Le recensement de la population est essentiel…

La loi (n°2002-276 du 27 février 2002 articles 156 à 158) fixe les principes de réalisation du recensement et de diffusion de la population officielle annuelle de chaque commune (il y a environ 35 000 communes en France). Cette population est une référence pour environ 350 lois ou arrêtés, notamment pour le calcul de la participation financière que l’État accorde chaque année à chaque commune.

Le recensement de la population sert aussi, bien sûr, à mieux connaître la population française, diverse et changeante. Depuis 2009, il fournit chaque année des statistiques sur les habitants et leurs caractéristiques au niveau communal, mais aussi pour des zones plus détaillées d’environ 2 000 habitants (les IRIS[1]) : composition par âge et sexe, profession, conditions de logement, moyens de transport utilisés pour se rendre au travail, etc.

Les autorités administratives et locales utilisent ces résultats afin d’adapter les équipements collectifs tels que les écoles, les équipements sportifs, les transports publics, etc. Ils sont également utilisés par les entreprises et les associations pour améliorer la connaissance des personnes vivant dans un lieu donné.

Depuis 2004, le recensement annuel de la population est, de par la loi, réalisé en collaboration avec chaque commune : le processus est géré et contrôlé par l’Insee, mais la collecte des données est effectuée par les communes, qui recrutent les agents recenseurs et réalisent l’enquête sur le terrain.

…mais cela fait longtemps qu’on ne recense plus à l’aide d’une enquête exhaustive

 Depuis 2004, la France est passée d’un recensement traditionnel à un « recensement glissant ». Cette astucieuse méthode a néanmoins nécessité une adaptation à la crise sanitaire. Pour le comprendre, il faut d’abord présenter ce « recensement glissant ». Son processus complet est organisé sur une période de cinq ans. Chaque année, environ 8 000 communes sont concernées :

– 1 000 communes de plus de 10 000 habitants : dans ces communes, une enquête portant sur 8 % des logements est réalisée chaque année grâce à un registre des bâtiments localisés, exhaustif et mis à jour tout au long de l’année en collaboration avec les communes ;

– 7 000 communes de moins de 10 000 habitants où une enquête de recensement exhaustif de la population a lieu tous les cinq ans. Elles représentent un cinquième de ces communes. En d’autres mots, chaque commune de moins de 10 000 habitants est recensée une année sur cinq.

Au total, chaque année, pendant 4 à 5 semaines (de mi-janvier à mi-février), 5 millions de logements et 9 millions d’habitants sont recensés. Les opérations d’une enquête annuelle de recensement (EAR) se déroulent de la manière suivante :

– 26 000 agents recenseurs sont recrutés sur l’ensemble du territoire pour rendre visite aux habitants sur leur lieu de résidence. La réponse par Internet est privilégiée, mais la réponse par questionnaires papier est également possible. Il existe deux questionnaires différents : un pour l’ensemble du logement avec 15 questions sur les caractéristiques du logement, dont une liste des habitants permanents cohérente avec la définition internationale de la population ; et un questionnaire pour chaque personne vivant dans le logement avec 25 questions sur l’âge, la nationalité, le lieu de naissance, l’éducation et la profession. En 2022, 70 % des habitants interrogés ont répondu par Internet.

– Ces agents recenseurs sont encadrés par 8 000 coordonnateurs communaux, également embauchés par les communes.

– 400 superviseurs de l’Insee aident les communes à la préparation de l’enquête de recensement et s’assurent de la bonne réalisation de l’enquête.

Il est obligatoire de répondre au recensement, les personnes qui refusent peuvent se voir infliger une amende. Cependant, les sanctions sont rarement appliquées. La communication est axée sur le fait que répondre au recensement est un acte civil important pour que les communes puissent mettre en œuvre des politiques publiques appropriées. Et cela ne prend pas beaucoup de temps (environ 5 minutes pour un questionnaire). Grâce à une forte campagne de communication avant et pendant la période de recensement, le taux de réponse se maintient à un niveau très élevé : 95,2 % en 2022.

Ensuite, chaque année, les données recueillies au cours des cinq dernières années sont utilisées pour produire des estimations actualisées de la population de chaque commune de France et des caractéristiques détaillées de la population et des logements pour tous les niveaux géographiques. La date de référence est le 1er janvier de l’année médiane du cycle. Ainsi, la population calculée en décembre 2020 est basée sur les données collectées de 2016 à 2020 et a pour date de référence le 1er janvier 2018. La méthode de production des estimations varie en fonction de la taille des communes.

