Atteindre l’objectif de neutralité carbone nette en 2050, s’adapter au changement climatique en cours, enrayer l’effondrement de la biodiversité, nécessitent au niveau européen des investissements privés et publics de l’ordre de 2 à 3% du PIB européen chaque année. Pourtant, le gouvernement français a adopté en février un programme d ‘économies de 10 milliards d’euros, soit près de 0,4% de PIB et annonce le doublement des économies pour l’an prochain. En Allemagne, le budget 2024 a également été corrigé en début d’année avec des économies budgétaires effectives du même ordre[1]. Ces tours de vis vont sans aucun doute être multipliés. Les négociations européennes sur la réforme du Pacte de stabilité et de croissance ne semblent pouvoir conduire qu’à une reconduction un peu amendée des précédentes versions qui font des ratios de déficit public/PIB et dettes publiques/PIB des totems auxquels toute politique devrait être subordonnée.

Ces règles débouchent sur des trajectoires de réduction des déficits qui ne permettront pas, à l’évidence, d’absorber les investissements nécessaires à la décarbonation de l’économie par un surcroît d’endettement public, même si plusieurs économistes de renom l’appellent de leurs vœux. Elles conduiront donc à réduire les dépenses sociales et écologiques. Sommes-nous condamnés à livrer à nos enfants un continent ravagé par le réchauffement climatique et paupérisé par des mesures d’austérité nous contraignant à abandonner le modèle social européen ?

Plus que jamais, il est crucial d’envisager rationnellement les voies d’un financement monétaire de ces investissements, en vue d’éviter le mur vers lequel nous fonçons. C’est ce que vise à faire cet article. Après avoir rappelé les mécanismes de cette création monétaire qui restent parfois incompris, voire qualifiés de magiques ou d’illusoires, nous formulerons quelques rappels sur les liens entre monnaie et activité puis nous exposerons deux manières de procéder et nous finirons l’article sur des considérations centrales de gouvernance.

Comment la monnaie se crée ?

Il y a trois grandes « théories » explicatives des variations de la quantité de monnaie dans une économie (voir [4] et [6]). Une seule est exacte et empiriquement fondée. Ce sont les banques de second rang (le plus souvent privées et à but lucratif) qui créent la monnaie, ex nihilo, généralement à l’occasion des prêts qu’elles consentent ; ce peut être aussi quand elles acquièrent un actif. Les opérations inverses détruisent la monnaie créée. Ce pouvoir est bien sûr encadré par une série de contraintes juridiques.

Il suffit pour se rendre compte de ces évidences empiriques de lire un manuel de comptabilité bancaire. Un économiste bancaire, Richard Werner (voir [9]), a néanmoins voulu en faire la démonstration. En 2014, avec un groupe d’observateurs indépendants, il a fléché le processus de prêt d’une petite banque, et montré que le prêt avait été accordé sans vérifier les contraintes de réserve obligatoire ni exiger la constitution d’un dépôt préalable mais bien sous la seule contrainte des ratios prudentiels, et bien sûr du besoin (la demande de prêt). La même année, la Banque d’Angleterre (voir [7]) a cru bon de publier des notes sur le sujet pour confirmer ces évidences, qui sont partagées également par la Fed, la BCE et le FMI. On peut la résumer de manière simplifiée en disant que les crédits font les dépôts[2] et que seuls les établissements de crédits bancaires peuvent prêter des fonds à certains agents, sans en soustraire à d’autres. Il est curieux que deux autres thèses soient encore enseignées et propagées alors qu’elles sont à la fois infondées au plan empirique et facilement réfutables. Nous allons en dire un mot et renvoyer aux références pour le lecteur qui souhaiterait creuser la question.

