Réaliser cet entretien a été un grand plaisir. J’ai été rapidement plongée dans le parcours de Christine où l’engagement bénévole, la rigueur académique et la passion pour le service public se conjuguent. Quand Christine me raconte que son admission au Corps des Ponts est intervenue à la fin de son année à l’ENSAE, l’empêchant d’effectuer le stage de validation exigé pour l’obtention du diplôme, cela me paraît incongru tellement Christine a le goût des maths, le sens de l’économie et la rigueur des économistes-statisticiens. Je vous livre son portrait.

Peux-tu nous rappeler les grandes lignes de ton parcours académique et professionnel ?

En terminale, j’étais passionnée par les mathématiques, l’histoire-géographie et la philosophie. Malgré mes bons résultats en physique, mon professeur de mathématiques estimait que j’avais le profil pour HEC. J’ai donc intégré la prépa HEC à Henri IV, option mathématiques, même si le commerce ne m’intéressait pas vraiment. J’avais prévu de poursuivre une licence de mathématiques à Dauphine en cas d’échec.

Finalement, j’ai été admise à l’ENS, où j’ai suivi une bi-licence en sociologie et économétrie, tout en intégrant une licence de mathématiques à Dauphine. Ne souhaitant pas devenir professeure, j’ai intégré l’École d’économie pour y suivre un master. En parallèle de ma deuxième année de master, j’ai intégré l’ENSAE en troisième année, choisissant la voie actuariat pour son approche mathématique et sa dimension informatique. J’avais particulièrement aimé coder en Turbo Pascal en classe prépa, je me suis passionnée pour le S et le R à l’ENSAE !
À l’ENSAE, j’étais avec les élèves de la promo 2007 ; j’y ai rencontré mon mari ainsi que de nombreux amis, dont certains sont devenus parrain ou témoin de mariage. Ce réseau d’amitiés a été précieux et durable. À la sortie de l’ENSAE, j’ai directement intégré le corps des Ponts, sans pouvoir faire le stage de fin de 3ème année attendu des élèves de l’ENSAE.

Choisir le corps des Ponts était atypique pour une élève avec mon parcours, très économique mais pas assez scientifique pour suivre les cours de génie des matériaux. On m’a proposé de faire une thèse mais je n’imaginais pas rester 3 ans à travailler sur un sujet, pour le présenter à 5 personnes…J’ai finalement suivi le mastèred’action publique, où j’ai réalisé un travail de recherche sur les partenariats public-privé, croisant les regards économiques, sociologiques et actuariels. Ce travail a été salué pour son originalité. J’aurais bien aimé que ce mémoire soit aussi reconnu comme mémoire de fin de 3ème année mais il manquait malheureusement d’un peu de contenu mathématique au regard des attendus de la direction de l’école.

Et alors commence ta vie administrative ?

Effectivement, je prends alors un poste au ministère des Transports, où j’étais en charge de l’intermodalité : mise en place des autoroutes de la mer et ferroviaires, visant à transférer les camions vers le rail et les bateaux. Ce poste s’inscrivait dans la continuité de mes travaux sur les partenariats public-privé.

J’ai ensuite été nommée chef de département à la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Lors du dernier entretien de recrutement à la CRE, je me rappelle que le Président m’a interrogée sur ma pratique du triathlon, sur mes performances en course à pied et en vélo (il avait lui-même un vélo dans son bureau). Rétrospectivement j’ai eu l’impression que cette discussion sur la persévérance, la rigueur et le sens de l’effort avait compté pour mon recrutement – je n’avais alors que 26 ans et j’entrais dans une administration où les postes étaient plutôt occupés par des ingénieurs du corps des Mines avec plus d’expérience professionnelle.

Comment ton engagement bénévole a-t-il influencé ton parcours politique ?

Je suis née dans une famille qui a la tradition de ce que j’appellerais l’économie d’échange. Mon grand-père s’occupait du comité des fêtes, ma grand-mère était bénévole pour le club du 3ème âge, ils donnaient beaucoup de temps aux autres et c’est assez naturel pour moi d’être bénévole. Je l’ai été dès l’adolescence dans mon club de badminton puis dans mon club de triathlon.

A l’occasion d’un échange avec le futur maire de Boulogne-Billancourt, j’ai présenté quelques idées concrètes sur les activités sportives. Il les a trouvées pertinentes et m’a proposé de rejoindre son équipe. C’est ainsi que j’ai été élue conseillère municipale en 2008 en charge de l’animation sportive.

En 2012, on m’a proposé de prendre en charge la gestion du budget de la ville. Aux élections municipales de 2014, je suis devenue maire-adjointe en charge des finances.