Les estimations de population issues du recensement glissant

Pour les communes de moins de 10 000 habitants, le mode de calcul de la population de l’année N, diffusée en fin d’année N+2, dépend de l’année de la dernière collecte :

–  si la dernière collecte a eu lieu avant la date de référence : N-1 ou N-2, la population est alors estimée par extrapolation à partir de la dernière population issue d’une collecte sur le terrain. En métropole et à La Réunion[2], l’extrapolation consiste à faire évoluer la population comme le nombre de logements dans les sources fiscales, en tenant compte d’un coefficient de décohabitation (variation du nombre moyen de personnes par résidence principale entre les deux dernières collectes).

– si la dernière collecte a eu lieu l’année de référence : N, les données de la collecte sont alors directement utilisées.

– si la dernière collecte a eu lieu après l’année de référence : N+1 ou N+2, la population est alors estimée par interpolation linéaire entre la dernière population publiée (N-1) et la population collectée.

L’illustration 1 représente schématiquement la méthode habituelle de calcul des populations légales des communes de moins de 10 000 habitants pour le recensement de la population (RP) de 2019 (en l’absence de report de l’EAR 2021).

Illustration 1 : méthode habituelle de calcul des populations légales 2019 des communes de moins de 10 000 habitants (en l’absence de report de l’EAR 2021)

GR : groupe de rotation

En métropole[3], la population des communes de plus de 10 000 habitants relative au 1er janvier de l’année N est obtenue par la multiplication du nombre de logements issus du répertoire d’immeubles localisés (RIL) par le nombre moyen de personnes par logement estimé à partir des EAR N-2 à N+2. Elle contient donc une composante exhaustive (le nombre de logements) et une donnée estimée sur la base d’un sondage (le nombre moyen de personnes par logement).

Mais l’EAR 2021 a dû être reportée à cause de la Covid

À l’été 2020, l’Insee se préparait à réaliser une enquête annuelle de recensement en 2021, selon le calendrier habituel, à savoir sur les mois de janvier et février. Quelques évolutions de protocole étaient envisagées pour réduire les contacts entre la population recensée et les agents recenseurs, crise sanitaire oblige mais le gouvernement a alors instauré un – deuxième – confinement de la population à partir du 30 octobre et de plus en plus de remontées du terrain indiquaient la réticence de certaines communes à réaliser l’enquête début 2021. De nombreuses communes rencontraient des difficultés importantes du fait des mesures de confinement à l’automne, notamment pour trouver des candidats aux fonctions d’agents recenseurs, ce qui faisait peser un risque sur le bon déroulement de la collecte sur le terrain.  L’Insee a alors étudié en urgence les différents scénarios qui s’offraient à lui : maintien de l’enquête en janvier-février ; décalage de l’enquête au printemps ; report de l’enquête d’un an.

Le maintien de la collecte du recensement en janvier-février 2021 a été écarté car la formation des acteurs de terrain était rendue difficile par la mise en place du confinement et la situation sanitaire était trop incertaine à l’horizon de quelques mois pour réussir une collecte de qualité. En effet, la collecte sur le terrain entraîne de nombreux déplacements et contacts avec les habitants ; même en étant courts et limités, ils étaient difficilement compatibles avec la situation sanitaire. Une moindre adhésion de la population aurait entraîné de nombreux refus de répondre, engendrant une dégradation des résultats produits.

L’option d’un décalage du recensement au printemps 2021 a également été écartée, toujours en lien avec la situation sanitaire qui était imprévisible. Bien en a pris à l’Insee car un troisième confinement a été instauré à partir du 3 avril 2021 pour un mois.

Au final, le 27 novembre 2020, l’Insee a décidé du report d’un an de la collecte de l’enquête annuelle de recensement de 2021, à l’exception du territoire de Mayotte[4] et du recensement des bateliers[5]. Ce report est acté par l’article 17 de la loi n°2021-689 relative à la gestion de la sortie de la crise sanitaire. Consultés, l’Association des maires de France (AMF) et les représentants des communes au sein de la Commission nationale d’évaluation du recensement de la population (Cnerp) ont soutenu ce report.