La théorie de l’intermédiation voit les banques comme des intermédiaires entre des déposants et des emprunteurs[3]. Les banques, selon cette thèse, ne créent pas la monnaie mais allouent l’épargne accumulée. Donc pour pouvoir prêter, les banques doivent d’abord collecter des dépôts. Cette thèse est intuitive mais erronée. Nous ne la discuterons qu’en deux questions : Comment la réconcilier avec l’explosion du crédit et de la masse monétaire ? D’où viennent les dépôts pour entretenir cette dynamique ?

Selon la théorie de la réserve fractionnaire, un dépôt dans une banque serait recyclé en prêt, moins un pourcentage gardé en réserve à la banque centrale ; l’argent ainsi prêté sera ensuite déposé en partie dans une autre banque qui en prêtera elle-même une partie, etc. Le corollaire de cette théorie est le multiplicateur monétaire : la banque centrale piloterait la masse monétaire (mesurée par plusieurs agrégats M1, M2, M3…) par le contrôle de la base[4] monétaire (appelé M0 dont les réserves des banques). L’examen des courbes d’évolution de M0 et des autres agrégats monétaires révèle qu’un tel multiplicateur n’existe pas[5]. Le multiplicateur du crédit doit être abandonné au profit du diviseur du crédit, selon lequel les banques créent d’abord la quantité de monnaie correspondante à la demande de crédit qui leur est adressée, et la base monétaire s’ajuste lorsqu’elles se refinancent auprès de la banque centrale.

Que conclure ? La création monétaire par les banques de second rang est bien faite ex nihilo, en fonction de la demande de crédit ; elle est donc purement endogène au cycle économique.

Tout ceci concerne la monnaie émise en contrepartie de crédits, appelons-la « monnaie-dette ». Qu’en est-il d’autres formes de monnaie ? Il existe de la « monnaie-actif » qui circule dans nos économies et ne correspond à aucune dette, comme par exemple celle qui provient des dettes antérieures qui ne seront jamais remboursées parce que le débiteur a fait défaut ou lorsqu’une banque utilise son pouvoir de création monétaire, non pour accorder un crédit mais pour acheter un actif à un agent non bancaire.

Banque centrale européenne et monnaie

Evoquons maintenant le cas de la Banque centrale qui a le monopole de la création de la « monnaie centrale » qui sert uniquement aux échanges entre banques. L’architecture du système européen des banques centrales est sur le fond assez simple. La BCE a pour actionnaires les banques centrales nationales dont l’actionnaire est, le plus souvent, l’État du pays concerné. Si elle réalise des bénéfices, la BCE distribue des dividendes aux banques centrales nationales, ce qui accroit leurs résultats ; si elles font des bénéfices, elles les distribuent à leurs actionnaires. Les résultats, tant de la BCE que des banques centrales nationales, résultent d’opérations de diverses natures dont les revenus des dettes souveraines qu’elles possèdent mais aussi des autres obligations qu’elles détiennent, ou des opérations sur devise ou pour compte propre.

Insistons sur un point. Les banques secondaires, émettrices de monnaie scripturale (celle qui est enregistrée dans nos comptes bancaires) sont limitées dans ce pouvoir de création de monnaie, d’une part par le respect des ratios imposés (en application des règles de Bâle notamment) qui limitent leur capacité de crédit, d’autre part parce que, comme toute entreprise privée, elles ne peuvent pas être durablement déficitaires, et enfin par le fait qu’elles doivent toujours faire face aux demandes de monnaie centrale qui leur sont faites soit par leurs clients (retrait de liquidités) soit par leurs consœurs (paiements sur le marché interbancaire). Une banque centrale, elle, a le privilège exorbitant du droit commun de pouvoir créer sans limite de la monnaie centrale.  Elle peut fonctionner sans difficulté juridique avec des fonds propres négatifs[6].  Les deux seules difficultés sérieuses qui se posent à une banque centrale sont : 1) son incapacité éventuelle à faire face à des demandes de devises étrangères et le 2) risque de dépréciation de la monnaie dont elle est garante. Il est parfois avancé qu’il y a un risque inflationniste.

