Laure Debos est aujourd’hui co-executive VP d’Epsilon France, entité datamarketing du groupe Publicis. Un parcours fait d’injonctions, d’envies, de défis et surtout de rencontres enrichissantes, et décisives.

Laure, aînée d’une fratrie de quatre, passe son enfance sous le soleil niçois : une mère institutrice, française, un père italien, arrivé en France à 5 ans, pour lequel l’avenir de sa fille aînée se devait d’être conjugué entre mathématiques et école d’ingénieurs (comme il le fit lui-même). Les injonctions paternelles sont fortes sur l’adolescente, passionnée de littérature, se rêvant journaliste à défaut d’assumer totalement son envie d’écrire, des romans pourquoi pas ?

Laure rappelle le mantra paternel si souvent entendu « le plus inatteignable doit toujours être ton choix », manière de pousser sa fille aînée toujours plus haut, en la chargeant de surcroit d’être un modèle pour son frère et ses deux sœurs plus jeunes. Mais ces ambitions imposées, qui auraient pu casser un caractère moins fort que celui de l’adolescente, lui ont finalement donné une capacité d’acharnement pour décrocher un possible, qui à première vue, pouvait paraitre inaccessible.

Bac S en poche, Laure s’interroge sur le possible qui répondra à ses attirances littéraires et à ses compétences scientifiques : ce sera la filière MASS (mathématiques appliquées aux sciences sociales) nouvellement créée à l’université de Sophia-Antipolis. Et une première rencontre décisive pour la jeune étudiante : la directrice de cette filière, attentive, soutien indéfectible de ses étudiant.e.s parmi lesquel.le.s elle repère celles et ceux qu’elle pourra accompagner dans leur déploiement. « Dès notre première année, elle cherchait à nous connaitre, à comprendre nos envies, à estimer notre capacité à progresser. Elle fut pour moi une personnalité très inspirante et finalement décisive dans ma vie ». Pendant ces quatre années, Laure découvre l’économie, macro et micro, les probabilités, la sociologie … autant de matières qui lui offrent des sujets passionnants de convergence entre sciences et lettres. Finalement le monde n’est évidemment pas dichotomique !

La synergie entre la pression paternelle à « intégrer la plus grande école possible », la recommandation inspirante de la directrice de MASS « c’est la meilleure des formations en statistiques et le diplôme qui ouvre le plus de portes à la sortie » et la capacité de Laure à s’attaquer à des défis « inatteignables » l’amènent naturellement à présenter et intégrer l’ENSAE, en septembre 2001.

Quitter sa famille, ses très jeunes sœurs, le soleil du sud et être projetée dans une promotion de 150 étudiant.e.s, dont seuls 15 entraient en deuxième année comme elle, fut « très difficile, j’ai failli décroché à plusieurs reprises. Nous étions moins de cinq arrivant de province, les autres étaient soit des taupins entrés en 1° année après une classe préparatoire, soit des étudiant.e.s arrivant de Dauphine. Tout était différent de ce que je connaissais : les méthodes et la quantité de travail autant que l’état d’esprit régnant dans la promotion. » Laure ajoute « mais comme je suis plutôt sérieuse et bosseuse, je me suis mise à travailler d’arrache-pied ! ». Parallèlement, même si la plus grande part de la promotion, en ce début des années 2000, se destine à la finance ou au service public, voies qui ne tentent pas Laure, celle-ci découvre des applications plus sociales de la statistique, dans laquelle elle se retrouve mieux. Ils sont ainsi une vingtaine qui, comme elle, réfléchissent à une utilisation de leurs compétences au service du développement, explorant les carrières possibles à l’AFD, la Banque mondiale ou l’Unesco. « Les deux années que j’ai passées à l’ENSAE font partie des belles années de ma vie. Nous refaisions le monde avec l’espoir de pouvoir y participer activement grâce à ce que l’on nous enseignait. Je m’y suis fait des ami.e.s qui sont encore très proches, même si parfois des milliers de kilomètres nous séparent ».

Cependant, quand en dernière année d’école, les groupes de travail sont proposés, Laure se souvient de son envie de journalisme et déclare aujourd’hui en riant : « j’ai fait un putch ! J’ai envoyé à toute la promotion un message disant en substance : le groupe de travail sur la télévision, c’est pour moi ! Rejoignez-moi si vous voulez, mais je prends ». Belle démonstration à l’époque, qui l’étonne encore, de ce qu’elle transmet aujourd’hui aux femmes et aux hommes qu’elle manage : « je crois vraiment que lorsque l’on veut quelque chose, il faut aller le chercher, sans attendre qu’on vous le propose. Se faire confiance et oser ». Groupe de travail puis recrutement chez Carat Expert, filiale d’expertise d’une agence media du groupe Aegis, pour y créer des modèles d’optimisation des audiences, d’abord pour la télévision puis pour les autres media.