Conformément à la loi et malgré ce report, l’Insee s’est néanmoins engagé à produire et publier les populations légales selon le calendrier habituel. Cependant, pour y arriver, les méthodes de calcul des populations légales et des résultats statistiques ont dû être adaptées.

Quelles sont les conséquences de ce report ?

Le report de l’EAR 2021 induit un report en cascade d’un an de la collecte pour chaque commune de moins de 10 000 habitants :

– les communes devant être recensées en 2021 l’ont été en 2022 ;

– les communes devant être recensées en 2022 le seront en 2023 ;

– les communes devant être recensées en 2023 le seront en 2024 ;

– les communes devant être recensées en 2024 le seront en 2025 ;

– les communes devant être recensées en 2025 le seront en 2026.

Il n’a pas été envisagé de faire une « double-collecte » en 2022 avec le recensement de deux cinquièmes des communes de moins de 10 000 habitants la même année car cela a été jugé trop coûteux, notamment pour l’Insee qui supervise la collecte de l’ensemble des communes. Pour toutes ces communes, l’écart inter-collecte est donc temporairement de 6 ans au lieu des 5 années habituelles.

Dans les communes de plus de 10 000 habitants, l’enquête est effectuée chaque année par sondage. Elle n’a pas eu lieu en 2021. Un nouvel échantillon de logements à recenser a été tiré au sort pour l’enquête annuelle de recensement de 2022.

Des résultats de qualité ont pu néanmoins être produits

Les méthodes de calcul des résultats du recensement de la population sont très adhérentes au cycle de 5 ans. Le report de l’EAR 2021 a donc un impact important, tant sur ces méthodes que sur les chaînes informatiques de production. L’enjeu a donc été d’adapter les méthodes pour produire des résultats de qualité dans les délais habituels.

Pour les communes de moins de 10 000 habitants, l’écart inter-collecte étant augmenté d’un an – passage de 5 à 6 ans –, un recours accru aux données fiscales a été mis en place. Dans la méthode habituelle de calcul, les données fiscales (en l’occurrence l’évolution du nombre de logements) sont mobilisées pour extrapoler la population les deux années suivant la collecte[6]. L’adaptation du calcul au report consiste alors à appliquer cette méthode une année de plus. Ainsi, pour les communes qui auraient dû être recensées en 2021, la population 2019 est calculée par extrapolation des résultats à partir de la dernière enquête disponible – 2016 – au lieu de réaliser une interpolation à partir des données 2021 – car non disponibles. Pour les autres communes – recensées entre 2017 et 2020 – la méthode de calcul est inchangée (cf. illustration 2).

Illustration 2 : méthode adaptée de calcul des populations légales 2019 des communes de moins de 10 000 habitants

GR : groupe de rotation

Dans les communes de plus de 10 000 habitants, la méthode habituelle consiste à estimer le nombre moyen de personnes par logement à partir de 5 EAR par sondage et à la multiplier par le nombre de logements issu du répertoire d’immeubles localisé (RIL), exhaustif. La méthode mise en œuvre a consisté à produire une pseudo-EAR 2021, qui visait à être aussi proche que possible d’une EAR  réalisée dans des conditions normales, en termes de nombre et de catégorie de logements et de taille moyenne des ménages. En pratique, des cibles communales de nombre de logements, de taux de résidences principales et de taille moyenne des ménages 2021 ont été estimées respectivement à partir du répertoire des immeubles localisés et par prolongement de tendance à partir des EAR passées. Ces trois variables, qui concourent à l’estimation de la population, ont été actualisées en priorité, les autres variables (part des femmes, part par âge, etc.) étant maintenues constantes. Une pseudo-EAR 2021 a alors été créée à partir des données de l’EAR 2016 et d’une modification des poids des individus par calage sur les cibles 2021.

Pour valider ces choix, l’Insee a estimé les performances de ces méthodes en simulant l’absence d’une EAR par le passé, et en comparant les résultats de ces méthodes avec la population publiée. Ainsi, on a démontré que la population estimée était très proche de la population publiée au niveau national (écart de 0,05 %). Les écarts au niveau communal peuvent être plus importants, mais restent modérés : l’écart en valeur absolue est inférieur à 2 % pour 92 % des communes de moins de 10 000 habitants ; la population estimée par la méthode adaptée est incluse dans l’intervalle de confiance à 95 %[7] de la population publiée pour 92 % des communes de plus de 10 000 habitants.