Cette capacité de création monétaire a été spectaculaire après la crise de 2008 face à laquelle les banques centrales (la Fed, la BOJ, la BCE, la BOE) ont montré leur force de frappe monétaire. Elles ont créé des milliers de milliards de dollars, de yens, d’euros, de livres sterling… pour sauver le système bancaire puis tenter de relancer l’économie en luttant contre une inflation jugée comme insuffisante. L’expansion du bilan des banques centrales s’est faite sans difficulté pour la raison susdite. Elle s’est faite principalement en achetant sur le marché secondaire des titres (souverains, bancaires ou autres). Ce n’est que récemment, face à la hausse des prix consécutive à la guerre en Ukraine, qu’elles ont changé de politique : arrêt du quantitative easing et hausse du taux d’intérêt directeur (qui est passé en deux ans de 0% à 4,5% par an environ).

Cette force de frappe monétaire est néanmoins limitée dans son point d’application en Europe. Les traités européens interdisent le « financement direct » par la BCE des dépenses publiques. La BCE ne peut prêter ou faire d’avances ni à l’État ni à une collectivité publique. Elle ne peut racheter à l’État ses titres de dette à l’émission. La remise en cause de cette règle supposerait la ratification d’un nouveau Traité. En outre, elle exigerait de convaincre les Allemands qui y sont très attachés et l’ont imposée lors de la négociation du Traité de Maastricht car c’était le dispositif mis en place en 1948 à la création du Deutsche Mark.

Monnaie et activité économique

Nous allons maintenant dissiper quelques malentendus sur les liens entre monnaie, activité et inflation.

Au niveau global la monnaie est un catalyseur de l’économie

La monnaie ne remplace évidemment pas par elle-même les ressources réelles nécessaires à l’activité économique. Pour produire et distribuer des aliments, il faut des bras, des machines, de l’énergie, des matières. La monnaie n’a évidemment pas le pouvoir magique de créer par elle-même ces réalités physiques ; elle n’est pas un « facteur de production ». La monnaie permet les échanges mais ne se mange pas ni ne disparaît dans les échanges, contrairement à ce que suggèrent les images usuelles (brûler du cash, faire un trou dans son budget, etc.). Elle circule, de sa naissance par création, à sa destruction éventuelle par le remboursement des dettes.

Pour autant, la monnaie n’est pas un simple voile sur les échanges ou une simple facilité pratique. La demande de biens et services dépend bien évidemment de la détention de monnaie par les acheteurs, seul actif financier au pouvoir libératoire immédiat. Il est d’ailleurs assez évident que, le crédit bancaire s’accompagnant de création monétaire, cette monnaie est un moteur de l’économie et, qu’à l’inverse, quand le crédit n’est pas accordé ou l’est de manière trop coûteuse, le manque de monnaie agit alors comme un frein. La monnaie peut stimuler ou freiner l’activité, c’est pour cette raison que les banques centrales peuvent vouloir en restreindre l’émission quand elles croient que l’économie est « trop active » engendrant un risque de hausse des prix. Notons que l’affectation de la masse monétaire est aussi importante que la quantité de monnaie. Dans certains cas, se forment des « trous noirs monétaires » (voir [2]), comme le crédit immobilier et les marchés financiers, qui attirent à eux un excès de création monétaire au détriment d’activités productives. Pour conclure, on note une corrélation positive entre développement de la masse monétaire et croissance du PIB.

L’histoire montre qu’il peut être dangereux de laisser la planche à billets aux mains des gouvernements

La création monétaire se faisant d’un trait d’écriture, les gouvernements peuvent céder à la tentation d’en disposer ; c’est ce qu’on appelle par abus de langage la « planche à billets »[7]. Les risques, observés historiquement dans plusieurs pays, sont triples : corruption, abus de pouvoir et perte de valeur de la monnaie.

