Pour « sauver le climat », nous avons besoin de la finance, non pas seulement de financement, mais d’ingĂ©nierie financiĂšre innovante – pour la bonne cause cette fois.

Les besoins de financement pour rĂ©ussir la transition Ă©cologique sont en effet massifs. A l’échelle du monde, il s’agit de rediriger des milliers de milliards de dollars vers un dĂ©veloppement Ă©conomique bas carbone. Les Nations-Unies Ă©valuent de 5 Ă  7 trillions de dollars par an les investissements nĂ©cessaires pour financer les Objectifs du DĂ©veloppement Durable (ODD), notamment dans le traitement des dĂ©chets, l’assainissement, les systĂšmes de santĂ©, les transports publics. L’Agence Internationale de l’énergie (AIE) estime de son cĂŽtĂ© qu’il faudra 45 trillions de dollars au total pour mettre en oeuvre l’Accord de Paris.

L’enjeu est d’enclencher rien moins qu’une nouvelle rĂ©volution industrielle en redĂ©ployant les investissements vers les infrastructures d’énergie bas carbone, les bĂątiments Ă  haute qualitĂ© environnementale, l’efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique, la valorisation du capital naturel et humain, le recyclage des dĂ©chets, l’adaptation aux changements climatiques et l’agro-Ă©cologie.

La finance verte est dĂ©sormais positionnĂ©e tout en haut de l’agenda international. La COP21 a marquĂ© en ce sens un tournant majeur avec, d’une part, une participation forte du monde financier, et, d’autre part, la prise de conscience par la communautĂ© internationale que l’offre de financement pour les projets bas carbone Ă©tait tout aussi critique que la fixation d’un prix du carbone.

L’Accord de Paris, au-delĂ  de l’engagement de transferts financiers nord-sud d’au moins 100 Mds de dollars par an, reconnaĂźt, dĂšs son article 2, la nĂ©cessitĂ© « d’aligner les flux financiers vers un dĂ©veloppement bas carbone ». L’intention de cet objectif est de faire de la montĂ©e en puissance de la finance climat le vecteur d’une transformation profonde d’un systĂšme financier mis au service d’une prospĂ©ritĂ© durable. L’accord de Paris a ainsi interpellĂ© avec succĂšs les principales enceintes de la gouvernance Ă©conomique et financiĂšre mondiale (G20, FMI, OMC, banques centrales):

  • sous l’impulsion du gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, le G20 a demandĂ© aux rĂ©gulateurs bancaires mondiaux (FSB) de se pencher sur les risques importants que le changement climatique faisait peser sur la sĂ©curitĂ© du systĂšme financier dans son ensemble, ce qui a donnĂ© naissance Ă  la Task Force (TCFD) prĂ©sidĂ©e par Michael Bloomberg sur le reporting carbone
  • le G20 de Hangzhou en septembre 2016 a reconnu l’importance de la finance verte – et appelle notamment au dĂ©veloppement fort du marchĂ© des green bonds – tandis que la Commission EuropĂ©enne vient d’annoncer la crĂ©ation d’un groupe d’experts sur la finance verte, dans le cadre des travaux sur l’Union des Capitaux (CMU) ;
  • enfin, les ministres des finances du monde entier sont pour la premiĂšre fois Ă  Marrakech, lors de la COP22, entrĂ©s vĂ©ritablement dans la nĂ©gociation climat.

La finance s’intĂ©resse  de plus en plus au climat. La communautĂ© financiĂšre qui Ă©tait jusqu’Ă  la COP21 plutĂŽt « indiffĂ©rente » aux enjeux climatiques s’est d’abord appropriĂ© le sujet sous l’ange des risques : risques physiques des changements climatiques – d’importance stratĂ©gique pour les assureurs – mais aussi risque de voir des actifs se dĂ©prĂ©cier trĂšs fortement au cours de la transition vers une Ă©conomie dĂ©carbonĂ©e (ce que l’on appelle les « stranded assets »). Depuis peu, au-delĂ  de la seule maĂźtrise des risques, la finance commence Ă  identifier des opportunitĂ©s d’investissement liĂ©es Ă  la transition Ă©nergĂ©tique. C’est dans ce contexte que des engagements significatifs ont Ă©tĂ© pris en 2015 et 2016 par les banques, les compagnies d’assurance et les investisseurs institutionnels : par exemple « l’engagement de MontrĂ©al » par lequel des investisseurs se sont engagĂ©s Ă  rĂ©duire l’empreinte carbone de leur portefeuille, ou encore les annonces de dĂ©sinvestissement du secteur du charbon.

