples : La valorisation d’un club de football se fait le plus souvent par la mĂ©thode des multiples. Pour Ă©valuer sa valeur de rachat, comme les cash-flows futurs sont trĂšs incertains, on estime la valeur d’un club comme typiquement entre 2 et 4 fois son chiffre d’affaires. Il est amusant de constater qu’une pĂ©riode de 2 ou 3 ans peut constituer un cycle de retournement sportif (Schalke 04 entre 2019 et 2021, ou Leeds United entre 2002 et 2004, qui sont passĂ©s de la Ligue des Champions Ă  la relĂ©gation) Ă  mĂȘme de mettre en pĂ©ril la pĂ©rennitĂ© du club.

DJ Stoxx Football : Indice historique (composĂ© d’une vingtaine de clubs cotĂ©s) oĂč l’on retrouvait des clubs Ă©cossais, allemands, turcs, scandinaves, mais relativement peu de tĂȘtes d’affiches. Les volumes Ă©changĂ©s Ă©taient faibles et [DRUT (2011)] cite le fait, qu’en 2014, le total de la capitalisation boursiĂšre des clubs cotĂ©s reprĂ©sentait 0,03 % de la capitalisation du DJ Eurostoxx 50. Le DJ Stoxx Football correspondait plutĂŽt Ă  un investissement de type buy-and-hold, sa corrĂ©lation avec le marchĂ© Ă©tait aux alentours de 30 % et l’indice a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© en aoĂ»t 2020 (2).

Notes

(1) La valeur d’un joueur est subjective, dĂ©pend du « marchĂ© », de l’ñge, des annĂ©es de contrat restantes, du poste et de l’offre des joueurs Ă  ce poste. Une vente peut donc se faire Ă  un montant diffĂ©rent de la valeur comptable enregistrĂ©e.

(2) “STOXX Ltd., the operator of Qontigo’s index business and a global provider of innovative and tradable index concepts, will discontinue the calculation and dissemination of STOXX Europe Football as of August 28th, 2020, without replacement.”https://qontigo.com/

Références

[DRUT (2011)] – Economie du football professionnel – La DĂ©couverte (2011)

[BANCEL et al. (2019)]CrĂ©er de la valeur dans le football, Comment Ă©valuer les clubs et leurs actifs – Revue Banque (2019)

[AFTER FOOT (2021)] – Foot et Fric, L’amour Ă  Mort – No. 1, EtĂ© 2021


[1] OL Reign basĂ© Ă  Tacoma dans l’Etat de Washington

Alberto Francese & Baptiste de Leudeville
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