La création monétaire n’est pas nécessairement inflationniste

Selon l’opinion commune, la « planche à billets » est inflationniste. Selon les Traités européens, la banque centrale est gardienne de l’inflation et de la valeur de la monnaie. Elle se doit d’agir si la hausse des prix dépasse la cible (2% par an) et elle a été à la manœuvre, dans les deux  sens, quand l’inflation était jugée insuffisante ou l’inverse. Son outil principal est le taux d’intérêt directeur qu’elle fixe de manière discrétionnaire ; secondairement elle peut agir sur les quantités émises. Ce sont les opérations de quantitative easing. Pour autant, les liens entre la monnaie, sa vitesse de circulation, les taux d’intérêt, l’activité, l’emploi et l’inflation sont complexes. Un surcroit de création monétaire ne se traduit pas nécessairement par une hausse des prix, contrairement à une interprétation simpliste de la célèbre équation quantitative due à Irving Fisher. Partant d’une pure identité comptable : Mv = PY (M= masse monétaire, v= vitesse de circulation, i.e. le nombre de fois qu’un euro change de main en une année, P = niveau des prix, Y= production ou activité), on en déduit parfois que toute augmentation de M augmente P. En fait, la vitesse de la circulation n’est pas constante (et dépend en particulier des taux d’intérêt et plus généralement des rémunérations relatives de différents placements), la hausse de l’activité peut générer une hausse de la masse monétaire (via une demande de crédit accru), etc. Plusieurs paramètres jouent, dont le taux d’emploi des moyens de production, main d’œuvre comprise, et la situation de la balance commerciale. En conclusion, il est faux d’affirmer que la création monétaire est toujours inflationniste. Et empiriquement, on n’observe pas de corrélation stable entre création monétaire et niveau général des prix.

La banque centrale européenne peut-elle contribuer au financement des investissements publics ?

Peut-on malgré tout imaginer que la force de frappe monétaire de la Banque centrale soit utilisée afin d’éviter la peste de la dérive climatique et le choléra de la paupérisation sociale ? Plusieurs propositions ont été imaginées à ce stade (voir [1], [2] et [6]). Nous n’en évoquerons ici que deux en renvoyant à la bibliographie pour les autres.

L’émission de monnaie hélicoptère digitale

La proposition de créer de la “monnaie-hélicoptère” (i.e., de la monnaie-actif qui serait directement distribuée par une banque centrale aux entreprises et aux ménages, ce qui n’est pas interdit par les traités européens) a été faite dès les années soixante et non par les moindres des économistes de la monnaie. Le terme « hélicoptère » fait référence à la métaphore introduite par Milton Friedman en 1969 (voir [3]). Elle a été faite en 2016 par la banque finlandaise Nordea Bank.  Elle a été jugée « très intéressante » par Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne en 2016. En 2019, la banque d’investissement australienne Citi plaidait également en faveur de cette politique monétaire non conventionnelle auprès de la Banque Centrale d’Australie. En France, plusieurs économistes ont plaidé pour ce dispositif. Citons notamment Jezabel Coubey-Soubeyran, et une note collective du Conseil d’analyse économique.  D’autres, comme l’un des auteurs de cet article, Nicolas Dufrêne, plaident davantage pour une création monétaire certes libre de dettes, comme dans la monnaie-hélicoptère, mais avec un usage ciblé et déterminé sous contrôle démocratique au profit d’activités d’intérêt général, notamment pour des activités non financées ou mal financées par le marché.

