La régulation des systèmes de pension des différents pays de la zone Euro est aujourd’hui très hétérogène. Elle dépend du pays, mais également du type d’institutions fournissant des pensions. Ainsi, les IORP (Institutions for Occupational Retirement Provisions), institutions de retraite obligatoire faisant partie du pilier 2[1] des systèmes de retraite, ne sont pas régulés comme les compagnies d’assurance, qui fournissent des prestations de retraite complémentaire (relevant du pilier 3). Les efforts entrepris récemment par la Commission Européenne (EIOPA, 2012, 2016a, 2016b) visent à harmoniser cette régulation au niveau européen afin d’une part, d’éviter des distorsions de concurrence entre types d’institutions et, d’autre part, de permettre d’organiser à terme la portabilité des droits de retraite dans toute la zone. Des discussions et une consultation sont donc en cours pour permettre cette harmonisation, et éventuellement adopter un cadre similaire à celui qui s’applique aujourd’hui aux assureurs. Quel impact cela aura-t-il sur les fonds de pension européens, sur leurs investissements, leur capacité à prendre des risques et, in fine, sur leurs performances ? Va-t’on vers une régulation plus efficace, permettant aux fonds d’assurer non seulement la sécurité des futures pensions, mais aussi des performances suffisamment attractives pour permettre un niveau de pension relativement élevé ? La question est intensément débattue mais, de façon surprenante, il y a encore assez peu de travaux académiques sur le sujet.

Les différentes formes de régulation des fonds de pension

Sans s’attarder sur des détails techniques (les règles concrètement adoptées diffèrent sensiblement d’un pays à l’autre), il est possible de classer les régulations qui portent sur l’investissement des fonds de pension en deux grandes catégories : régulations basées sur des règles et régulations basées sur une analyse du risque. La première catégorie correspond à l’imposition de règles inflexibles auxquelles les fonds doivent se soumettre, comme les limites quantitatives d’investissement, ou des contraintes de solvabilité fixées par un ratio (ratio de financement minimum par exemple, assorti d’une période de recouvrement en cas de non-respect de la contrainte). Ces règles présentent l’avantage d’être simples et faciles à vérifier. Mais la complexité accrue des instruments financiers, ainsi que l’intégration croissante des autorités de supervision des fonds de pension avec celles des autres institutions financières (banques et assurances) ont conduit à l’émergence d’un nouveau type de régulation, basé sur une analyse des risques. Cette forme de régulation vise à s’assurer que les institutions financières ont un cadre de gestion des risques solide et fiable. Il repose généralement sur l’utilisation de modèles quantitatifs d’analyse des risques, permettant de déterminer le niveau adéquat de capital réglementaire à mettre en réserve. Il nécessite également une évaluation fréquente des actifs et du passif de l’institution, d’où l’imposition, qui va souvent de pair, de normes de comptabilisation en valeur de marché.

Historiquement, les pays ont eu tendance à passer d’un système de règles à un système basé sur une évaluation des risques. Le Danemark, l’Allemagne, la Hongrie, les Pays-Bas, la Finlande, le Royaume-Uni, l’Australie et le Canada sont parmi les pays pionniers à avoir mis en place des régulations en risque de leur système de pension. Les changements de régulation en cours en Europe visent eux aussi à proposer un nouveau régime de régulation basé sur une analyse des risques. Dans les pays d’Amérique Latine en revanche, des règles strictes d’investissement perdurent. Mais ces règles ont progressivement tendance à disparaître. Le Chili a par exemple levé graduellement ses limites d’investissement, pour mettre en place en 2010 une nouvelle régulation en risque. Dans un certain nombre de pays, les deux types de régulation coexistent, comme au Mexique, où des règles strictes d’investissement vont de pair avec une contrainte de Value at Risk (VaR) journalière.

Des modèles de régulation soumis à la critique

Les régulations par les règles ont été depuis longtemps remises en cause. Rigides, elles conduisent à des allocations contraintes et donc sous-optimales. Mais de nombreuses critiques théoriques sont également adressées aujourd’hui à l’utilisation des modèles de risque : hypothèses simplificatrices, mesures des risques estimées sur un court historique qui peuvent générer des comportements d’investissement procycliques (Bec and Gollier, 2009 ; Papaioannou et al., 2013), etc. Des coussins de sécurité évalués à l’aide d’une VaR calculée sur un court historique de rendement ont par exemple tendance à diminuer lorsque les rendements ont été élevés et la volatilité faible (incitant les institutions financières à prendre plus de risques), et au contraire à augmenter dans les périodes de chutes de prix, correspondant à une hausse de la volatilité (Adrian and Shin, 2008). Par ailleurs, l’imposition répétée d’une contrainte de VaR de court terme lorsque l’horizon d’investissement est long peut générer des coûts substantiels (Shi and Werker, 2012). Les méthodes de comptabilisation en valeur de marché sont également fortement critiquées. Elles sont accusées de constituer une source de volatilité supplémentaire des prix, notamment pour les actifs longs ou illiquides (Plantin, Sapra et Shin, 2008), de générer des effets de contagion ou un comportement d’investissement procyclique (Allen et Carletti, 2008).

