Cet article est tiré du Cahier Louis Bachelier n°36, publié en avril 2020″ : https://www.louisbachelier.org/les-enjeux-des-nouvelles-technologies-en-finance/


Pour remédier à la relative frilosité des ménages à l’égard des marchés financiers et les aider à diversifier davantage leurs placements, les robots-conseillers peuvent constituer une alternative prometteuse aux conseillers humains, en prodiguant des conseils plus personnalisés. Une étude scientifique récente s’est intéressée à cet outil en plein développement au sein des gestionnaires d’actifs et institutions financières.

D’après Robo advising, attention, and long-term investment, écrit par Milo Bianchi et Marie Brière, ainsi qu’un entretien avec cette dernière

Le marché des robots-conseillers (robo-advisor en anglais) est en pleine expansion depuis la mise sur le marché du premier outil de ce type aux États-Unis en 2008, période marquée par la terrible crise financière liée aux subprimes. De fait, les actifs sous gestion des robots-conseillers ont bondi de 47,1 % sur l’année 2019, pour atteindre 1 277 milliards de dollars (1,3 trillion) répartis entre plus de 70 millions d’utilisateurs à travers le monde, d’après Statista. D’ici à 2023, ce marché devrait croître annuellement de 21 %, selon les prévisions du fournisseur de données basé en Allemagne. « Même si le taux de pénétration des robots-conseillers est encore marginal, il devrait poursuivre sa croissance dans le futur, notamment auprès des jeunes générations dans les pays développés. Dans les pays en développement, comme la Chine, les outils financiers digitaux constituent un moyen de financiariser rapidement certaines catégories de population », précise Marie Brière.

Améliorer les décisions des investisseurs individuels

Le développement grandissant des robots-conseillers s’appuie sur plusieurs besoins à la fois pour les professionnels de la gestion et les investisseurs particuliers. D’une part, une réduction des coûts, une amélioration de la relation-client avec davantage de personnalisation des offres ou encore la limitation des conflits d’intérêts des conseillers humains constituent des axes d’amélioration essentiels. D’autre part, les décisions d’investissement prises par les ménages sont généralement entachées de nombreux biais, comme l’a largement démontré la littérature scientifique. De fait, les investisseurs particuliers concentrent plusieurs lacunes comme une moindre participation aux marchés financiers, en particulier la Bourse, un manque d’attention sur leurs investissements, une faible diversification de leurs placements, des biais de familiarité (préférence nationale, etc.) dans leurs décisions, souvent liée à un déficit d’éducation financière.

Pourtant, parallèlement à ces constats, dans plus de 7 cas sur 10, les investisseurs particuliers consultent un conseiller humain pour souscrire des produits financiers en Europe et aux États-Unis. Dès lors, plusieurs questions de recherche émergent : existe-t-il des synergies entre les robots et les conseillers humains traditionnels ? Quels sont les impacts de ces outils sur les décisions des investisseurs particuliers ? Quelles sont les caractéristiques des utilisateurs ? Il faut préciser que les robots-conseillers orientent les investisseurs en fonction de leurs profils respectifs après un questionnaire détaillé (situation financière personnelle, objectifs d’épargne, horizon des placements, appétence pour le risque…).

Une étude sur le comportement des investisseurs utilisateurs de robots

Pour répondre aux problématiques préalablement listées, les chercheurs ont conduit une étude spécifique portant sur un échantillon d’environ 20 000 utilisateurs de robots-conseillers en France durant une période de deux ans. « L’analyse de l’impact des robots-conseillers est très intéressante, car c’est l’un des seuls domaines de la finance dans lequel nous pouvons étudier les interactions entre les humains et les machines », souligne Marie Brière, tout en ajoutant que : « Notre étude s’est portée sur un robot-conseiller spécialisé en épargne salariale, un marché très important en France ». Concrètement, chaque entreprise disposant de plans d’épargne salariale, propose à ses salariés de placer son épargne salariale dans une offre de fonds dédiés. Dans le cadre d’un Plan d’Epargne Entreprise, l’argent est bloqué minimum 5 ans, et jusqu’à la retraite dans un Plan d’Epargne Retraite, sauf cas de déblocage anticipé. L’épargne est donc plutôt orientée vers des objectifs de long terme. Ensuite, la gestion d’actifs est déléguée auprès d’une société de gestion. L’offre du robot-conseiller a été introduite graduellement à partir de 2017 auprès des salariés, qui ont eu l’opportunité de souscrire ou non au service. « Nous avons comparé les comportements différentiels des investisseurs sur plusieurs variables avant et après la souscription au robot-conseiller, en les comparant à une population test[1], qui n’avait pas été exposée au robot », relate Marie Brière.