Comment pourrait-on concrètement organiser l’émission de monnaie-actif aujourd’hui dans une économie comme la zone euro ? Grâce aux développements numériques, ce ne serait pas une entreprise démesurée : Francfort pourrait émettre de la monnaie numérique de banque centrale qui aurait exactement le même statut que la monnaie fiduciaire. Une monnaie numérique émise par la BCE est à l’ordre du jour et pourrait naître dans les prochaines années. Elle pourrait être distribuée directement aux ménages et aux entreprises en fonction de critères qu’il nous appartient de définir collectivement et démocratiquement. Pour cela, les ménages et les entreprises françaises, par exemple, pourraient être de nouveau autorisés à ouvrir un compte de dépôt à la Banque de France qui serait alimenté par cette monnaie numérique centrale ayant cours sur l’ensemble de la zone euro (mais qui ne serait pas échangeable sur les marchés internationaux de devises). On pourrait voir cette création monétaire comme l’émission d’une monnaie digitale “complémentaire” prise en charge par la BCE et le réseau des banques centrales nationales (voir  [2] et [6]). On pourrait aussi imaginer que seules certaines transactions (favorables à la bifurcation écologique selon la taxonomie de la Commission européenne ou d’autres critères à discuter) soient autorisées avec cette monnaie.

Le refinancement par la Banque centrale des financements verts des banques publiques

Les banques publiques, européennes comme la BEI ou nationales comme la Caisse des dépôts et consignations (et en son sein la banque des territoires et Bpifrance) sont des opérateurs majeurs de la transition écologique. Elles pourraient bénéficier de refinancement à taux nul de la part de la Banque centrale pour les financements « verts ». Les traités européens n’interdisent pas explicitement cette possibilité. Les banques publiques pourraient ainsi accorder des prêts à des conditions préférentielles pour les projets de la transition (comme la rénovation des bâtiments publics ou privés) qui souffrent souvent d’une rentabilité insuffisante selon les critères habituellement appliqués de taux et de durée. Il serait tout-à-fait possible que la Banque centrale pratique des taux différenciés, avec un taux nul sur les collatéraux « verts » que ces banques peuvent apporter. Ce dispositif serait clairement compatible avec les traités européens.

Les enjeux de gouvernance

Ces solutions et d’autres évoquées en [1] , [2] et [6],  ont des avantages et des inconvénients sur divers plans. Elles butent néanmoins toutes sur l’esprit actuel, si ce n’est la lettre, des Traités européens et du mandat donné à la Banque centrale.

  1. L’indépendance qui lui a été donnée pose de sérieux problèmes démocratiques tant le pouvoir monétaire est immense. Comment peut-il être confié à une instance totalement indépendante des représentants des citoyens ? Ne faut-il pas prévoir, comme le suggère Eric Monnet (voir [8]), la création d’un conseil européen du crédit ? La création de ce conseil est tout-à-fait possible dans le cadre juridique actuel.
  2. Mettre en avant la lutte contre l’inflation dans le mandat de la Banque centrale pose deux problèmes : primo, si l’inflation n’est pas d’origine monétaire, quel est l’effet d’une politique monétaire (par exemple d’augmentation des taux d’intérêt) ?, son efficacité ? Secundo pourquoi limiter le mandat (de fait ou de droit) de la BCE à cette question alors que la création monétaire a un impact sur l’activité et sur l’environnement ? N’y a-t-il pas nécessité d’élargir le mandat au moins à cette question et de l’obliger à arbitrer explicitement entre inflation, chômage et transition écologique ? La BCE, sans que ce soit dans son mandat, considère qu’elle est légitime sur la question de la stabilité financière. Pourquoi ne le serait-elle pas sur le niveau d’activité comme c’est explicitement le cas dans le mandat de la Fed ?
  3. La BCE est aussi la gardienne de la valeur internationale de l’Euro ; la force de l’Euro serait implicitement un atout dans la compétition internationale. On peut en douter aujourd’hui au vu de l’intensité de la compétition avec les Etats-Unis et la Chine. Là aussi ne faudrait-il pas tempérer cet objectif et le replacer dans le contexte contemporain pour éviter d’en faire un obstacle à la transition écologique ?

