Tu es le directeur général de STOA, une société qui gère un fonds d’infrastructure un peu particulier. Peux-tu présenter ses activités?

STOA a été créé en octobre 2017. En grec ancien, stoa signifie le péristyle, la colonnade, l’infrastructure donc qui protégeait les philosophes qui sont devenus les stoïciens, ceux qui réfléchissent en marchant sous le stoa… Nous finançons donc en effet des infrastructures, et nous sommes stoïques ! STOA est une filiale de la Caisse des dépôts (CDC) et de l’Agence française de développement (AFD), dotée de 600 M€ pour financer en fonds propres des infrastructures dans les pays en développement. C’est l’instrument equity qui manquait au système de financement international public français (AFD, Proparco, BPI, Trésor) pour accompagner les entreprises françaises sur les grands projets d’infrastructures dans les pays émergents et en développement, qu’il s’agisse des projets d’énergie, de transport, de télécommunications, d’environnement (eau, déchets…) ou sociaux (éducation, santé…).

Peux-tu nous donner quelques exemples de vos interventions ?

En deux ans, nous avons investi dans six projets, pour environ 200 M€. En 2018 nous avons investi dans deux projets d’énergie renouvelable en Inde et au Cameroun. En Inde, une joint-venture détenue à parts égales avec Engie a été créée pour financer des projets éoliens pour une capacité à terme d’au moins 700 MW. À travers ce projet, STOA contribue à réduire le prix moyen de l’électricité en Inde et à renforcer l’indépendance énergétique du pays. À terme, ce projet permettra de répondre aux besoins de plus de 2,3 millions d’habitants et d’éviter l’émission de 2 millions de tonnes de CO2 chaque année. Au Cameroun, STOA a investi aux côtés d’EDF pour concevoir, construire et exploiter un barrage hydroélectrique de 420 mégawatts à Nachtigal, village situé à 65 kilomètres de la capitale Yaoundé. En février 2019, cette initiative a reçu le prix du projet de l’année de Project Finance International dans la catégorie des financements multilatéraux. Au moment de sa mise en service – prévue pour 2023 –, le barrage de Nachtigal sera en effet le plus important barrage développé sur le continent africain en financement de projet. Il permettra de répondre à environ 30 % de la demande d’électricité au Cameroun tout en générant de l’énergie à un coût compétitif.

En 2019 nous avons élargi notre champ d’intervention aux secteurs des télécommunications et des transports. Quatre nouveaux projets ont nécessité une grande expertise et prouvé notre capacité à financer des initiatives à fort impact dans les pays émergents et en développement – et notamment en Afrique où se concentre l’essentiel des investissements réalisés cette année. STOA est entrée au capital de la société canadienne JCM Power, société indépendante, spécialisée dans le développement et l’exploitation de projets d’énergies renouvelables dans les pays émergents et en développement,  participant ainsi à la réalisation de six projets à fort impact en Afrique, en Amérique latine et en Asie, dont deux projets sont en cours de mise en œuvre au Malawi et au Pakistan.

Un investissement a été réalisé pour la première fois dans le secteur des transports en prenant une participation dans la société GSEZ Ports qui exploite le port d’Owendo au Gabon à côté de Libreville, une infrastructure de premier plan qui contribue à dynamiser l’économie nationale et à la rendre moins dépendante de l’industrie pétrolière. Et nous avons pris deux participations dans le secteur des télécommunications. La première dans la société sud-africaine MFN, Metro Fibre Network, spécialisée dans la fourniture de réseaux de fibre optique. Cet investissement dans un secteur clé contribue à dynamiser l’économie du pays en permettant de développer un internet rapide et abordable. La seconde dans la société Etix Everywhere, un développeur et opérateur mondial de data centers. Implantée en France, cette société possède douze data centers à travers le monde, fournissant en tout plus de 50 mégawatts de capacité de colocation. Le soutien apporté par STOA, aux côtés d’autres investisseurs internationaux, lui permet aujourd’hui de s’orienter vers les marchés émergents, notamment au Ghana et au Maroc. Une extension qui devrait renforcer le potentiel de performance des entreprises locales et, in fine, réduire la fracture numérique qui touche les pays émergents et en développement. Cette participation a depuis été revendue, avec plus-value, car la société a été rachetée par des actionnaires qui n’avaient plus l’ambition de se développer en Afrique.

J’imagine que l’objectif de STOA est d’être rentable mais pas seulement. Quels sont les impacts attendus de ses investissements, notamment en termes d’activité locale ? Comment les directeurs d’investissement prennent-ils en compte les paramètres environnementaux ?