Le robot accroît l’attention et la réactivité des investisseurs…

Si de nombreux travaux ont démontré que les investisseurs particuliers sont peu attentifs à leurs placements par manque de temps ou pour éviter de mauvaises surprises sur leurs performances financières, le recours au robot-conseiller semble positif sur l’attention des investisseurs. Cette dernière a notamment été mesurée par le nombre mensuel de connexions d’un investisseur sur ses comptes d’épargne ou le nombre de transactions effectuées. « L’attention des investisseurs est particulièrement élevée durant les premiers mois suivants la souscription au robot. Ce résultat est très intéressant. Il est ainsi possible d’imaginer une complémentarité entre les décisions humaines et celles guidées par le robot, sans forcément les opposer », détaille Marie Brière.

… et leurs performances financières

Outre l’amélioration de l’attention, le robot-conseiller accroît la diversification des placements des investisseurs, alors que c’est une de leurs lacunes observées historiquement. Ce résultat se traduit également par la détention de davantage de placements risqués, et notamment de fonds diversifiés, par rapport aux investisseurs non-utilisateurs du robot. Quant aux performances financières, elles sont en moyenne plus élevées chez les souscripteurs du robot. « Notre travail n’est pas terminé, nous devons le poursuivre pour affiner et confirmer ces premiers résultats. Peut-être que, dans la tourmente actuelle des marchés, nos résultats seraient différents, alors qu’entre 2017 et 2019, les bourses ont beaucoup progressé », tempère Marie Brière.

Enfin, le profil des utilisateurs n’était pas forcément celui auquel on pouvait s’attendre a priori. En moyenne, ils sont jeunes, de sexe masculin, ont un patrimoine (dans le cadre de l’épargne salariale) supérieur à la médiane. Ce sont des individus déjà relativement attentifs à leur épargne. Par conséquent, il n’est pas clair que les robots-conseillers puissent attirer un public plus éloigné des marchés financiers, comme les personnes aux revenus modestes ou avec une éducation financière plus limitée. En attendant une éventuelle démocratisation des robots-conseillers – qui ont de nombreux avantages comme de faibles coûts, une plus grande transparence et des recommandations personnalisées – la population devra adhérer au concept, alors que l’aversion aux algorithmes est particulièrement palpable.

 

A retenir :

– La souscription à un robot-conseiller augmente l’activité et l’attention des investisseurs. Ce résultat suggère une certaine complémentarité entre jugements humains et ceux émanant des machines.

– En moyenne, le robot-conseiller étudié a amélioré les décisions des investisseurs individuels en termes de performance et de diversification.

– Les clients actuels des robots-conseillers sont composés majoritairement de jeunes, d’hommes et de personnes ayant un patrimoine et une attention à leur épargne plus élevés que la moyenne de la population. Il n’est pas encore clair que ce type de service puisse toucher des pans de la population plus éloignés des marchés financiers.

Méthodologie :

Les chercheurs ont étudié l’impact des robots-conseillers sur les performances d’investissement et les caractéristiques de leurs utilisateurs. Pour ce faire, ils ont eu accès à une base de données d’environ 20 000 clients d’un robot-conseiller en épargne salariale proposé par un grand gestionnaire d’actifs européen sur une période de deux ans, ainsi qu’aux données d’une population test. Après avoir réparti leur échantillon dans un groupe test et un groupe de contrôle, ils ont analysé les différentes variables en utilisant la méthode d’expérimentation statistique des doubles différences, afin de comparer les comportements différentiels des investisseurs avant et après la souscription au robot-conseiller, comparés à la population test.

Biographie :

Marie Brière est responsable du Centre de recherche aux investisseurs chez Amundi, professeur associée à l’Université PSL Paris-Dauphine et présidente du comité scientifique du Forum International des Risques Financiers (Risk Forum). L’article scientifique est écrit avec Milo Bianchi, professeur de finance à la Toulouse School of Economics et membre des Sustainable Finance et Digital Finance Centers à TSE et de LTI@UniTO.


[1] L’échantillon de test est issu d’un tirage aléatoire fait au sein de la population globale des épargnants, restreinte aux individus « actifs » (c’est-à-dire ayant fait au moins une transaction sur leur compte en 2018). Les caractéristiques de cet échantillon sont très proches de celles de la population globale.

 

Marie Brière