Le 12 décembre 2015, la COP21 accouchait d’un accord international, l’Accord de Paris. Moins d’un an plus tard, le 4 novembre 2016, l’Accord de Paris entrait en vigueur, après sa ratification par un nombre suffisant de pays, incluant les États-Unis, la Chine, l’Union européenne et la France. L’Accord de Paris, accord révolutionnaire à triple titre, contient en germe la promesse de transformer radicalement l’économie avant la fin du siècle. L’enjeu va désormais être de traduire cette promesse en actions concrètes.

 

Ramener les émissions de gaz à effet de serre à zéro avant la fin du siècle

Premier trait révolutionnaire de l’Accord de Paris : ses objectifs. Figurant dans l’article 2 de l’Accord, ils sont au nombre de trois :

  1. Contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de +2 °C, en poursuivant l’action pour limiter l’élévation à +1,5 °C ;
  2. Renforcer les capacités d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques et promouvoir un développement à faible émission de gaz à effet de serre (GES), d’une manière qui ne menace pas la production alimentaire ;
  3. Rendre les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de GES et résilient aux changements climatiques.

Très concrètement, contenir l’élévation de la température moyenne de la planète revient à faire en sorte que les émissions de GES d’origine humaine soient compensées par des absorptions équivalentes. Et contenir cette élévation en-dessous de +2°C revient à arriver à cette équilibre avant la fin du siècle. Cet équilibre entre émissions et absorptions de GES est techniquement possible. Il convient pour ce faire :

  • de diminuer fortement les émissions de GES, qui sont aujourd’hui de l’ordre de 50 Gt d’équivalent-CO2 par an (efficacité énergétique, énergies renouvelables, innovations technologiques ou organisationnelles pour réduire les émissions liées aux procédés industriels ou agricoles),
  • et de favoriser la capture et la séquestration du CO2, par des procédés chimiques, ou dans l’agriculture et la filière forêt-bois.

A noter que sauf à trouver une « baguette magique » qui permet de séquestrer massivement dans la durée du carbone, l’Accord de Paris conduit à diminuer drastiquement notre utilisation d’énergies fossiles (charbon, pétrole mais aussi gaz naturel) dans un calendrier de quelques décennies, voire d’y renoncer. Il convient donc en quelques décennies de passer d’un monde où 80 % de l’énergie que nous consommons a une origine fossile, à un monde dans lequel pour ainsi dire 0 % de l’énergie consommée est d’origine fossile, et ce, pour tous les pays, même si le calendrier pour chacun des pays pourra prendre en compte les circonstances nationales.

 

Favoriser l’action de tous : Etats, collectivités territoriales, entreprises…

Deuxième trait révolutionnaire de l’Accord de Paris : la méthode. Alors que le protocole de Kyoto, prédécesseur de l’Accord de Paris, s’appuyait sur une logique de « partage de l’effort » visant à répartir l’effort de réduction des émissions de GES entre les différents pays, l’Accord de Paris part du principe que les réductions d’émissions et l’adaptation au changement climatique se feront sur une base volontaire, à partir des contributions des Etats et des acteurs dits « non-étatiques » (collectivités territoriales, entreprises industrielles, agricoles ou forestières, acteurs financiers…). Tous sont invités à faire part de leurs engagements à moyen terme afin de contribuer à la dé-carbonation de l’économie mondiale, et à revoir périodiquement leurs engagements. La plupart des Etats ont déposé de premières contributions à horizon 2030 avant la COP21 et, depuis la COP21, les entreprises et collectivités territoriales font de même.

Une fois les objectifs et la méthode fixés, il reste à mettre la machine en branle. Quel est l’enjeu ? Contrairement à une idée reçue, l’enjeu n’est pas de trouver plus d’argent pour faire du vert : il faut faire plus de « vert » mais également moins de « noir ». Les grands argentiers de demain devront avant toute chose se souvenir du serment d’Hippocrate : « d’abord, ne pas nuire », et dévier au niveau mondial chaque année l’équivalent de 5000 milliards de dollars d’investissement du « noir » vers le vert ». La première ressource pour financer la transition énergétique est donc constituée par tous les flux financiers qui ne partiront plus vers des projets émetteurs de GES ou inadaptés au climat futur.