Une conclusion logique nous semble se déduire de ces constats. Soit les pays de la zone Euro réussissent à contourner l’interprétation actuelle des Traités en respectant suffisamment la lettre pour que les décisions prises ne soient pas attaquables devant les tribunaux qui seraient sollicités – ce peut être le cas des schémas exposés ci-dessus. Soit il faut envisager une réforme des Traités pour leur redonner une logique et une architecture cohérentes avec les défis de ce siècle, au premier des rangs desquels se trouve la reconstruction écologique de nos sociétés, qui suppose un volontarisme similaire à celui de la reconstruction de l’Europe après 1945. A ce moment-là aussi, les institutions monétaires avaient évolué, ne serait-ce qu’avec la mise en place du circuit du Trésor, pour accompagner la reconstruction.

 

Mots-clés : Monnaie – Banque centrale – Création monétaire – Monnaie-hélicoptère – Gouvernance


Notes

[1] D’un montant total de 14 milliards d’euros (près de 0,4% de PIB). Voir l’analyse de Dezernatszukunft

[2] Il s’agit bien des crédits bancaires. Rappelons qu’il y a deux formes de crédit : le crédit bancaire qui génère de la création monétaire, et le crédit qu’on va appeler ici « mutuel » (pour le distinguer du crédit bancaire) qui n’en crée pas (Pierre prête à Paul 100 ; Pierre a 100 d’argent en moins et Paul 100 en plus, le total est égal à 0).

[3] La théorie de l’intermédiation est fausse concernant la création monétaire  même si elle rend bien compte d’un des rôles des banques. Mais la présentation habituelle de ce rôle peut donner à penser que les banques doivent se procurer des « ressources » pour octroyer des crédits. Dès lors, elles justifient leur marge sur ces crédits en disant qu’elle serait égale au spread qu’elles appliquent sur le taux d’intérêt qu’elles paient, ce qui est faux.

[4] La base monétaire est la quantité de monnaie centrale qui a été créée à date.

[5] Voir Banque centrale européenne, « The supply of money-bank behaviour and the implications for monetary analysis », Bulletin mensuel, October 2011.

[6] La Banque nationale tchèque, qui a eu des fonds propres négatifs pendant la majeure partie des 20 dernières années, de même que les banques centrales de Suède, du Chili, d’Israël, du Mexique et d’Australie, qui ont déclaré des fonds propres négatifs à la fin de l’année 2022. La Fed n’a affiché des fonds propres positifs en 2023 que grâce à un artifice comptable. Mais ce capital et le montant des bénéfices ou pertes annuels (de quelques dizaines de milliards de dollars) ne sont sans aucun rapport avec son total de bilan de l’ordre de 8000 milliards de dollars.

[7] La banque centrale crée de la monnaie centrale, dont les billets de banque et les pièces de monnaie mais qui sont marginaux en volume.


Bibliographie

[1]Jézabel Couppey-Soubeyran, Pierre Delandre, Augustin Sersiron, Le pouvoir de la monnaie. Transformons la monnaie pour transformer la société. Les liens qui libèrent, 2024.

[2] N. Dufrêne, La Dette au XXIe siècle. Comment s’en libérer ? Odile Jacob, 2023.

[3] M. Friedman,  The Optimum Quantity of Money, Journal of Money, Credit and Banking Vol. 2, No. 4 (Nov., 1970),Ohio State University Press

[4 ]G.Galand  et A. Grandjean, La Monnaie dévoilée, Lharmattan, 1997

[5] G. Giraud, Illusion financière, les éditions de l’atelier 2014.

[6]A.Grandjean et  N. Dufrêne , Une Monnaie écologique pour sauver la planète, 2020, Odile Jacob

[7] Michael McLeay, Amar Radia and Ryland Thomas, Money creation in the modern economy, Quarterly Bulletin 2014 Q1.

[8] Eric Monnet, La banque providence, Démocratiser les banques centrales et la monnaie, Seuil,  2021,

[9] Richard Werner, « Can banks create individually credit out of nothing ? The theories and the empirical evidence » International review for Financial Analysis, vol.36, december 2014.

Nicolas Dufrêne, Gaël Giraud, Alain Grandjean
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