Au final, les populations estimées sont probablement de bien meilleure qualité que celles qui auraient été produites si une collecte avait eu lieu en 2021, compte tenu des difficultés qui auraient été rencontrées en cette période de crise sanitaire avec un risque élevé de nette augmentation de la non-réponse.

Le recensement de la population ne se résume pas aux estimations de population. Il fournit de nombreuses données socio-démographiques sur les individus et des informations sur les logements, à un niveau géographiquement fin. Les méthodes évoquées ci-dessus conduisent à figer les structures socio-démographiques par rapport aux données de l’année précédente. La non-évolution de ces structures pendant un an est acceptable dans la mesure où il est préconisé de comparer deux millésimes du recensement sur des périodes éloignées (au moins 6 ans suite au report de l’EAR 2021), les évolutions socio-démographiques étant par nature lentes, et le recensement n’ayant pas été conçu pour appréhender des phénomènes conjoncturels[8].

Ces méthodes ont permis de pallier efficacement le report de l’EAR 2021. Toutefois, si ces méthodes sont performantes pour pallier le report d’une enquête, elles le sont nettement moins en cas de report de plusieurs enquêtes. Ce constat a été confirmé par des simulations qui montrent que la qualité des résultats serait bien moindre en cas de reports de deux enquêtes au cours d’un cycle du recensement.

En 2022, un quasi-retour à la normale ?

L’EAR 2022, quant à elle, a débuté le 20 janvier 2022 et s’est, heureusement, globalement bien déroulée. La hausse du taux de non-réponse – à laquelle on pouvait s’attendre du fait des conditions sanitaires – a été contenue (4,8 % en 2022 contre 4,1 % en 2020). L’EAR 2022 montre surtout une forte progression du taux de réponse par Internet, en lien avec la forte communication sur le sujet afin de réduire les contacts. La généralisation du protocole « boîte aux lettres » dans les maisons individuelles, prévue initialement en 2021, a également contribué à cette hausse des réponses par Internet.

Cette enquête, qui est en cours de traitement, va entrer prochainement dans le processus classique pour la production des résultats du recensement de la population. Elle est aussi très attendue pour la réalisation d’études statistiques, dans la mesure où c’est la première enquête de recensement réalisée après le début de la crise sanitaire. Elle va permettre notamment de documenter l’évolution de la répartition des personnes sur le territoire et des flux de population vers les régions rurales en lien avec la crise sanitaire et le développement du télétravail.

 

Mots-clés : Insee – population – recensement – méthodes statistiques – enquêtes – Covid


[1] L’IRIS (Îlots Regroupés pour l’Information Statistique) constitue la brique de base en matière de diffusion de données infra-communales. Il doit respecter des critères géographiques et démographiques et avoir des contours identifiables sans ambiguïté et stables dans le temps. Les communes d’au moins 10 000 habitants et une forte proportion des communes de 5 000 à 10 000 habitants sont découpées en IRIS. Ce découpage constitue une partition de leur territoire.

[2] Aux Antilles-Guyane et dans les collectivités de Saint-Pierre-et-Miquelon et Saint-Barthélemy, l’extrapolation consiste à faire évoluer la population au rythme observé entre les deux dernières enquêtes de recensement (prolongement de tendance), les données issues des sources fiscales n’étant pas d’assez bonne qualité pour appliquer la méthode utilisée pour les autres territoires.

[3] Dans les DOM, la méthode est différente, mais l’adaptation présentée dans ce document s’applique pareillement sur ces territoires.

[4] Mayotte est entrée dans le dispositif du recensement tournant à partir de l’enquête annuelle de recensement de 2021. Afin de ne pas retarder la première publication des résultats à partir du nouveau dispositif, il était important de réaliser l’enquête sur ce territoire en 2021. Pour l’anecdote, un confinement a été annoncé le deuxième jour de collecte ; l’enquête a été suspendue pendant le confinement et a repris à sa levée.

[5] Le recensement des bateliers se fait par voie postale.

[6] Les deux années suivantes, la population est calculée par interpolation avec la nouvelle collecte.

[7] Intervalle de confiance consécutif à l’aléa de sondages dans ces communes.

[8] Des travaux spécifiques d’actualisation de ces structures peuvent toutefois être nécessaires sur certaines thématiques ciblées, comme les phénomènes migratoires.

Gwennaël Solard
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