Parce que tout signe, même le plus anodin aux yeux de beaucoup, porte en lui plus de sens qu’il n’y paraît.

Qu’en ce 8 mars, notre pensée progresse sans réserve ni limite.

 

Il y a quelques mois, de manière furtive, entrevu sur lemonde.fr, un titre  « l’autrice Chantal Akerman est … ».

Quelques temps plus tard, lors d’une interview radiophonique, Marie Darrieussecq parle de l’autrice Virginia Wolf …

Enfin, le mot auteur était féminisé selon la règle de grammaire appliquée aux mots en -teur qui se féminisent en -teuse ou en -trice.

Rappelons cette règle :

–   lorsqu’un nom masculin, se terminant par -teur, dérive d’un verbe (ou peut se décliner en participe présent), il se féminise à l’aide du suffixe -teuse : acheteur-achetant-acheteuse, … chanteuse, conteuse, menteuse, visiteuse… (deux seules exceptions : exécutrice, persécutrice)

–   si tel n’est pas le cas, le féminin s’obtiendra à l’aide du suffixe -trice : actrice, acupunctrice, administratrice, agricultrice, amatrice, animatrice, apicultrice, auditrice, aviatrice, calculatrice, collaboratrice, compositrice, conceptrice, conductrice, conservatrice, consommatrice, curatrice, débitrice, détentrice, directrice, éditrice, électrice, exécutrice, expéditrice, exploratrice, factrice, formatrice, génitrice, illustratrice, inspectrice, institutrice, inventrice, lectrice, monitrice, narratrice, navigatrice, oratrice, préparatrice, prévaricatrice, productrice, promotrice, protectrice, rectrice, rédactrice, scrutatrice, sénatrice, spectatrice, traductrice, utilisatrice… la liste est longue.

Que de féminins en -trice ! Aucun ne semble poser de problème à quiconque. A l’exception notable de deux : auteur et docteur. Il paraît donc légitime de s’interroger sur ces deux exceptions : pourquoi cette résistance face à autrice et à doctrice ? Par recherche d’euphonie, entend-on parfois ? Mais alors que dire d’actrice ? plus euphonique qu’autrice par le miracle du « c » substitué au « u » ?  ou encore lectrice plus doux à l’oreille que doctrice ? A ce titre, Nathalie Baye devrait évidemment être une acteure qui déclare souvent être une grande lecteure :-). Soyons sérieux.

Non, si l’on est honnête avec soi-même, il faut évidemment chercher ailleurs la cause des résistances qui touchent à la féminisation de ces deux métiers. Depuis toujours, auteur et docteur désignent des métiers intimement liés au savoir et au pouvoir qui en découle.

L’auteur crée : cet acte de création se féminise sans réticence, le créateur devient alors la créatrice. Mais l’auteur a de surcroit le pouvoir de propriété de sa création, est-ce ce pouvoir qui justifierait cette résistance à l’accorder aux femmes ? L’auteur est le (la ?) propriétaire suprême, celui (celle ?) qui détient le pouvoir absolu, celui (celle ?) qui a tous les droits sur l’objet. A ce titre par exemple, celui que l’on appelle communément « l’auteur des jours » de l’enfant est le père, celui dont le  patronyme a le pouvoir de faire naître socialement l’enfant (1), voire de lui éviter la mort en le reconnaissant comme dans la Rome antique. De même, l’auteur d’un livre, d’un film, d’une œuvre d’art … détiendra le pouvoir conféré par « ses droits d’auteur », plus puissants que tout autre.

De son côté, jusqu’au XIX° siècle, le docteur faisait référence à l’érudit, au savant, à l’homme docte, – des docteurs de la Loi aux docteurs universitaires -, détenant un savoir, et donc un pouvoir, dont les femmes étaient totalement écartées, puisqu’elles n’avaient pas accès à l’Université. Aujourd’hui, le docteur en médecine par exemple, détient le savoir qui lui confèrera le pouvoir de préserver voire de donner la vie. Pouvoir suprême s’il en est.

Est-ce là la résistance inconsciente et profondément ancrée qui fait refuser l’affichage du féminin à ces deux métiers lorsqu’ils sont exercés (si souvent aujourd’hui) par une femme. Trop de pouvoir induit pour être ouvertement des métiers féminins ? L’habillage, ô combien hypocrite, du « e » final que l’on lit mais n’entend pas, n’en dit-il pas suffisamment sur cette résistance presqu’honteuse ?

Soyons donc cohérents avec la règle simple de la grammaire française et l’acceptation (enfin) généralisée de la féminisation des noms de métiers et de fonctions (2), et féminisons auteur en autrice et docteur en doctrice, sans tricher et sans vouloir dissimuler ce pouvoir suprême de l’auteur/autrice – docteur/doctrice que certains hésitent encore à accorder aux femmes.

Enfin, pour évoquer tous les cas de figures, d’aucuns proposent, contre toute règle généralement appliquée, une féminisation en esse, docteresse ou auteresse. Mais quand l’exception n’est pas justifiable, interrogeons donc nos raisons inavouées et soyons cohérents. Au risque sinon, d’ouvrir une brèche dans la règle et de voir se développer des féminisations en -teresse, -trice ou      -teure selon « l’évaluation sociale »  que l’on se fera du métier. Ainsi pourra-t-on dire la directrice de maternelle mais la directeure d’entreprise, comme si le prestige social attribué à cette dernière  fonction empêchait d’afficher (ou nécessitait de cacher ?) sa féminisation.

Pour conclure et progresser, ce sont aujourd’hui les medias qui font le langage et installent ses évolutions. Il y a quelques années, ils (elles ?) ont enfanté le mot auteure, il est temps de faire un dernier geste dans le sens de la conjugaison de la parité sur les noms de métiers et d’accueillir le mot autrice.

Chantal Akerman pourra ainsi être reconnue pour ses talents d’autrice-compositrice-réalisatrice-actrice-productrice …!

Quand à doctrice, dans la foulée, franchissons ce dernier pas. Et cessons de tergiverser sans raison légitime, au risque de continuer inlassablement – et dès lors, sciemment -, à creuser le sillon de la discrimination consentie.

 


(1)   Même si, en France, depuis 2005, ce « pouvoir patronymique » peut être exercé par la mère (encore aujourd’hui dans seulement 0,65% des cas – source Insee)

(2)  En 1539, l’ordonnance de Villers-Cotteret codifie l’usage du français ; en 1635, la création de l’Académie française chargée d’en préciser les règles désigne … le masculin comme genre générique, dit genre non marqué. Par la proclamation arbitraire de cet apparent neutre, les femmes pouvaient ainsi être considérées comme des hommes, … sans pour cela bénéficier d’aucun de leurs droits comme en témoignent la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ou encore le code Napoléon. Il faudra attendre 1984, deux siècles plus tard, pour qu’une commission gouvernementale étudie enfin la question de la féminisation des noms de métiers, de fonctions et de titres. C’était il y a 30 ans.