Pour les élections sénatoriales de 2017, les maires des Hauts-de-Seine avaient constitué une liste. Le maire de Boulogne-Billancourt ne souhaitait pas se présenter et l’équipe municipale m’a désignée pour être candidate. C’est ainsi que j’ai été élue sénatrice des Hauts-de-Seine, devenant la plus jeune femme élue au Sénat. J’ai intégré la commission des finances, et mon profil technique et administratif a été un atout.

Je suis toujours bénévole sportive à Boulogne-Billancourt, j’ai d’ailleurs  obtenu un diplôme d’éducatrice fédérale l’année dernière. Cela m’a d’ailleurs valu un moment plutôt amusant : lors d’une visite du Sénat par des élèves de primaire, l’un d’eux s’est exclamé « mais c’est ma prof de piscine » !

On me demande parfois si j’avais planifié de devenir sénatrice. La réponse est non. J’ai toujours été engagée, que ce soit dans le sport, la vie associative ou professionnelle. C’est cette implication constante qui m’a conduite à des responsabilités croissantes, et aussi l’envie d’être utile tout en restant fidèle à mes convictions.

La technique et la rationalité semblent parfois opposés à l’action politique : comment concilies-tu les deux ?

J’ai hérité de ma formation d’ingénieure et d’économiste une approche très rationnelle.

A la mairie, que ce soit pour la tarification des services publics ou l’analyse budgétaire, je pars toujours des données et je réalise des simulations pour proposer des solutions équitables et compréhensibles. Mais la technique ne suffit pas. Il faut réussir à embarquer les autres autour de ces solutions, en racontant l’histoire et en expliquant les choix.

Au Sénat, les dossiers sont instruits par des administrateurs et je travaille beaucoup avec eux. Ils sont parfois surpris que je réécrive des pages de rapports, mais pour moi c’est une évidence car le rapport final portera mon nom.

Comment arrives-tu à concilier engagement politique, vie professionnelle et personnelle ?

Je m’organise et bien sûr je fais des choix. Ma vie n’a pas beaucoup changé depuis que je suis sénatrice : je continue à faire du sport, à m’investir dans le bénévolat, à participer à la vie scolaire de mes enfants, à me déplacer en vélo, à passer mes vacances d’été en Normandie, à me baigner quel que soit le temps, à faire des confitures…

J’ai malheureusement moins le temps de lire mais j’essaie de creuser les sujets d’actualité parlementaire. Cet été mes lectures ont porté sur l’écologie, l’énergie, la fin de vie.

As-tu rencontré des obstacles liés à ton âge ou à ton genre dans tes fonctions ?

En 2017 j’étais la benjamine du Sénat, ce qui n’était pas arrivée depuis longtemps à mon groupe politique ! Et j’ai un parcours assurément atypique par rapport à des sénateurs qui ont d’abord eu une vie politique locale très engagée. J’ai souvent été encouragée et récompensée de mon implication.

Je ne suis pas une militante féministe. Le vote de la loi Copé-Zimmermann, quand j’étais adolescente, m’avait d’ailleurs choquée et j’avais écrit une lettre au journal que je recevais à l’époque pour protester contre cette loi que je trouvais déshonorante pour les femmes ! Je n’ai pas vraiment changé d’avis sur la question même si je suis consciente que sans la loi sur la parité, je n’aurais probablement pas été la deuxième sur la liste des maires aux élections sénatoriales.

Je suis intervenue dans un débat sur l’émancipation des femmes au cours duquel je défendais que les femmes peuvent accéder à toutes les responsabilités, que la parité est une évidence, que c’est aux deux parents d’élever les enfants… Et Dominique Méda, une sociologue qui participait également au débat, m’a fait ce très beau compliment que par mon énergie, mon parcours, mon entrain je montre aux femmes que c’est possible, qu’il n’y a pas de barrière,

J’ai noté que tu avais siégé au conseil immobilier de l’état : est-ce que tu nous en dirais quelques mots ?

Effectivement j’ai siégé deux ou trois ans au conseil immobilier de l’état, et j’ai d’ailleurs proposé sa suppression… Objectivement, j’ai du mal à comprendre pourquoi ce conseil existe à côté de la direction de l’immobilier de l’Etat. Les réunions peuvent être passionnantes, avec l’intervention de personnalités très qualifiées, mais est-il pour autant nécessaire d’avoir ce conseil dont les avis sont très peu suivis ? Cette instance me semble superflue.

Quels conseils aimerais-tu partager avec les alumni et les étudiants actuels de l’ENSAE?

Engagez-vous pleinement dans ce que vous entreprenez. Si vous choisissez de vous engager, faites-le vraiment. Restez vous-même, fidèle à vos convictions. L’important est d’être en accord avec ses choix.

Propos recueillis par Priscilla Cournède