Dans le même temps, Laure épouse Yann, alumni promotion 2002, leur petite Colombe nait deux ans plus tard.

Laure Debos rêvait de télévision, de programmes. Elle trouve autre chose chez Carat Expert qui réveille en elle des vibrations, peut-être en résonance avec celles de sa mère institutrice : le plaisir de transmettre, de faire comprendre, de rendre simple les choses compliquées, de voir l’autre progresser, s’ouvrir, se dépasser parfois. La fonction de Laure est une fonction d’expertise. Elle y ajoute l’ambition de ne pas être celle qui sait aux côtés de ceux qui vendent, mais bien de former, de révéler à chacun le sens des chiffres et des modèles qu’elle construit. « Je me suis passionnée pour cette pédagogie de terrain auprès des commerciaux, j’ai adoré challenger la fonction commerciale de cette manière et j’ai touché du doigt que toutes les expertises du monde ne prennent leur sens et leur efficacité que lorsqu’elles peuvent être comprises et transmises par les non-spécialistes. Cela signifie que les experts écoutent et comprennent eux-mêmes les enjeux marketing, commerciaux et stratégiques de leurs interlocuteurs, et inversement ». Dix ans avant l’explosion de la place des data-scientists au sein des organisations, Laure Debos souligne déjà la nécessité de dialogue et de compréhension mutuelle entre les opérationnels et les experts. Elle ajoute : « cela signifie aussi que le travail en binôme doit être synonyme de rencontres, d’ouverture et d’écoute de l’autre. J’ai expérimenté cela avec les commerciaux de Carat, et cette expérience fut fondatrice pour moi. Je ne savais pas que cela serait un des ressorts essentiels du plaisir que je trouve aujourd’hui dans le management de mes équipes ».

Après quatre années, Laure quitte Carat Expert pour rejoindre ZénithOptimedia, « une agence à taille humaine, en forte croissance, attachée à des valeurs familiales, faites de bienveillance, de soutien aux équipes, et cultivant une culture d’entreprise associée à un fort sentiment d’appartenance ». Laure y acquiert d’autres compétences qui viennent s’appuyer sur celles acquises chez Carat : « j’aimais transmettre, expliquer, j’allais pouvoir le faire lors d’importants appels d’offres, dans un contexte de compétition d’agence sous une pression extrême que j’expérimente et dans laquelle je me découvre, sachant garder mon calme, ma capacité à convaincre, et mon sourire » ajoute-t-elle.

A 27 ans, soutenue par son management qui lui donne toute sa confiance, et elle le souligne, Laure va ainsi se déployer sur ses différentes facettes. « En me faisant totalement confiance mes managers m’ont appris à avoir confiance en moi, à oser et à me lâcher. Finalement, ce n’est souvent que la peur qui nous empêche de faire. Ce sont nos propres barrières qui nous limitent ». De responsable data, elle devient patronne du département, et doit manager ses anciens alter ego et des équipes de plus en plus importantes ; puis elle participe à des projets pour de gros clients à l’international et doit surmonter ses craintes quant à la fluidité de son anglais … « Ces années m’ont montré qu’arrivée avec des compétences techniques, j’avais surtout utilisé et développé ce que l’on appellerait aujourd’hui mes soft skills : la confiance en moi, la créativité, le sens de la communication, le leadership, l’écoute, l’engagement ». Et Laure d’insister :  « Ce sont ces qualités d’être qui, complémentaires de leurs compétences professionnelles plus techniques, permettent aux femmes de dépasser leurs propres peurs mais aussi les limites qu’elles trouvent encore trop souvent sur leur chemin ».

Sans prétention aucune, Laure Debos a conscience que son parcours peut être un modèle inspirant pour nombre de jeunes femmes. Elle a aujourd’hui trois enfants, elle co-dirige une entreprise de près de 800 personnes, elle continue à lire sans modération, à passer du temps, autant qu’elle le peut, en famille et au contact de la nature, essentielle à son équilibre. Lorsqu’Ensae Alumni lui propose d’être marraine de la promotion 2019, elle est « touchée, honorée et n’hésite pas. J’ai eu envie par cette relation privilégiée avec les étudiants et, encore plus, avec les étudiantes de leur faire partager ma conviction que rien ne doit leur sembler impossible ».

En 2016, à 36 ans, Laure Debos rentre au Comex de ZenithOptimedia devenu Publicis Médias, et en devient, un an plus tard, Directrice générale en charge du centre d’expertise Data, Techno, Analytics et Insights réunissant les équipes françaises data sciences du groupe Publicis.

