De la finance climat, on ne connait souvent que la partie spectaculaire, celle des engagements publics pris depuis deux ans par les acteurs financiers en faveur du climat, que d’aucuns considĂ©reront comme de la « poudre aux yeux ». Mais la finance climat ne doit pas ĂȘtre rĂ©duite Ă  ces beaux gestes, que l’on peut soupçonner de visĂ©e marketing, voire de greenwashing. Elle obĂ©it Ă  une dĂ©finition plus large, inscrite dans l’accord de Paris sur le climat adoptĂ© en 2015 et qui vient d’entrer en application.

L’accord consacre le rĂŽle de la finance pour rĂ©ussir la transition bas carbone en stipulant, dĂšs son article 2, l’objectif de « rendre les flux de capitaux cohĂ©rents avec la trajectoire vers un dĂ©veloppement bas carbone et rĂ©silient au changement climatique ». En d’autres termes, pour rĂ©ussir la transformation complĂšte de nos modĂšles Ă©conomiques que supposent la limitation du rĂ©chauffement en deçà de 2° et l’adaptation Ă  ses consĂ©quences, la mobilisation du secteur financier est indispensable.

Les engagements publics pris par certains acteurs financiers révÚlent que cette dynamique est engagée dans tous les métiers de la finance. Mais son rythme est insuffisant pour répondre aux objectifs internationaux. Pour accélérer, les politiques climatiques doivent aider le monde financier à orienter les capitaux.

La dynamique de financement d’une Ă©conomie bas carbone et rĂ©siliente est enclenchĂ©e. Elle repose notamment sur l’intĂ©rĂȘt (enfin) bien compris de l’industrie financiĂšre : la prise en compte des risques posĂ©s par le changement climatique et la volontĂ© de saisir les opportunitĂ©s de la transition.

GrĂące Ă  d’importants apports thĂ©oriques rĂ©cents, ces risques sont de mieux en mieux connus. En 2011, le think tank Carbon Tracker a inventĂ© le concept intraduisible de stranded assets, qui dĂ©signe les valeurs d’entreprises fortement Ă©mettrices de carbone, condamnĂ©es Ă  la dĂ©prĂ©ciation en raison du renforcement des politiques climatiques. En 2015, Mark Carney, gouverneur de la Bank of England a dressĂ© la typologie de ces risques :

– risques physiques, dus Ă  la frĂ©quence et la gravitĂ© croissantes des dĂ©sordres liĂ©s au climat ;

– risque de transition, qui peut gĂ©nĂ©rer des stranded assets et du chaos dans les inĂ©vitables inversions de valeurs,

– risque de contentieux, auxquels seront – sont dĂ©jĂ  – confrontĂ©s les acteurs financiers qui auraient, en ne tenant pas compte du changement climatique, lĂ©sĂ© les intĂ©rĂȘts de leurs mandants voire de tiers.

Le secteur de l’assurance est le premier tĂ©moin du risque physique. Face aux dĂ©rĂšglements climatiques – montĂ©e du niveau des ocĂ©ans, sĂ©cheresses, pluies torrentielles, ouragans
 – les compagnies d’assurance adaptent leurs modĂšles de gestion des risques et modifient les primes annuelles aux assurĂ©s en consĂ©quence. A mesure que les risques s’accroissent, deux attitudes sont possibles. Assurer moins en sĂ©lectionnant les risques ou assurer plus : quel secteur mieux que l’assurance peut en effet transformer de nouveaux risques en opportunitĂ©s ? Certes, depuis les tempĂȘtes Katrina et Sandy, des compagnies d’assurance amĂ©ricaines rĂ©duisent leur couverture des habitations cĂŽtiĂšres en Floride. Mais inversement, est crĂ©Ă©e en 2012 l’African risk capacity, outil d’indemnisation des sĂ©cheresses couvrant plusieurs pays. De mĂȘme, la gĂ©nĂ©ralisation des techniques d’assurance paramĂ©trique, qui utilisent des donnĂ©es satellites, laisse espĂ©rer qu’un nombre croissant de petits agriculteurs bĂ©nĂ©ficieront d’assurance rĂ©coltes Ă  des coĂ»ts abordables.

Les investisseurs de long terme, assurance, fonds de pensions, fonds souverains, fondations, etc,, rĂ©agissent au risque de transition qui concerne d’abord les entreprises du secteur des Ă©nergies fossiles. DĂ©sinvestir du charbon, pousser les majors pĂ©troliĂšres Ă  dĂ©finir et rendre publique une stratĂ©gie de transition : il en va de la valeur des portefeuilles sur le long terme. A travers le MontrĂ©al Pledge et la Portfolio decarbonization coalition, 120 investisseurs institutionnels se sont engagĂ©s Ă  mesurer et rĂ©duire l’empreinte carbone de leurs portefeuilles, c’est-Ă -dire les volumes de carbone Ă©mis par les actifs qu’ils dĂ©tiennent. Et ces politiques ne concernent pas que les fossiles : d’ores et dĂ©jĂ  une puissante coalition d’investisseurs cherche Ă  tester la capacitĂ© d’évolution des producteurs automobiles. La problĂ©matique des banques est comparable, mĂȘme si la courte durĂ©e de la majoritĂ© des prĂȘts empĂȘche les banques de bien prendre compte les risques liĂ©s au climat, ce qui a pour effet de les transfĂ©rer de fait Ă  l’ensemble de la sociĂ©tĂ©.