La place de Paris peut devenir l’un des leaders de cette finance verte.  Pour y parvenir, Paris Europlace a engagĂ© une rĂ©flexion qui s’est traduite par un Rapport publiĂ© dĂ©but novembre 2016, dans lequel des recommandations sont faites autour de trois axes : garantir l’intĂ©gritĂ© du marchĂ©, poursuivre la co-construction entre acteurs privĂ©s et pouvoirs publics et dĂ©velopper la communication.

Ces recommandations portent en rĂ©alitĂ© des messages forts en termes de politique publique, aussi bien au niveau français qu’europĂ©en. On peut les regrouper autour de trois objectifs principaux.

Garantir la transparence du risque climatique pour les investisseurs

Les barriĂšres au dĂ©veloppement de la finance verte rĂ©sident en premier lieu dans le fait que le monde financier n’a ni l’habitude, ni les outils pour traiter efficacement de ces sujets complexes. On manque d’une dĂ©finition claire de ce que sont les actifs verts ; et les acteurs du marchĂ© font face Ă  une insuffisance de reporting de la part des entreprises sur leurs impacts environnementaux et climatiques.

La France a montrĂ© la voie pour dĂ©passer ces blocages, notamment en mettant en place des outils d’évaluation du risque climat pour les acteurs financiers, avec le label Transition Ă©nergĂ©tique et Ă©cologique pour le Climat (TEEC) et l’article 173 de la Loi de transition Ă©nergĂ©tique qui exige des investisseurs qu’ils mesurent et prennent en compte les enjeux environnementaux et climatiques dans leur politique d’investissement.

Il faut sans doute aller plus loin et exiger une transparence totale des risques climatique et environnemental pour tous les types d’investissements, publics et privĂ©s ; et Ă©valuer la possibilitĂ© de prendre en compte ces risques dans la rĂ©gulation bancaire, comme l’a proposĂ© rĂ©cemment la FBF.

 

Orienter l’innovation financiùre

Les flux financiers ne s’orientent pas spontanĂ©ment vers les investissements nĂ©cessaires Ă  la transition Ă©cologique. Le marchĂ© financier est soumis Ă  ce que Mark Carney appelle « la tragĂ©die des horizons » : le conflit entre les objectifs financiers de court terme et le rendement social de long terme des projets en raison des biens publics qu’ils produisent (climat vivable, sĂ©curitĂ© Ă©nergĂ©tique accrue, meilleure qualitĂ© de l’air). En l’absence d’une tarification appropriĂ©e de ces « externalitĂ©s », et notamment d’un prix du carbone, il est nĂ©cessaire de renforcer l’offre de financement pour les investissements bas carbone.

LĂ  encore, la place de Paris peut jouer – joue dĂ©jĂ  – un rĂŽle de leader en bĂątissant une intermĂ©diation financiĂšre sur deux piliers :

  • une intervention publique pour garantir la valeur des actifs environnementaux gĂ©nĂ©rĂ©s par les investissements bas carbone ; notamment grĂące Ă  une utilisation intelligente de l’argent public (« de-risking » de projets),
  • la crĂ©ativitĂ© financiĂšre pour dĂ©velopper, Ă  partir de ces garanties publiques, des supports financiers attractifs pour l’épargne de long terme (indice bas carbone, portefeuille 2°C, obligations vertes, titrisation de prĂȘts bas carbone).

 

Donner un « sens » Ă  l’épargne

Enfin, malgrĂ© une abondance de liquiditĂ©s, l’investissement, en France et en Europe, reste bien infĂ©rieur au niveau d’avant-crise. Les investisseurs affichent une prĂ©fĂ©rence trĂšs forte pour la liquiditĂ©. Les gestionnaires d’épargne et les distributeurs de crĂ©dit ne savent pas oĂč orienter leurs investissements. Rien d’étonnant dans ces conditions Ă  ce que les flux financiers restent dĂ©connectĂ©s des grands objectifs environnementaux et sociaux. La part des financements verts des banques reste marginale, les obligations vertes ne reprĂ©sentent que 1% du marchĂ© obligataire, et 1% seulement des actifs des investisseurs institutionnels sont investis en infrastructures vertes ou durables.

Il est urgent de redonner un sens Ă  l’épargne de long terme. Cela implique un flĂ©chage plus ou moins direct de l’investissement privĂ©, en cohĂ©rence avec les grands programmes d’investissements publics. Sans une telle clarification sur le cap et les valeurs Ă  viser, toute nouvelle injection de liquiditĂ©s par la banque centrale, toutes nouvelles incitations Ă  l’investissement n’auront pas un effet durable sur la croissance.

AprĂšs le succĂšs diplomatique de l’accord de Paris, la France a la responsabilitĂ© historique d’ĂȘtre Ă  l’avant-garde de « la finance qu’on aime », celle qui finance les investissements dont nous avons collectivement besoin pour renouer avec la prospĂ©ritĂ©.

Philippe Zaouati et Baptiste Perrissin Fabert
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