Le moteur dans cette dynamique ? L’intérêt bien compris – égoïste – des Etats et des acteurs non-étatiques à engager cette transition vers une économie littéralement dé-carbonée, afin de prévenir des risques liés soit au changement climatique, soit à la transition énergétique mondiale et de bénéficier des opportunités offertes par ladite transition, en termes de croissance économique, de gains de compétitivité, d’emploi ou encore de qualité de vie. Un vœu pieux ? Pas si sûr. A titre d’illustration, les motivations de la Californie ou de l’Etat chinois pour réduire leurs émissions de GES sont plus à chercher dans ce registre que dans la coercition de la communauté internationale. De même, les engagements en faveur du climat d’un certain nombre d’entreprises industrielles ou financières sont inspirés de leur intérêt bien compris à moyen terme. Peu d’entreprises souhaiteraient en effet être le « prochain Kodak », balayées par une modification rapide de leur environnement concurrentiel.

 

Une prophétie auto-réalisatrice, qui ne se fera ni sans action publique, ni sans la finance

L’Accord de Paris repose de fait sur une logique de prophétie auto-réalisatrice. Plus la réalité de la transition énergétique sera palpable par les acteurs, plus il sera facile de mettre en œuvre des actions allant dans le sens de l’Accord de Paris et, a contrario plus il sera difficile d’aller contre le vent. Pour rendre cette transition réelle et viser à aligner, comme demandé par l’Accord de Paris, les flux financiers avec un monde « neutre en carbone » et adapté au changement climatique, les pouvoirs publics peuvent agir sur deux grands leviers.

Premier levier, la demande en produits, biens et services « verts » au sens bas-carbone et adaptés au changement climatique, qu’il s’agit de rendre économiquement plus attractifs que leurs homologues fossiles. Pour ce faire, les économistes s’accordent généralement sur le fait qu’il convient de donner des prix au carbone, même s’ils divergent sur les modalités de mise en œuvre. Un certain nombre de juridictions nationales ou régionales ont ainsi mis en œuvre des prix du carbone qui s’appliquent aux acteurs économiques sous leur autorité, à travers des taxes, des systèmes de quotas, ou encore des normes, ou qui s’appliquent à la puissance publique elle-même dans la priorisation de ses investissements ; c’est également le cas d’entreprises industrielles ou financières, les prix internes du carbone qu’elles ont mis en œuvre leur permettant de gérer un risque ou d’orienter leur modèle économique sur le long terme. Dans tous ces cas, les pouvoirs publics peuvent orienter durablement les pratiques et comportements des acteurs économiques, notamment en rendant crédible la trajectoire d’émissions dans laquelle s’inscrira l’action de ces acteurs.

Deuxième levier, l’offre de capitaux pour les produits, biens et services « verts », pour s’assurer que les objets nécessaires à la transition énergétique sont financés[i]. Rendre les projets qui sont compatibles avec l’Accord de Paris économiquement plus intéressants constitue en effet une condition nécessaire, mais loin d’être suffisante, pour s’assurer qu’ils seront mis en œuvre.

Les pouvoirs publics peuvent s’appuyer sur la dynamique créée par la prise en compte croissante  par les acteurs économiques, en particulier les acteurs financiers, des risques et des opportunités liés au changement climatique : risques que font peser sur tous les actifs un changement climatique rapide, ceux qu’une transition énergétique rapide fera peser sur les actifs les plus dépendants des énergies fossiles ; opportunités offertes par les actifs bas carbone, pour lesquels les progrès technologiques et organisationnels font constamment baisser les coûts.

Sur ces deux leviers, l’action se structure progressivement, et il convient désormais d’accélérer. En novembre 2016, à la COP22 à Marrakech, les ministres des Finances, nouveaux venus dans les négociations climatiques internationales, ont fait savoir qu’ils seraient bien présents dans la durée sur ces deux fronts. Un préalable indispensable pour rendre les flux financiers compatibles avec des économies bas-carbone et adaptées aux changements climatiques.

[i] Voir sur le site l’article de Pierre Ducret et Maria Scolan.

Benoît Leguet
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