Enfin, on voit dĂ©jĂ  se concrĂ©tiser le risque de contentieux : 17 procureurs poursuivent ExxonMobil accusĂ© d’avoir niĂ© la rĂ©alitĂ© du changement climatique liĂ© Ă  son activitĂ©, alors qu’il en avait la preuve depuis longtemps. 40 multinationales sont attaquĂ©es par la commission des droits de l’homme aux Philippines, pour nuire Ă  la population locale. A l’avenir, aucun acteur financier ne pourra prĂ©tendre « je ne savais pas ».

Mais la transition bas carbone a pour l’univers financier une face plus souriante : celle du verdissement des financements. Les opportunitĂ©s se multiplient. Dans un nombre croissant de pays, l’énergie renouvelable est plus abordable que l’énergie Ă©mettrice en raison de la baisse continue des coĂ»ts technologiques. C’est le cas en France pour l’éolien terrestre, c’est le cas pour le solaire sur presque tout le continent africain, qui peut s’appuyer sur cette nouvelle richesse pour accĂ©lĂ©rer son dĂ©veloppement et rĂ©duire sa dĂ©pendance aux importations. Le premier enjeu est celui de la crĂ©ativité : les actifs de la transition bas carbone ne rĂ©pondent pas de prime abord aux attentes des financeurs et investisseurs. De nouvelles solutions de financement doivent ĂȘtre imaginĂ©es. Le dĂ©veloppement des green bonds vient pour partie adapter l’offre de capitaux Ă  la demande des investisseurs. Les places financiĂšres Ă  travers le monde tentent de faire de leur offre de produits et services et de leur intĂ©gritĂ© « verte » un facteur diffĂ©renciant.

On le voit, l’industrie de la finance, dans la diversitĂ© de ses mĂ©tiers et de ses enjeux, montre dĂ©jĂ  concrĂštement sa volontĂ© de financer la transition bas carbone.

Pourtant la rĂ©orientation des flux de capitaux ne va pas assez vite. Dans le monde, moins de 400 Md$ sont consacrĂ©s annuellement Ă  l’économie bas carbone. Il en faudrait au moins 1 000 Md$. En France, sur des besoins estimĂ©s Ă  60 Md€ annuels, quelque 35 Md€ d’investissements verts sont actuellement rĂ©alisĂ©s. La moitiĂ© des investisseurs affirment encore ne pas se soucier du climat et des activitĂ©s trĂšs Ă©mettrices trouvent encore les moyens de se financer sans encombre.

Mais contrairement aux idĂ©es reçues, nombre d’acteurs financiers souhaiteraient pouvoir faire plus. En tĂ©moigne l’excĂšs de demande par rapport Ă  l’offre qui caractĂ©rise toutes les Ă©missions de green bonds, malgrĂ© le contexte de faible taux d’intĂ©rĂȘt. Cela suppose de lever les obstacles, supprimer les incohĂ©rences etc
 Par exemple, l’instauration de politiques soutenues et prĂ©visibles de tarification du carbone, qui renchĂ©rit les investissements fortement Ă©metteurs par rapport aux actifs verts, faciliterait le financement de la transition. De mĂȘme, les rĂšgles prudentielles, BĂąle pour les banques, Solvency pour l’assurance, devraient-elles ĂȘtre examinĂ©es au regard de la prioritĂ© Ă  donner aux investissements de long terme et en particulier Ă  ceux de la transition bas carbone. Aujourd’hui, Ă  part pour la rĂ©novation thermique des logements, rien ne vient en France inciter les banques ou les assurances Ă  proposer Ă  leurs clients de choisir des investissements, Ă©quipements et comportements plus verts. A cet Ă©gard, le dialogue nouĂ© en France entre l’Etat et les acteurs de la Place devrait permettre d’aligner les intĂ©rĂȘts des acteurs financiers, qu’ils soient publics ou privĂ©s.

Dans son intĂ©rĂȘt, la finance se saisit de l’enjeu climatique. Ce n’est plus une activitĂ© de niche, mais la prise de conscience que la finance doit accompagner la transition Ă©conomique. On trouvera ici ou lĂ  des attitudes duplices ou incohĂ©rentes. Mais la nouveautĂ©, dans cette rĂ©sistible transition, c’est que les acteurs qui s’engagent acceptent de rendre des comptes publiquement de leurs avancĂ©es. Depuis la crise de 2008, la finance jouit d’une mauvaise rĂ©putation assez largement mĂ©ritĂ©e. La finance climat est une occasion unique de prouver son utilitĂ©.

 

Pierre Ducret est conseiller du groupe Caisse des DĂ©pĂŽts pour le changement climatique et prĂ©sident du think tank I4CE (Institut pour l’économie du climat).

Maria Scolan est directrice de projets climat à la direction de la stratégie de la Caisse des DépÎts.

Ils sont co-auteurs de « Climat : un dĂ©fi pour la finance », Octobre 2016 – Edition Les Petits matins.