STOA finance généralement ces projets sous forme de Partenariat Public Privé (PPP), en prenant des participations dans des sociétés de projet (SPV) aux côtés de partenaires industriels qui construisent, gèrent et entretiennent ces infrastructures pendant la durée de vie du contrat. Ce contrat prend souvent la forme d’une concession attribuée par l’Etat, après appel d’offres, ou bien de gré à gré, lorsque des entreprises proposent directement à l’Etat de réaliser une infrastructure pour résoudre un problème spécifique. Ces durées varient suivant les projets, leur durée de vie, et peuvent aller jusqu’à 35 ans pour des barrages hydroélectriques, dont la construction prend plusieurs années, dont le coût est élevé et nécessite d’être amorti sur une longue période.  Chaque contrat est bien entendu différent, et doit permettre à toutes les parties prenantes de trouver leur intérêt. Le projet peut être rentable en soi, c’est-à-dire dégager suffisamment de ressources pour rétribuer les actionnaires de la SPV, et verser un « loyer » au concédant ou offrir un tarif acceptable du service rendu à la population. C’est généralement le cas des projets de production d’électricité ou des projets de télécommunication. Mais souvent dans les pays en développement le projet nécessite qu’il soit soutenu, à côté de l’argent privé investi, par de l’argent public qui vient en subventions compléter le plan de financement. C’est le cas des autoroutes par exemple, parce que le trafic prévu, et surtout le niveau de péage acceptable par les populations sont trop faibles pour permettre la réalisation du projet uniquement sur fonds privés. Avant de prendre la décision d’investir, nous faisons tourner nos modèles pour trouver l’équilibre financier du projet suivant différentes hypothèses, de coût de construction, de trafic, de péage dans le cas d’autoroutes, de prix de l’électricité  dans le cas de barrages, etc. Et nous proposons un schéma de financement qui puisse être accepté par le concédant et le concessionnaire, dans lequel notre rentabilité, notre TRI soit bien pris en compte. Nous recherchons bien évidemment des rentabilités de marché. C’est la condition de la crédibilité et de la pérennité de notre fonds, qui pourra réinvestir les bénéfices réalisés dans de nouveaux projets, verser des dividendes à nos actionnaires, et lever de nouveaux fonds lorsque nos premiers 600 M€ auront été investis.

Mais STOA est aussi un fonds à impact. En avril 2019, nous avons été l’un des premiers signataires des Operating Principles for Impact Management de l’International Finance Corporation (IFC), filiale de la Banque mondiale. Nous voulions à travers cette signature renforcer notre engagement en tant qu’investisseur de long terme. Notre ambition est en effet d’établir des partenariats de long terme dans des secteurs stratégiques pour répondre aux besoins des populations en infrastructures essentielles sur les marchés émergents, favorisant ainsi le développement d’économies durables et résilientes. L’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies est au cœur de l’activité, et les impacts de chaque projet que nous finançons sont évalués selon les ODD, dont le développement économique des pays, le nombre de créations d’emplois, et aussi le climat. Notre engagement climat repose sur trois piliers : promouvoir les trajectoires bas-carbone – 30 % de nos investissements sont consacrés à des projets à co-bénéfice climat –, financer des projets résilients face au changement climatique et rediriger les flux financiers pour catalyser l’investissement en faveur des projets à co-bénéfice climat dans les pays en développement. Pour élargir l’accès à une énergie fiable, sobre en carbone et abordable, les projets d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique sont privilégiés. Nous refusons notamment d’investir dans des projets de production d’énergie à base de charbon.

De manière plus générale, compte tenu des secteurs et des zones, y a-t-il des risques spécifiques qui sont examinés ?

Nous avons conscience que ces pays présentent un certain nombre de défis, notamment sur les plans environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). C’est pourquoi l’évaluation de ces risques ESG est pour nous aussi importante que l’analyse de la performance financière d’une opportunité d’investissement. Par risques de gouvernance, j’entends les risques de corruption, de blanchiment, de financement du terrorisme, d’évasion fiscale… Les risques liés à nos interlocuteurs dans ces pays, qui peuvent être des personnes politiquement exposées (PPE), liées à des régimes corrompus ou dictatoriaux, dont l’origine de la fortune est douteuse… Lorsque le moindre doute existe sur l’un de ces risques, nous lançons des recherches approfondies, nous faisons appel à des cabinets spécialisés, et si le doute subsiste, la décision de ne pas investir est prise. La prise en compte de ces enjeux est essentielle pour contribuer à un développement équilibré et soutenable dans les pays où nous investissons, et il n’est bien évidemment pas question, compte tenu de nos actionnaires, que nous prenions le moindre risque réputationnel.

Quels sont les projets pour 2020 ?

En 2020 nous avons l’ambition d’investir à nouveau environ 100 M€ dans des projets à la fois rentables et à fort impact sur le développement, tout en accompagnant les entreprises françaises sur les marchés émergents. Nous examinons des projets en Amérique Latine, où nous n’avons pas encore investi, mais cela devrait changer en 2020, en Asie du Sud-Est, notamment dans le secteur énergétique, et surtout en Afrique, qui reste notre priorité. Cet objectif ambitieux risque néanmoins d’être impacté par la crise sanitaire actuelle due à la pandémie du Covid 19, dont les conséquences sur l’économie mondiale vont être très fortes, et tout particulièrement dans les pays en développement dont les économies sont plus fragiles.