Que lui inspire cette évolution ? : « Je retiens de ces années ce qui est pour moi capital dans mes fonctions : le management. En six ans, je suis passée de quelques personnes managées à une équipe de 50 (et je ne savais pas ce qui m’attendait en 2019 !) et cela m’a passionnée. J’ai trouvé là ce qui m’anime : le plaisir de voir se déployer l’autre par ma capacité à croire en lui ou en elle. Savoir l’écouter, le comprendre, s’adapter, repérer ses forces et son potentiel, mais aussi ses auto-limites. Je crois profondément que tout profil peut évoluer. C’est au manager d’estimer le potentiel de développement, de le rendre visible, d’imaginer les challenges adaptés et de soutenir par sa confiance le collaborateur ou la collaboratrice qui est alors en position de se faire confiance et d’oser.

C’est un peu mon histoire professionnelle que je décris, ces nouveaux défis que l’on m’a proposés au fil des années, et que j’ai pu affronter parce que j’ai senti la confiance totale que l’on me faisait. Mais il a fallu que je travaille beaucoup sur moi et là ce n’était plus des modèles mathématiques à écrire mais bien une réflexion sur mon caractère et une meilleure connaissance de moi : je suis déterminée, j’ai appris à être dure avec moi-même, à ne pas m’économiser, à être d’une grande exigence. Cela aurait pu faire de moi une manager dure avec les autres, exigeante au-delà des capacités de l’autre. Pourtant, ma tendance naturelle, contre laquelle j’ai dû lutter, fut le plus souvent d’épargner à l’autre ce que je m’infligeais, de protéger, d’hésiter à déléguer, de materner. J’ai mis du temps à comprendre que ce n’était finalement qu’une marque de défiance vis-à-vis de l’autre et que cela ne lui permettrait pas de développer son propre potentiel. J’ai appris à faire confiance, à accepter de perdre le contrôle, et de fait, à donner confiance à l’autre, à lui proposer les défis qui le feraient grandir ».

Suite au développement de Publicis ETO centré sur les data issues des actions CRM et au rachat de Soft Computing, le groupe Publicis décide en 2019, en y associant les équipes data sciences françaises, de créer une seule entité d’analyse des data à des fins de data marketing, CRM et mass-personnalisation. Ce sera Epsilon France, membre du réseau international Epsilon (9000 collaborateurs, 40 pays) qui fusionne le centre d’expertise data dirigé par Laure Debos, Publicis ETO et Soft Computing : 750 collaborateurs, data scientists, digital marketers, business analysts, IT experts, dont Laure Debos et les deux dirigeants de Publicis ETO et de Soft Computing sont les trois co-executive VP.

« Beaucoup de nouveaux challenges ! Tout d’abord, une co-direction est toujours un subtil équilibre quotidien à trouver, respectant chacune et chacun tout en créant des synergies fertiles. Je suis la plus ancienne dans le groupe, je dirigeais la structure la plus petite des trois fusionnées, j’ai mon caractère, mes convictions, mes acquis comme chacun des deux autres co-dirigeants. Bel exercice à pratiquer de manière positive et constructive. Par ailleurs, il nous faut tout inventer, Epsilon est une nouvelle structure, fusionnant des personnes, des méthodes de travail, des offres, des cultures très différentes qui doivent créer ensemble une entité homogène à l’identité et aux valeurs fortes. Chacune et chacun doit avoir l’impression d’avoir gagné et grandi dans l’aventure. C’est passionnant ! ».

Interrogée sur son propre rôle dans cette aventure, Laure répond : « pour moi, c’est un vrai changement de dimension. Je dirigeais un département d’une cinquantaine de personnes, je dois aujourd’hui co-créer une entreprise, en définir la vision et les objectifs, choisir et revendiquer les valeurs qui vont la porter – et en ce temps de Covid, notre aspiration à plus de sens s’impose plus que jamais -, déployer les moyens, offres-marketing-production, la piloter au jour le jour, parler RH, finances, services généraux, communication… tout cela en résonance avec la stratégie générale de notre groupe d’appartenance. Formidable et passionnant challenge personnel ! ».

Enfin, pour conclure notre entretien, je tente la question facile « toi, dans 15 ans ? ». Laure écarquille un peu les yeux et répond : « Je ne sais pas. Une certitude est que mon présent me passionne et me remplit totalement. Je m’y consacre avec un enthousiasme sans faille. Et je veux réussir ! Je voulais être journaliste, les médias me fascinaient, je voulais trouver du sens à mon action… tout cela est encore là et s’incarne de différentes manières dans mon activité professionnelle. Je suis ici aujourd’hui grâce en grande partie à de belles rencontres qui m’ont inspirée, stimulée, qui m’ont fait confiance et m’ont permis de me déployer. D’ici 15 ans, j’aurai fait de nouvelles rencontres, je ne m’interdis rien. Une certitude, aujourd’hui comme dans 15 ans, mon métier me permettra de transmettre, d’être en connexion avec les autres ».

 

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