Mode de régulation et choix d’allocation d’actifs

Si les critiques théoriques de chaque mode de régulation sont nombreuses, qu’en est-il en pratique ? Les choix de régulation des différents pays ont-ils un impact significatif sur les allocations d’actifs de leurs fonds de pension ? Influencent-ils la capacité des fonds à investir en actifs risqués (actions, obligations d’entreprises, et classes d’actifs alternatives, telles que hedge funds, immobilier, private equity et infrastructures) ? Poussent-ils à plus de procyclicité dans les investissements ? Si ces questions ont été curieusement peu étudiées d’un point de vue empirique, c’est en grande partie parce que les données concernant les allocations et les performances des systèmes de pension sont difficilement disponibles de manière détaillée sur le plan international. Par ailleurs, mener une analyse comparative rigoureuse des différents types de régulation est complexe. Un grand nombre de facteurs additionnels, parfois malheureusement difficilement identifiables ou mesurables, peuvent évoluer au cours du temps et générer un changement de comportement de la part des fonds.

Les travaux empiriques existants portent sur un petit nombre de pays et examinent généralement un seul aspect de la régulation. Ainsi, les travaux de Pennachi and Rastad (2011) et ceux plus récents d’Andonov et al. (2017) mettent en évidence qu’aux Etats-Unis, les différences entre régulation des fonds de pension publics et privés ont conduit à des choix d’allocation très différents de la part ces deux types d’institutions. Alors que les fonds privés doivent évaluer leur passif en valeur de marché en utilisant des taux d’actualisation de marché, les fonds publics n’ont aucune contrainte légale de ce type et peuvent actualiser leur passif au taux de rentabilité attendu de leurs actifs. Cette différence de traitement a conduit les fonds publics américains à accroître leurs allocations en actifs risqués afin de maintenir des taux d’actualisation élevés et ainsi présenter des passifs plus faibles, tout particulièrement lorsque la proportion de membres âgés dans le fonds était importante.

Dans un article récent (Boon, Brière et Rigot, 2018), nous évaluons la relation entre réglementation et allocations des fonds de pension en exploitant les changements réglementaires qui se sont produits sur les 20 dernières années dans trois pays, les États-Unis, le Canada et les Pays-Bas. En utilisant les détails des allocations d’actif de près de 600 fonds, nous estimons les changements d’allocation des fonds liés à l’imposition de nouvelles exigences réglementaires. Les pays sélectionnés sont particulièrement intéressants car ils sont représentatifs des différentes approches réglementaires existantes. En particulier, des ratios de financement minimum existent aux États-Unis et au Canada, tandis que les fonds de pension néerlandais sont soumis depuis 2007 à des exigences de capital réglementaires qui dépendent de l’évaluation de leur risque de financement, évalué à l’aide d’une VaR. Cette approche ressemble au modèle de Solvency II utilisé par les assureurs européens depuis 2016, et à la proposition initiale de l’EIOPA (2012) pour les fonds de pension. Notre analyse révèle que que la mise en place d’exigences de fonds propres aujourd’hui discutées en Europe, a eu un impact économique important aux Pays-Bas. Elle a été associée à une réduction moyenne de 7% de l’allocation des fonds  en actifs risqués, après l’élimination de l’effet coïncident de la crise financière de 2008-2009. Alors que la Commission européenne montre un vif intérêt pour l’harmonisation de la réglementation des fonds de pension en Europe, nos résultats montrent que le choix des contraintes réglementaires a des implications significatives sur l’exposition des fonds de pension aux actifs risqués.


Références :

Adrian T., H.S. Shin (2008), “Liquidity and Financial Contagion”, Financial Stability Review, Special Issue on Liquidity, Banque de France,11, February.

Allen, F., E. Carletti (2008), “Mark-to-Market Accounting and Liquidity Pricing”, Journal of Accounting and Economics, 45(2-3), p. 358-378.

Andonov, A., Bauer, R., Cremers, M., 2017. “Pension fund asset allocation and liability discount rates,” Review of Financial Studies 30 (8), 2555–2595.

Bec F., C. Gollier (2009), “Term Structure and Cyclicity of Value-at- Risk: Consequences for Solvency Capital Requirements”, CESifo Working Paper, 2596.

Boon L.N., M. Brière and S. Rigot (2018), “Regulation and Pension Fund Risk Taking”, Journal of International Money and Finance, June, forthcoming.

EIOPA (2012), “EIOPA’s Advice to the European Commission on the Review of the IORP Directive”, 2003/41/EC.

EIOPA (2016a), “IORPs Stress Test Report 2015”.

EIOPA (2016b), “Opinion to EU Institutions on a Common Framework for Risk Assessment and Transparency for IORPs”.

Papaioannou M.G., J. Park, J. Pihlman, H. van der Hoorn (2013), “Procyclical Behavior of Institutional Investors During the Recent Financial Crisis: Causes, Impacts and Challenges, IMF Working Paper, 13/193.

Pennachi G., M. Rastad (2011), “Portfolio allocation for public pension funds”, Journal of Pension Economics and Finance, 10 (2), p. 221-245.

Plantin G., H. Sapra, H.S. Shin (2008), “Marking-to-market: Panacea or Pandora’s box?”, Journal of Accounting Research, 46(2), p. 435-460.

Shi, Z., B. Werker (2012), “Short-horizon regulation for long-term investors”, Journal of Banking and Finance, 36(12), p. 3227-3238.


[1] Tout système de retraite se décompose généralement en 3 piliers selon la définition de la Banque Mondiale. Le pilier 1 comprend le système de retraite gouvernemental de base par répartition. Le pilier 2 est un système financé par les employeurs et les employés par capitalisation. Le pilier 3 correspond à la retraite volontaire et individuelle par capitalisation (assurance vie, épargne retraite). 

Marie Brière